Le mouvement Me Too : qu’a-t-il changé ?

Le 15 octobre 2017, l’actrice Alyssa Milano lance un appel sur Twitter, demandant à toutes les personnes ayant été agressées ou harcelées de répondre « me too » à ce tweet. En pleine tempête Harvey Weinstein, #MeToo devient, en l’espace de quelques heures, viral. Pourtant, le mouvement a été lancé en 2006 par Tarana Burke. Retour sur la chronologie des évènements et sur les conséquences du mouvement Me Too.

Les origines du mouvement Me Too

Tarana Burke

Tarana Burke est une militante afro-américaine, qui s’est toujours consacrée à donner de la voix à ceux qu’on écoute peu. Travailleuse sociale originaire du Bronx et survivante d’agressions sexuelles dans sa jeunesse, elle a commencé très tôt à accompagner d’autres victimes de violences sexuelles, particulièrement les jeunes filles noires, qu’elle sait être les plus invisibilisées. En 2006, elle crée le mouvement Me Too, qui a pour vocation de dire à ces femmes : « Vous êtes entendues, vous êtes comprises, vous n’êtes pas seules ». Elle parcourt alors les États-Unis pour rencontrer et échanger avec d’autres survivantes. Le mouvement gagne en visibilité mondiale lorsque l’actrice de Charmed reprend l’idée en 2017, sans avoir connaissance du premier mouvement Me Too, lancé dix ans auparavant.

Alyssa Milano

Le 15 octobre 2017, Alyssa Milano tweete : « Si vous avez été victime de harcèlement ou d’agression sexuelle, écrivez ‘Moi aussi’ en réponse à ce tweet ». Dix jours après la publication de l’enquête du New York Times sur Harvey Weinstein, la parole se libère. L’actrice publie un nouveau tweet, dans lequel elle confie qu’elle n’était pas au courant que le mouvement Me Too existait déjà. Admirative du travail accompli par Tarana Burke, elle commence à apparaître à ses côtés sur les plateaux télé. En moins d’un an, le hashtag #MeToo comptera plus de 17 millions de tweets.

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Harvey Weinstein

Le contexte dans lequel sort le #Metoo est inédit. En effet, début octobre, une enquête publiée par le New York Times, suivie d’un article du New Yorker, ébranle Hollywood. Des dizaines de femmes accusent le producteur de harcèlements et agressions sexuelles. C’est la chute pour l’homme qui régnait sur l’industrie du cinéma, comme le « faiseur de rois ». D’abord répudié de sa propre entreprise, la Weinstein Company, qui a depuis déclaré faillite, ce sont ensuite les grandes institutions qui le rejettent, comme l’Académie des Oscars et le Festival de Cannes. Le 11 mars 2020, Harvey Weinstein est condamné à 23 ans de prison pour viols et agressions sexuelles. C’est la fin de l’omerta à Hollywood.

#Balancetonporc

En France, après les révélations du New York Times et avant le #MeToo, c’est Sandra Muller, journaliste et directrice de la Lettre de l’audiovisuel, qui lance un appel à témoignage sur Twitter au travers du #balancetonporc. En un an, le hashtag balance ton porc recueille près d’un million de tweets. Après avoir lancé le mouvement, Sandra Muller raconte sa propre histoire :  « ‘Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit’ Éric Brion ex patron de Equidia #balancetonporc ». L’accusé reconnaît avoir tenu ses propos jugés « déplacés » mais nie être un harceleur sexuel. La journaliste est condamnée le 26 septembre 2019, par la justice française, à lui verser 15 000 € de dommages et intérêts. Elle a depuis fait appel et attend la décision de la Cour. Chaque pays aura, à son tour, son propre hashtag pour dénoncer les violences sexuelles.

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Les conséquences du mouvement Me Too

La libération de la parole

Si cette fin d’année 2017 et ce #MeToo nous ont appris quelque chose, c’est qu’il faut refuser de se taire. Il est possible de gagner. La fin de l’omerta à Hollywood a été douloureuse, mais nécessaire. C’est ensuite l’acteur Kevin Spacey qui est emporté par l’ouragan Me Too : très rapidement accusé d’agressions et harcèlements sexuels par des jeunes hommes, les réactions ne se font pas attendre. Netflix annonce que la saison 6 d’House of Cards sera la dernière et que Kevin Spacey, star de la série, n’apparaîtra pas dedans. Le réalisateur Ridley Scott déclare supprimer toutes les scènes de Tout l’argent du monde dans lequel l’acteur joue, alors que la sortie est prévue en décembre. Elles seront filmées à nouveau en une semaine, avec Christopher Plummer en remplacement.

En décembre 2017, le magazine Times marque les esprits en célébrant « Les briseuses de silence » (parmi lesquelles on compte, entre autres, Taylor Swift, Sandra Muller, Alyssa Milano et Tarana Burke) pour son titre convoité : « La personnalité de l’année ». Cependant, on peut se demander, la parole a-t-elle été libérée ou les victimes sont-elles seulement enfin écoutées ? Harvey Weinstein avait en effet légalement acheté le silence de plusieurs de ses victimes, leur interdisant de porter plainte par la suite.

