« Pour ce qu’il me plaist », telle était l’orgueilleuse devise de Jeanne de Belleville. Son destin, digne d’un roman de chevalerie, est une véritable épopée où se mêlent amour courtois, trahison et combats épiques. Elle et son époux forment l’un des couples les plus romantiques de l’ère médiévale. La fin brutale de leur romance métamorphose la noble dame en une redoutable chevalière des mers qui ose défier le roi de France. Surnommée la Tigresse bretonne, l’intrépide écumeuse et sa descendance enluminent de sang les premières pages de la guerre de Cent Ans. Montez à l’abordage et découvrez l’épopée de Jeanne de Belleville, une femme pirate au Moyen Âge !
Jeanne de Belleville et Olivier de Clisson, une tragédie amoureuse en pleine guerre de Cent Ans
Le grand amour de Jeanne de Belleville
Jeanne de Belleville naît vers 1300 dans le Poitou. Ses parents sont Maurice IV de Montaigu, seigneur de Belleville, et Létice de Parthenay. Son père la marie à quatorze ans à un noble breton, Geoffroy de Châteaubriant. Des années plus tard, alors âgée de trente ans et désormais veuve, Jeanne est demandée en mariage par un autre seigneur de Bretagne : le preux chevalier Olivier de Clisson.
Olivier de Clisson, quatrième du nom, est issu d’une des familles les plus éminentes de la Bretagne médiévale. Il a le même âge que Jeanne et dirige un immense fief, constitué autour de la cité portant son nom. L’union de Jeanne de Belleville et d’Olivier IV de Clisson est un véritable mariage d’amour. Ensemble, ils ont cinq enfants, mais leur idylle ne va pas tarder à être sacrifiée sur l’autel de l’Histoire.
La guerre de Succession de Bretagne
En 1337 éclate la guerre de Cent Ans, opposant la France à l’Angleterre, et dont Jeanne d’Arc est une autre héroïne. C’est dans ce contexte troublé que meurt, en 1341, le duc de Bretagne Jean III le Bon. Dès lors, deux prétendants se disputent la succession du duché : Jean de Monfort, son demi-frère, et Jeanne de Penthièvre, sa nièce. Épouse de Charles de Blois, neveu du roi de France, elle est immédiatement soutenue par le souverain. Jean de Monfort, lui, s’allie avec Édouard III d’Angleterre, ennemi du parti français.
Olivier IV de Clisson, à la différence de son frère et de la plupart des seigneurs bretons, prête allégeance au camp de Blois-Penthièvre. En 1342, il est fait prisonnier des Anglais, lors du siège de Vannes. Finalement libéré, l’époux de Jeanne de Belleville tombe en disgrâce auprès du roi de France. En effet, Philippe VI de Valois le soupçonne d’avoir comploté avec l’ennemi. Le roi profite d’un tournoi à Paris pour inviter Olivier de Clisson à venir jouter. Au beau milieu de la fête, alors que le chevalier s’apprête à défendre les couleurs de la Bretagne, le roi le fait arrêter et condamner à mort pour trahison. Sans même avoir droit à un procès, Olivier de Clisson est décapité aux Halles le 2 août 1343.
Le réveil de la Lionne de Clisson
La cruauté du roi Philippe VI ne s’arrête pas là. Soucieux de faire de cette exécution un exemple, il fait porter la tête d’Olivier de Clisson en Bretagne. Elle est plantée sur une pique au sommet des remparts de Nantes. La courageuse veuve du malheureux vient contempler le macabre spectacle, accompagnée de ses deux fils, Olivier et Guillaume. C’est là qu’elle jure, et fait jurer à ses fils, de se venger du roi de France et de massacrer ses partisans. Ce fut au pied des remparts de la cité ducale que celle que l’on nomme depuis la Tigresse bretonne ou encore La Lionne de Clisson, rugit pour la première fois.
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L’itinéraire sanglant de la Tigresse bretonne, une femme pirate au Moyen Âge
La vengeance d’une veuve sanguinaire
Jeanne récupère la tête de son époux supplicié et rallie plusieurs seigneurs bretons à sa cause. C’est ainsi que commence son périple meurtrier, destiné à massacrer tous les soutiens du roi de France en Bretagne. Elle lève une armée de 400 hommes et se dirige vers le château du seigneur Le Gallois de la Heuze, soutien de Charles de Blois. S’approchant du pont-levis, la gente dame demande l’entrée. Le commandant, ne se méfiant pas, lui ouvre les portes de la forteresse. C’est alors que son armée fait irruption et massacre tout le monde. Seul de la Heuze parvient à échapper au carnage.
