Pourquoi voit-on le rose comme une couleur de filles ?

« Mon chéri, ce jouet n’est pas pour les garçons, tu vois bien qu’il est rose ! », affirme une maman à son fils de 3 ans. La scène a lieu dans un square pour enfants. Le petit s’amuse avec une voiture rose, apportée par un autre bambin. Couleur de filles, couleur de garçons : vous aussi, vous trouvez cela cliché ? Et pourtant, dès le plus jeune âge, ce code est omniprésent dans la vie des enfants. Il suffit d’observer les catalogues de jeux, les rayons des boutiques de vêtements et les cours d’école pour s’en rendre compte. D’où vient ce stéréotype de genre qui semble encore avoir de beaux jours devant lui ? Pourquoi rose pour les filles et bleu pour les garçons ? Décryptage.

Pourquoi rose pour les filles, bleu pour les garçons : le marketing genré des années 80

L’essor du marketing de genre

Le code couleur « rose pour les filles et bleu pour les garçons » n’est pas tout à fait nouveau. Il s’instaure à partir du XIXe siècle dans les familles de la bourgeoisie. C’est néanmoins depuis les années 80 que les marques pour enfants développent une stratégie de marketing genré, particulièrement agressive.

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Le principe est simple : les articles de puériculture, les vêtements et les jouets sont différenciés en fonction du sexe. Parfois, la distinction entre les produits tient seulement à la couleur, notamment pour l’équipement des bébés. Tout est fait pour conditionner les parents, et les enfants, à penser le monde en rose et bleu.

Femme et filles dans un univers rose
Le rose couleur de filles ? Crédit photo – freepic.diller

Une stratégie qui rapporte !

L’intérêt de la différenciation est simple : cette stratégie permet de booster les ventes de produits, notamment dans les familles de plusieurs enfants. Les marques l’ont bien compris, un jeu ou un vêtement neutre se transmet trop facilement au sein d’une fratrie. Un même jouet aura donc une déclinaison en bleu pour le frère et en rose pour la sœur.

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Emmanuelle Berthiaud et Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, historiennes, analysent ce fait de société dans Le rose et le bleu, la fabrique du féminin et du masculin. Lors d’une conférence donnée à l’université populaire d’Arcueil en mars 2019, ces chercheuses spécialisées dans l’histoire des femmes expliquent :

« Cela permet d’éviter, en ayant par exemple des jouets roses ou des jouets bleus, que le même petit vélo rouge se transmette entre frères et sœurs dans la même famille. Il y a l’idée de pouvoir vendre deux fois plus, en attribuant des choses à l’un et à l’autre sexe. »

Pourtant, ce stéréotype du rose et du bleu n’a pas toujours existé. L’histoire nous enseigne même que les codes se sont inversés au fil du temps.

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Quand le rose était une couleur de garçons et le bleu une couleur de filles

Le rose, couleur masculine

Vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’au Moyen Âge, la couleur féminine par excellence était… le bleu ! Le rose était plutôt réservé aux hommes. Il était considéré comme un dérivé du rouge, couleur impériale et symbole de pouvoir. Emmanuelle Berthiaud le rappelle :

« On n’a pas toujours habillé les petits garçons en bleu et les petites filles en rose, mais c’était plutôt l’inverse. Parce que le bleu est la couleur de la vierge et qu’elle était associée aux filles. Et que le rose était, au contraire, plutôt celle des garçons. »

Portrait du roi henri IV en rose
Portrait d’Henri IV en Mars, vêtu de rose. Attribué au peintre Jacob Bunel.

Les jeunes enfants, tous en blanc

Garçon ou fille, les jeunes enfants portaient généralement du blanc jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans. Symbole de pureté et d’innocence, le blanc était aussi la couleur la plus pratique à entretenir au quotidien, car on pouvait alors bouillir le linge pour le laver. À cette époque, il y a peu de différences éducatives entre les deux sexes. Les tout-petits portent des robes et partagent les mêmes jeux. C’est ce que souligne Emmanuelle Berthiaud lors de sa conférence :

« Les garçons jouent à la poupée. Les petites filles aussi jouent à la poupée. On en a un très bon exemple avec Louis XIII qui adore la dînette. »

Pourquoi la tendance s’inverse-t-elle ensuite ? Depuis quand le rose est-il devenu une « couleur de filles » ?