Il y aussi le cas de Bill Cosby. Depuis 2004, l’acteur est accusé de viol. Il n’est condamné qu’en 2018 pour agression sexuelle sur Andrea Constand. Considéré pendant longtemps comme « le père de l’Amérique », il aurait agressé et violé une soixantaine de femmes durant sa carrière. Il a été défendu par de nombreuses célébrités pendant toutes ces années, parmi lesquelles Kanye West. À chaque nouveau scandale, il est glaçant de réaliser combien de personnes savaient et ont choisi de se taire.

La dénonciation sur les réseaux sociaux

Une des plus belles victoires de ce douloureux #MeToo, c’est que grâce aux réseaux sociaux, nous pouvons dénoncer, sans plus dépendre de la volonté des médias ou de la justice, pour prendre en compte nos témoignages, nos histoires.

Lorsqu’une nouvelle affaire éclate au grand jour, les survivants s’emparent des réseaux sociaux, Twitter plus particulièrement, pour raconter leur histoire. Ce début d’année 2021 marquera deux nouveaux Me Too. D’abord, suite aux révélations de Camille Kouchner dans son livre La familia grande, racontant les agressions sexuelles du célèbre politologue Olivier Duhamel sur un de ses frères, un #metooinceste est créé. Des centaines de tweets reprennent le hashtag démontrant que l’inceste, tabou ultime, est bel et bien présent dans notre société, mais profondément enfoui. Le 21 janvier 2021, c’est Guillaume T. qui lance le #metoogay en racontant comment deux responsables communistes ont profité de sa vulnérabilité en 2018 pour le violer. Les témoignages affluent de nouveau.

En France, on dénote une augmentation des violences sexuelles de 19 % en 2018 et 12 % en 2019. Ce qui a changé, c’est le comportement des victimes : elles dénoncent et portent plainte plus souvent que par le passé. Les chiffres augmentent donc. Néanmoins, la position des différents réseaux sociaux sur ces sujets reste floue. En effet, en janvier 2021, Mélusine, militante féministe, voit son compte Twitter suspendu. Elle vient de tweeter : « Il y a savoir et il y a entendre, lire et compter. Violences sexuelles massives contre les femmes, les enfants, les hommes gays. Et une question de civilisation : comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ? ». En soutien, de nombreuses militantes ont posté la même question et ont vu, elles aussi, leur compte suspendu.

Une victoire du mouvement Me Too en demi-mesure

À l’heure actuelle, le chemin semble encore long avant que le mouvement Me Too ne soit plus nécessaire. En 2019, une étude publiée aux États-Unis par SurveyMonkey et LeanIn.org sur les relations hommes-femmes au travail, montre que 60 % des managers masculins se disent mal à l’aise dans la collaboration, la socialisation et l’interaction avec des collègues femmes. Les hommes craignent avoir un comportement jugé inconvenant ou d’être accusé de harcèlement sexuel à tort. Ce chiffre est en hausse de 32 % comparé à l’année précédente. Est-il si difficile d’avoir un comportement où chacun puisse se sentir en sécurité ?

Replongeons-nous également en février 2020, où lors de la cérémonie des Césars, le prix de la meilleure réalisation est remis à Roman Polanski pour son film J’accuse. Pour rappel, le réalisateur est encore poursuivi par la justice américaine, pour relations sexuelles illégales avec une mineure, en 1977. Il est également visé par plusieurs accusations de viol. Peut-on encore, après le mouvement Me Too, séparer l’homme de l’artiste ?

Quel message envoie-t-on aux victimes d’agressions et de viols en célébrant un homme qui a reconnu sa propre culpabilité, sur l’agression d’une adolescente de 13 ans ? L’actrice Adèle Haenel, elle aussi survivante d’une agression sexuelle, a cette réaction, qui marquera les esprits : elle quitte la salle, criant « une honte, une honte », scandant ensuite : « Vive la pédophilie ! Bravo la pédophilie ! ». Florence Foresti, qui anime la cérémonie, fait le choix de ne pas revenir sur scène après la remise de ce prix. Désormais, on se lève et on se casse.

Certes, les lignes ont bougé depuis le lancement du mouvement Me Too. Cependant, combien de #MeToo et de hashtags sont nécessaires pour que les agressions, et le silence qui les entoure, cessent ? À chaque nouvelle affaire, les réactions sont les mêmes. D’abord la sidération, puis le doute. Les mêmes questions reviennent, mettant en cause la véracité des témoignages. Combien de #MeToo avant que nous décidions tous d’être du côté des survivants ? Le 10 décembre 2020, lors de la journée internationale des droits de l’Homme, le leitmotiv était de « reconstruire en mieux ». À nous de continuer le combat, d’éduquer les générations d’aujourd’hui et de demain pour qu’enfin, ces comportements disparaissent.

 

Lisa Parise pour Celles qui Osent 

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