Guerre en Syrie : une génération de femmes sacrifiée pour avoir osé militer

La guerre en Ukraine occupe les gros titres des journaux depuis maintenant trois mois. On est toutes et tous sidéré·e·s par le massacre des populations et la dévastation d’un pays européen situé à quelques heures d’avion de Paris. Mais la guerre, malheureusement, sévit encore dans de nombreuses régions du globe, sans que les grands médias s’y intéressent. Celles qui osent a choisi de revenir sur le conflit syrien, trop vite oublié, en mettant plus particulièrement en avant le rôle des femmes dans cette guerre et le triste sort qui leur est réservé.

Mars 2011, la révolution syrienne éclate. Des milliers de militants, de toutes confessions, sortent dans les rues. Le peuple réclame la démocratie, la justice et la laïcité. Mais le dictateur Bachar Al-Assad riposte violemment, sauvagement, et lâche l’armée sur son propre pays. Tous les moyens sont employés : bombardements des civils, attaques chimiques, arrestations arbitraires, emprisonnements sans jugement, tortures, meurtres de masse. En juin 2021, l’Observatoire syrien révèle un bilan non exhaustif de 494 438 morts et portés disparus, ainsi que 13 millions de déportés. Au cœur de la guerre en Syrie, les femmes sont déterminées à obtenir l’égalité et la liberté. Défiant le régime totalitaire, elles seront persécutées, dépossédées par l’ « Assadisme » . Une stratégie militaire mûrement réfléchie est mise en place. Le viol systématique est utilisé comme arme de destruction massive afin d’annihiler tous sentiments de révolte. Le dictateur veut ensevelir toute dissidence. Comment les femmes du conflit syrien sont-elles devenues la cible de Bachar ? Pourquoi le gouvernement a-t-il eu recours à la torture sexuelle pour réprimer le soulèvement ? De martyres à résistantes, il était une fois l’effroyable histoire des Syriennes en temps de guerre.

Guerre en Syrie : les femmes soumises au diktat du viol

Pourquoi la suprématie du viol comme stratégie militaire ?

« On va baiser toutes les femmes pour les punir. »

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Un ancien agent du renseignement syrien révèle les propos glaçants de ses responsables, dans le journal Libération. Le régime a choisi la torture sexuelle comme tactique de répression. Cette arme de guerre est facile à mettre en place, efficace, traumatisante et gratuite.

C’est l’instrument de combat absolu, car on y survit le plus souvent, pour être anéantie à jamais. Le viol devient alors le mot d’ordre du régime autoritaire. Tout le monde en sera victime : hommes, femmes, enfants. L’acte est rendu systématique : dans les prisons, lors des descentes militaires, au sein des ménages et même au check-point pour rentrer dans son quartier.

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Dans la culture syrienne, il n’y a rien de plus déshonorant. Pour ce peuple, le viol est le tabou ultime, particulièrement pour la femme, car son corps est sacré. C’est inacceptable, elle est toujours coupable d’avoir été souillée. Dans un pays patriarcal et conservateur, le tyran institutionnalise le viol. Les Syriennes deviennent alors la cible de l’état totalitaire. Les militantes, les journalistes, les enseignantes, les infirmières seront cruellement persécutées et raflées. Leur corps sert à traumatiser, punir, soumettre la population pour plusieurs générations. Ainsi, les ogres de Damas atteignent l’homme, anéantissent les liens familiaux et sociaux. Ils enterrent la révolution.

Les partisanes de la liberté écartelées par le régime et le peuple syrien

À l’instar de leur ancêtre Naziq al Abid, les Syriennes se sont engagées courageusement dans la révolution. Aux côtés de leurs maris, de leurs frères, elles aussi ont subi les balles, la prison, la torture. Si, lorsque l’homme ressort des geôles, il est accueilli en héros et retrouve sa place dans la société, pour les femmes c’est le double châtiment. Un séjour en centre de détention rime avec viol. Rescapées de l’horreur absolue, elles affrontent ensuite l’exclusion, la stigmatisation sociale et craignent encore pour leur vie. Des vidéos sont parfois envoyées aux familles. La sentence du peuple syrien envers leurs mères, leurs sœurs, leurs petites filles est impitoyable. Elles sont mariées de force, répudiées – leur mari demandant aussitôt le divorce –, insultées ou dénigrées, victimes de crimes d’honneur, tuées par leurs propres parents ou encore poussées au suicide ou à la fuite.