L’inversion progressive des couleurs

On ne sait pas dater précisément cette inversion des couleurs. C’est une évolution imperceptible qui démarre autour de la Réforme protestante, au XVIe siècle. À cette époque, le protestantisme dévalorise le rouge, et donc le rose. Ces couleurs deviennent peu respectables. Elles sont abandonnées dans l’habillement masculin au profit… du bleu ! Michel Pastoureau, historien spécialiste des couleurs, le confirme dans son ouvrage L’Église et la couleur, des origines à la Réforme :

« Il [le protestantisme] préconise et met en place des systèmes de couleur entièrement construits autour d’un axe noir-gris-blanc. Guerre est désormais faite aux autres couleurs (seul le bleu est parfois épargné), spécialement aux couleurs chaudes, le rouge et le jaune. »

Au cours de l’époque moderne, les hommes s’approprient peu à peu la couleur bleue. Le rouge et ses dérivés symbolisent de plus en plus l’amour et la féminité. Popularisé par Mme de Pompadour à la cour de Louis XV, le rose devient une couleur à la mode. Le développement de l’industrie textile au XIXe siècle permet ensuite de créer des tons pastel. La layette pour bébé rose ou bleue fait alors son apparition.

Stéréotypes de genre : pas facile d’en sortir !

L’envie de résister aux clichés

Depuis, les experts du marketing genré ont largement surfé sur la différenciation des sexes. Même en étant sensibilisé à la question, il est difficile d’échapper complètement à ces stéréotypes. Près de 9 parents sur 10 souhaitent connaître le sexe de leur bébé avant la naissance, d’après une étude Elfe menée en 2013. Selon un article de la revue Politiques sociales et familiales paru en juin 2014, cette information influence la préparation de l’arrivée de l’enfant :

« La plupart des couples qui attendent un enfant se mobilisent pour accueillir non pas un bébé “neutre” du point de vue du sexe, mais un petit garçon ou une petite fille. »

Avant la naissance, les futurs parents sont incités à choisir la layette et les couleurs de la chambre en fonction du sexe du bébé. La pression sociale est forte. Pourtant, nombre d’entre eux veulent se détacher de ce cliché bicolore. Ils essayent d’acheter des vêtements ou accessoires jugés plus neutres (jaunes, verts ou blancs). Heureusement, certaines marques éthiques s’affranchissent des stéréotypes avec des vêtements non genrés. C’est le cas d’enseignes telles que Emeu ou Secondsew.

Les garçons et le rose : oser l’anticonformisme

S’émanciper des stéréotypes véhiculés par notre société fait partie du combat de tous pour l’égalité des sexes. Nous baignons constamment dans les clichés de genre. Des contes de fée sexistes aux inégalités salariales, les défis à relever sont nombreux.

Sur la question des couleurs, ce sont finalement les garçons qui rencontrent le plus d’obstacles à transgresser les codes établis. Une petite fille sera plus facilement habillée dans des tons considérés comme masculins. L’inverse est beaucoup moins vrai. Concrètement, il est bien plus rare de voir un garçon en rose qu’une fille en bleu. Dans l’article de Politiques sociales et familiales, les auteures soulignent les réticences des parents :

« La sélection des vêtements est beaucoup plus stricte lorsqu’il s’agit d’habiller un garçon, les codes féminins étant alors très nettement proscrits. »

On le voit, il reste beaucoup à faire pour permettre au rose de retrouver une place de choix dans le vestiaire des petits garçons. Pourtant, le rose est devenu LA couleur tendance chez les créateurs de mode pour hommes.

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Voilà, vous vous demandiez pourquoi rose pour les filles et bleu pour les garçons ? Sans surprise, c’est une pure construction sociale et historique. Et pourtant, les clichés sont tenaces ! Surtout lorsqu’on les a assimilés depuis l’enfance. C’est le cas pour la génération Y née dans les années 80, et les suivantes. Cependant, une chose est sûre, il est plus facile de déconstruire un stéréotype quand on en connaît l’origine. Alors, parents ou non, à nous de jouer pour faire bouger les lignes !

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Marion Ernoult, pour Celles qui Osent.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

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