La passion pathologique : de la maladie d’amour à la psychose délirante

Érotomanie, un nom qui évoque Éros, le dieu de l’amour, et la manie qui renvoie à l’agitation et à la folie. Mais qu’en est-il ? D’une simple tocade amoureuse dans les croyances populaires, elle est en réalité une passion pathologique potentiellement dangereuse. Au cinéma, l’inquiétante Audrey Tautou, dans le film À la folie… pas du tout, illustre la souffrance psychique de l’érotomane. Dans le très anxiogène Liaisons fatales, le délire amoureux de Glenn Close la pousse au drame passionnel. Et, c’est la romantique Isabelle Adjani qui incarne la célèbre fille érotomane de Victor Hugo, Adèle H. Alors, qu’est-ce que l’érotomanie ? D’où vient ce sentiment amoureux irrépressible ? Est-il possible de sortir de l’enfer de cette psychose ? Focus sur une pathologie pas comme les autres.

Qu’est-ce que l’érotomanie ou syndrome de Clérambault ?

L’érotomanie, appelée également syndrome de Clérambault, est une pathologie qui touche principalement les femmes, exceptionnellement des hommes, c’est pourquoi nous utiliserons essentiellement le féminin dans cet article. L’érotomane a la certitude d’être aimée par une personne d’une classe sociale généralement plus élevée que la sienne. Il n’est pas rare aussi qu’elle s’éprenne d’une célébrité qu’elle voit dans les médias.

Et, elle en est convaincue : l’objet de ses fantasmes ne peut s’épanouir sans sa présence à ses côtés. Elle se persuade que son soupirant feint le bonheur dans son propre couple ou pire, qu’il s’est rendu libre pour elle. Aussi, l’érotomane perçoit un certain nombre de signes à son encontre de la part de son supposé admirateur. En état d’exaltation amoureuse, elle s’imagine que cette personne pense continuellement à elle. Pour elle, son admirateur se conduit de manière contradictoire afin de dissimuler au reste du monde un amour interdit. Elle pense également détecter des plans que l’objet de ses fantasmes met en œuvre pour la rencontrer. À travers les médias, elle voit dans le comportement d’autrui des gestes, des messages codés ou des regards connus d’elle seule, comme cette mère de famille en proie à une passion amoureuse délirante pour un ostréiculteur qui déclare :

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« Il me parle, j’ai des images de lui qui s’imposent à moi, et je sais qu’il partage mes sentiments ».

Loin de la relation toxique amoureuse ou de l’obsession passionnelle d’un amour non partagé, l’érotomanie s’impose comme une réelle souffrance. Dans le cas de l’obsession, la personne abandonne ses désirs lorsqu’elle se rend compte que tout n’est qu’illusion. Quant à l’érotomane, elle trouve toujours une explication pour entretenir son imaginaire.

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L’érotomanie est donc une forme de psychose paranoïaque de la catégorie des délires passionnels. Paradoxalement, le moteur de cette conviction délirante d’être aimée n’est pas l’amour, mais bien la haine. Ce sentiment inconscient, déguisé en passion amoureuse, porte la malade à un acharnement contre l’objet de son attirance.

Mais pourquoi devient-on érotomane ?  Les causes de la pathologie

L’érotomanie est due à un manque affectif dans l’enfance. En effet, l’être humain ne se développe de façon saine que lorsqu’il est profondément aimé depuis sa conception. Or, les médecins psychiatres l’affirment : un passé affectif bancal est un des facteurs de la maladie. L’érotomane est le fruit d’une relation familiale dysfonctionnelle. C’est ainsi qu’à l’âge adulte, la malade développe cette projection amoureuse conduisant dans certains cas au drame passionnel.