Infographie : Femmes du conflit syrien : violées pour s'être revoltees
En Syrie, Bachar Al-Assad cible les femmes et utilise le viol comme arme de guerre – Infographie créée par Laetitia PONCET via Canva

Femmes du conflit syrien : les martyres dénoncent l’horreur absolue

Les activistes syriennes exterminées par les viols

Elles sont arrêtées pour avoir manifesté pacifiquement, pour avoir apporté vaillamment une aide humanitaire ou des soins médicaux, ou entrepris simplement de filmer la révolution. Pour leur sang-froid, ces résistantes sont envoyées dans de véritables abattoirs de la dignité, comme le centre de détention de Damas, ou encore le camp de la mort de Saidnaya. Dans certains endroits, les femmes sont interrogées entièrement dévêtues, pendant plusieurs jours, puis violées par des dizaines d’hommes. Parfois, elles dorment dans des pièces remplies de cadavres. D’autres sont entassées dans des cellules, nues, avec leurs excréments, le sang de leurs règles, leurs blessures surinfectées et les maladies. Elles sont affamées, battues le jour et violées la nuit. Elles y subissent des châtiments inconcevables : rat dans le vagin, coups de fouet, écartèlement, électrisation, brûlures, sévices sexuels, etc.

Le viol est partout. Il est le mot d’ordre, présent dans chaque discours, chaque menace, chaque respiration des bourreaux.

La prison syrienne de Saidnaya aussi appelee camps de la mort
Image satellite de la prison militaire de Saidnaya à 30 km de Damas. Source : Amnesty international

 

Les combattantes pacifistes : martyrisées à jamais par l’« Assadisme »

Dans le reportage Syrie, Le cri étouffé de Manon Loizeau diffusé en 2017, celles qui osent témoigner nous bouleversent en dénonçant une sauvagerie sexuelle institutionnalisée par les forces armées pro Assad. Leur regard est désincarné, emprisonné, à perpétuité dans le monde de l’inhumain. Toutes se sentent dissociées, absentes. Elles tentent de survivre. Mais le viol est bien pire que la mort. Malgré l’humiliation ultime et le conservatisme culturel leur interdisant de parler des violences sexuelles, les femmes du conflit syrien s’exposent à nouveau dans ce documentaire pour dévoiler l’insupportable.

Fouzia Hussein al-Khalaf est la seule rescapée de sa famille lors du massacre d’Al Houla. Dans les hurlements de terreur, elle raconte qu’un homme se met sur elle et la viole. Sous ses yeux, il continue ensuite avec ses filles, l’une après l’autre. Pendant ce temps, les soldats tabassent son mari, le forcent à regarder sa femme et sa progéniture subir le barbarisme, puis l’assassinent. Ils égorgent ensuite tous les enfants de la demeure.

Une jeune fille anonyme, ancienne détenue, déclare :

« […] au premier contact de sa main passée sur mon corps, j’ai senti quelque chose s’effondrer […] ». Elle hurle de terreur et de douleur. « […] mon corps entre les mains de monstres […]. Quelque chose avait lieu qui n’était pas normal. C’est là que la vie s’est arrêtée […]. La dernière fois, ils sont venus à cinq. Cinq qui sont passés sur moi à tour de rôle. »

👇 Regardez le documentaire Syrie, Le cri étouffé 👇

 

À lire aussi, la biographie de Lee Miller, celle qui osa photographier l’horreur des camps d’Hitler.

Résilience syrienne : les réfugiées continuent de résister

Le droit des femmes et réfugiées ignoré par la communauté internationale

À l’inverse du #MeToo, la communauté internationale ignora pendant plus de dix ans l’abnégation des Syriennes et leurs droits de femmes. Pourtant, l’ONU pouvait adopter des résolutions diplomatiques pour empêcher ce carnage humain.