En un temps record, la Lionne de Clisson décime les habitants de six châteaux dont les maîtres soutiennent la France. Elle s’illustre par son courage et la violence de ses razzias, qui n’épargnent personne. Sa haine contre ses ennemis est à la hauteur de l’amour qu’elle porte à son défunt mari. Outré, le roi de France la convoque devant le Parlement de Paris. En guerrière culottée, elle refuse de se présenter et est, le 1er décembre 1343, bannie à tout jamais du royaume. Mais la sentence royale tombe trop tard.
La guerre navale contre le roi de France
En décembre 1343, Jeanne de Belleville a déjà vendu tous ses biens et est partie à l’aventure sur les flots de la Manche, accompagnée de ses hommes et de ses deux fils. Trois navires sont ainsi armés par la Dame de Clisson. L’aventurière des mers baptise son navire amiral du nom de Ma Vengeance, telle une funeste prédiction en direction de Philippe VI. Devenue pirate, elle attaque et pille tous les navires marchands français croisant la route de sa flotte. Première à l’abordage, elle écume les côtes de la Manche et s’enfonce dans les terres normandes, incendiant les villages sur son passage.
Au bout d’un an, le roi de France décide de mettre un terme à ce cauchemar marin. Il sollicite l’aide du Pape qui, à son tour, enjoint vainement à Édouard III d’arrêter la folie meurtrière de son alliée bretonne. Alors, Philippe de Valois lance sa flotte à la poursuite de la guerrière. Ses navigateurs s’engagent dans une guerre de course contre la Tigresse bretonne. Au fil des batailles navales, la dame de Clisson perd deux de ses bateaux. Lors de l’ultime combat, les marins français s’emparent de Ma Vengeance et Jeanne doit s’enfuir, avec ses fils et quelques fidèles, sur une barque de secours.
Le retour sur terre de la corsaire de Bretagne
Pendant cinq longs jours, Jeanne de Belleville et ses proches, rescapés, dérivent au large de la Bretagne. Mais le manque d’eau et de nourriture ainsi que le déchaînement des éléments ont raison d’un des deux enfants de Jeanne. Elle voit ainsi mourir son fils Guillaume dans ses bras avant d’accoster près de Morlaix, ville tenue par le camp des Monfort. La reine des mers, désormais déchue, se réfugie rapidement à Hennebont. Elle y retrouve une amie, Jeanne de Flandre.
Cette dernière, épouse de Jean de Monfort, doit son surnom de « Jeanne la Flamme » à sa lutte active et incendiaire contre les ennemis de son époux. Elle accueille Jeanne de Belleville. Leurs fils respectifs, Jean et Olivier, sont élevés ensemble et séjournent à la cour d’Édouard III. La Lionne sanglante, quant à elle, peut enfin écrire un chapitre plus paisible de sa romanesque vie.
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La fin de l’épopée de Jeanne de Belleville, la femme pirate bretonne
Jeanne de Belleville consacre ses dernières années à récupérer ses biens et ses terres confisqués par ses ennemis. À la suite de la victoire d’Édouard III sur Philippe VI à Crécy, en 1346, elle fait la rencontre du sire Gauthier de Benthelée. Édouard III le nomme lieutenant du roi en Bretagne. Et Jeanne en fait son dernier époux. Grâce aux Anglais, elle peut récupérer ses terres confisquées et se voit offrir de nombreux autres domaines.
L’écumeuse des mers s’éteint paisiblement en 1359, rejoignant le panthéon des Bretonnes audacieuses, au même titre que Les Penn Sardin. Ironie de l’histoire, son fils, Olivier V de Clisson décide de servir la couronne française et devient connétable du royaume de France. Récupérant le reste des terres de sa famille, il devient à 24 ans le seigneur le plus riche de Bretagne. En digne fils de sa mère, il s’illustre de manière spectaculaire sur les champs de bataille et reçoit le surnom de Clisson le boucher…
La carrière de pirate de Jeanne de Belleville fut brève, mais suffit à transformer la Manche en une mer de sang. Cependant, la dame de Clisson fut une pirate singulière. La rapine ne lui servait qu’à payer ses hommes, non à s’enrichir. Elle mena sa guerre par vengeance. De fait, ses actions firent d’elle une corsaire au service des Montfort. Pirate par amour, la dame exorcisa sa douleur par la destruction. Aussi indomptable que la mer, Jeanne de Belleville est une des figures féminines les plus anticonformistes du Moyen Âge.
Izold Guégan pour Celles qui Osent
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW
Sources :
Élie Durel, Jeanne de Belleville, la Tigresse bretonne, Édition l’Ancre de Marine, 2018.
Marie-Ève Sténuit, « Jeanne de Belleville, la lionne de Clisson », dans Marie-Ève Sténuit, Femmes pirates, les écumeuses des mers, Éditions du Trésor, Paris, 2015, p. 23-34.
Frédéric Morvan, « Les Seigneurs de Clisson (XIIIe – XIVe siècle) », dans Actes du congrès de Clisson de septembre 2003, p. 59-80.
1 Comment
Très bel article.Merci, Izold.