En finir avec la zone grise de la sexualité : la notion de consentement décryptée

Pour illustrer la notion de zone grise de la sexualité, l’on peut se référer à L’homme révolté, ouvrage dans lequel Albert Camus écrit que « consentir, c’est ne pas se résigner ». La résignation chez Camus est une passion négative, opposée au « oui » vivificateur de celui qui acquiesce, qui prend la forme d’un consentement au monde. Ce dernier est donc entier, complet, caractérisé par une forme de plénitude. Une action ne peut pas être permise qu’à moitié, sinon elle relève de la résignation, de l’abandon d’une résistance. Cette ambiguïté est présente dès la Grèce antique, et le grec ancien marque bien le double sens que peut prendre le consentement : ethelein signifie que celui ou celle qui consent est disposé à, accepte, reçoit, mais n’agit pas. Le sujet est passif. A contrario, le verbe boulesthai marque le désir, le choix délibéré, la volonté. Le sujet devient alors actif.

Aujourd’hui, cette pluralité de sens est au cœur des débats de société, à tel point qu’on a ajouté des adjectifs au mot pour souligner les nuances qu’il peut comporter : « consentement éclairé », « consentement tacite »… Pourquoi ce besoin d’en préciser la nature ? Existe-t-il plusieurs formes de consentement ? Est-il individuel et propre à chacun, ou doit-il au contraire devenir une valeur absolue à laquelle se référer, notamment en ce qui concerne les rapports sexuels ? Décryptage du concept de zone grise du consentement.

Le consentement, notion fondamentale dans les rapports sexuels

Dans la sexualité, la notion du consentement est cruciale, et est remise au centre des débats depuis 2017, avec le mouvement Me Too. Est alors apparue la notion de « zone grise de la sexualité », expression qui désigne toutes les pressions, hésitations, que peut subir une personne au moment d’un acte sexuel et entraver son consentement. Il arrive que cette notion de zone grise soit d’ailleurs réfutée par les féministes elles-mêmes, comme la documentariste Ovidie, qui dit à son sujet :

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« C’est un terme que je me refuse à utiliser. Je ne suis pas du tout à l’aise avec cette notion-là qui voudrait que le consentement puisse être flou, qu’on dit « non » mais qu’en fait on dit « oui », que si on nous travaille au corps, on peut changer d’avis ».

Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux raconte sa première expérience sexuelle avec un homme. Ce livre autobiographie illustre bien cette question de « zone grise ». Il dépeint le ressenti d’une jeune fille de 18 ans qui n’a pas consenti au rapport sexuel, au sens grec de boulesthai, comme un sujet actif et volontaire. L’autrice n’emploie pas le mot « viol », mais montre comment elle est devenue, au moment de cette expérience, un être passif, une masse corporelle presque inerte, devenue le réceptacle d’un corps masculin actif et décideur. Le refus de l’autrice n’est pas explicité, mais le « oui » qui permettrait d’accepter entièrement le rapport sexuel ne l’est pas non plus. Pourtant, la scène possède toutes les caractéristiques d’un viol : Annie Ernaux livre au lecteur sa stupeur ressentie au moment de l’acte, son sentiment d’impuissance et d’écrasement.

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Zone grise du consentement : les mécanismes de domination à l’œuvre dans la sexualité

Une autre dimension rentre également en compte dans Mémoire de fille : la question du groupe social et du regard d’autrui. Dans un article de 2007 paru dans The Guardian, « Too embarrassed to protest » (« trop gênée pour dire non »), la romancière Esther Freud raconte s’être retrouvée, quand elle était adolescente, dans une fête avec un garçon de son âge lui ayant fait des avances très explicites. Par pression sociale et par envie de satisfaire son groupe d’amis et de s’affirmer auprès d’eux, Esther Freud a cédé au désir du garçon en question. Cet exemple démontre que le regard d’autrui occupe une place spéciale dans nos rapports intimes, contrairement à ce que dit Pascal dans les Pensées :

« C’est le consentement de vous à vous-même, et la voix constante de votre raison, et non des autres qui doit vous faire croire. »

La zone grise de la sexualité est également renforcée lorsqu’il existe des inégalités et une dynamique de domination entre les deux membres d’un couple. C’est par exemple le cas dans le récit autobiographique de Vanessa Springora, Le Consentement, au sein duquel elle décrit sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors qu’elle avait 14 ans et lui 50. Au-delà de leur différence d’âge évidemment problématique (aujourd’hui, l’âge de la majorité sexuelle est de 15 ans), se pose également l’enjeu d’une emprise exercée par Matzneff, écrivain reconnu, sur la jeune Vanessa Springora.

Rappelons que la loi du 21 avril 2021 fixe désormais un seuil de consentement à 15 ans (sauf en cas d’inceste).

Sexe sans consentement : la zone grise remise en question

Dans le documentaire Sexe sans consentement réalisé par Delphine Dhilly en 2018, la journaliste donne la parole aux femmes qui ont cédé à un rapport sexuel, sans toutefois y consentir. Cinq femmes et six hommes, tous âgés de 20 à 65 ans donnent, face à la caméra, leur point de vue du consentement et de la place de celui-ci dans la sexualité, notamment au sein des rapports hommes-femmes. Les femmes interrogées racontent le jour où elles ont cédé face au désir insistant d’un autre homme, les hommes livrent leur vision de la séduction et leur définition du consentement.

Delphine Dhilly tente de répondre, avec ces interviews, à la question « qu’est-ce qui fait qu’on n’arrive pas à dire non ? », qui est en réalité issue de plusieurs facteurs : peur de subir de la violence, gêne, stupéfaction… autant de causes liées selon elle à « toutes ces injonctions sociales dans lesquelles baignent les filles depuis la naissance. C’est dans nos manières, notre éducation : il faut faire plaisir aux garçons ».

Ce documentaire a pour mérite de mettre en scène un véritable dialogue entre les sexes, et rappelle que le consentement devrait être intersubjectif, et non pas individuel comme précisé plus haut. Parmi les hommes interrogés, certains apparaissent comme étant très lucides sur la question du consentement, alors que pour d’autres, cela ne va pas de soi, comme le montrent les propos d’un des hommes interviewés : « Dès qu’une femme me dit non, ça me motive encore plus ».

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Victoria Lavelle pour Celles qui osent

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