En mars 2021, à l’issue d’une décennie sanglante, on comptabilisait 5,5 millions de réfugiés, essentiellement répartis dans les pays voisins (Liban, Jordanie, Turquie…). Exilées dans des camps insalubres, ou dans des pays en pleine crise économique, les jeunes filles sont encore victimes de crimes de genre. Avec moins de trois euros par jour pour subvenir aux besoins de leur famille, les parents décident de marier de force leurs pré-adolescentes. Cette jeunesse et l’absence de sensibilisation des réfugiées conduisent alors à des traumatismes psychologiques et physiques, engendrés par la violence conjugale, les relations sexuelles et les grossesses précoces. C’est pourquoi Malala Yousafzai, jeune prix Nobel de la paix, se préoccupe de l’éducation des jeunes Syriennes rescapées de ce chaos. Elle lance un appel aux politiques pour les soutenir.

Les résistantes dédient leur vie à l’histoire du massacre et à la reconstruction de la Syrie

Pour les survivantes disséminées aux quatre coins du monde, il est important de faire connaître les atrocités de Bachar Al-Assad. Elles sensibilisent les pouvoirs occidentaux au sort tragique des Syriennes. C’est le cas de la téméraire et admirable Waad al-Kateab. Cette journaliste défie le régime totalitaire avec sa caméra. Elle filme la guerre civile entre 2011 et 2016. D’autres, comme la résistante et réfugiée Samar Yazbek, autrice du livre 19 femmes, racontent leur vie post-traumatique. Pour l’écrivaine, le tyran a réussi à étouffer la révolution en dépeçant le corps de ces guerrières. Pourtant, elle ne baisse pas les bras. Sa mission ? Transmettre la mémoire syrienne pour ne pas oublier.

À Raqqa, l’espoir renaît grâce à la force inouïe des femmes. Depuis 2017, la nouvelle maire Leila Mustafa, jeune ingénieure de trente-deux ans, tente de rebâtir sa ville. Elle reconstruit également le lien social, à travers la réconciliation des communautés et des mentalités. Un symbole puissant de féminisme et d’espoir pour un avenir démocratique meilleur.

 

Pour avoir vécu la souffrance absolue, les Syriennes marqueront à jamais l’histoire de l’Humanité. Il est possible d’aider ces femmes, en soutenant des associations comme Amnesty International. Leurs enquêtes sur le terrain et le recueil de centaines de témoignages sur les tortures sexuelles permettront peut-être de condamner le tyran. Depuis février 2020, un espoir en une justice internationale est né. Deux anciens membres des services du renseignement syrien ont été jugés pour les atrocités commises. Ce procès est une première et un message puissant envoyé au régime dictatorial : les exactions perpétrées sur ces femmes ne resteront pas impunies. Malgré les révélations de ces actes insoutenables, Bachar al-Assad est toujours au gouvernement d’une Syrie traumatisée.

⏩ Poursuivez votre lecture avec notre article sur les femmes de la résistance, qui elles aussi, ont lutté pour leur liberté.

Laetitia Poncet pour Celles qui Osent.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

 

Sources :

https://www.amnesty.fr/pays/syrie

https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2017-2/viols-pour-briser-revolution-syrie

https://www.liberation.fr/planete/2018/03/18/en-syrie-baiser-toutes-les-femmes-pour-les-punir_1637123/

https://information.tv5monde.com/terriennes/le-cri-etouffe-des-femmes-violees-dans-les-prisons-syriennes-brise-le-silence-209939

https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/en-dix-ans-la-guerre-en-syrie-a-fait-plus-de-388-000-morts-selon-une-ong_4332807.html

https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20120926.RUE2721/viols-collectifs-rat-dans-le-vagin-en-syrie-le-viol-est-une-arme.html

https://www.amnesty.fr/presse/syrie.-des-refugiees-qui-rentrent-au-pays-sont-tortures

https://www.liberation.fr/debats/2019/0913/samar-yazbek-a-travers-la-voix-de-ces-syriennes-je-veux-dire-qu-on-n-est-pas-des-victimes-mais-des-r_1751199

<https://news.un.org/fr/story/2021/03/1091792

https://www.franceculture.fr/emissions/comme-personne/leila-mustapha-la-maire-courage-de-raqqa

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/xavier-de-lauzanne

https://www.unhcr.org/fr/urgence-en-syrie.html

 

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