Car l’érotomanie se traduit par un dévouement sans trêve à une cause unique, celle de vivre enfin cet amour illusoire au grand jour. Prise au piège d’une réalité propre à son délire, l’érotomane, dans le même temps, souffre et jouit dans cette quête de l’être aimé. Elle rêve en permanence de cet admirateur inconnu et tente de l’encourager à se déclarer. Petit à petit, elle s’efface au profit de cette passion dévorante ; elle s’oublie, en proie à la haine contre elle-même et contre l’Autre. L’érotomane, marquée par de graves antécédents affectifs, en devient délictueuse.  Comme le souligne Étienne de Greeff, célèbre criminologue :

« Le sujet accepte de se sacrifier, pourvu qu’il réalise son idée. »

C’est pour cette raison qu’elle finit toujours par agir en s’imprégnant de l’affection supposée de son soupirant. Elle ose lui téléphoner, elle se cache pour l’épier, elle se risque à lui offrir des cadeaux, à l’image de cette femme prise d’un délire érotomaniaque pour Véronique Sanson. Durant le premier confinement, en mars 2020, la malade a vécu pendant un mois dans sa voiture, devant le domicile de la chanteuse ! Au cours de cette période, elle n’a pas hésité à l’appeler, crier son nom et s’exhiber. Tout autant, le sentiment de proximité virtuelle et illusoire que provoquent les réseaux sociaux renforce ce déséquilibre. Il ne s’agit donc pas de véritable amour, mais plutôt d’un système délirant d’interprétations et d’intuitions erronées.

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Comment cette passion pathologique se matérialise-t-elle ?

Une fois que l’érotomane est convaincue de l’amour d’autrui à son égard, le trouble prend forme. Gaëtan Gatien De Clérambault, psychiatre à l’origine du concept de l’érotomanie en 1912, a mis en exergue trois phases distinctes. À l’évidence, la durée et l’intensité de ces périodes varient en fonction de la gravité de l’état de la personne.

La phase de l’espoir

La malade déploie une énergie folle à interpréter en sa faveur le moindre signe qu’elle croit déceler chez cet amoureux improbable. Elle espère de toute son âme que les attitudes de son admirateur sont des preuves d’amour infaillibles. Il lui lance un regard ? Elle le traduit par un « Je t’aime ». Il ne répond pas à ses messages ? Elle en conclut qu’il craint de dévoiler ses sentiments. À cette étape de la maladie, le harcèlement commence. L’érotomane démultiplie les appels, SMS, lettres, tentatives de rencontre, etc.

La phase de dépit

L’exaltation amoureuse nourrie d’espoir s’arrête le jour où la victime ne supporte plus les ardeurs de l’érotomane. Inondée de coups de téléphone, de SMS et d’allusions embarrassantes, il arrive que la victime porte plainte, faute de n’avoir pu maintenir la distance. Pour la malade, l’espérance et l’euphorie amoureuse laissent place à une profonde déception tournant à la dépression. Dès lors, elle comprend que l’objet de ses désirs la rejette. Elle tente encore parfois de reprendre contact avec la personne ciblée, mais le passage à l’acte n’est plus très loin. En effet, plus de la moitié des malades se montrent menaçantes tandis que 25 % d’entre elles vont jusqu’à l’agression physique, selon le Journal de l’Académie américaine de psychiatrie et de droit.

La phase de rancune

La tristesse, la douleur et l’incompréhension se muent rapidement en colère. L’érotomane ressent un profond ressentiment pour son amour imaginaire. La rancune est alors à la hauteur de sa déception. Elle réagit par la violence avec des envies de vengeance. Pour cela, elle déploie tout un attirail menaçant ponctué de lettres, d’appels et de messages virulents. Elle s’en prend aux biens matériels de son prétendu soupirant, comme sa voiture ou ses poubelles. Elle s’introduit chez lui et pénètre dans son lit, sa piscine ou sa baignoire. Pour 37 % des victimes, le stress post-traumatique est une des conséquences de cette persécution, selon l’université de Cambridge. Guillaume, un artiste parisien poursuivi par une érotomane depuis près de quatre ans, vit un enfer :

« Tous mes lieux de vie sont comme profanés par elle. Ça me bouffe de l’intérieur. C’est comme un viol, un viol psychique. »

La malade perd toute dignité. Dans les cas les plus aigus, l’érotomane en vient parfois au meurtre ou au suicide. C’est en général pendant cette phase que les soins psychiatriques sont entrepris.

Peut-on guérir d’une telle souffrance psychique ?

Renouer avec la réalité s’apparente à un long chemin sinueux pour la patiente. Dans un total effacement de soi, celle-ci n’est pas consciente de ses croyances infondées. C’est le cas de cette Dacquoise de 53 ans qui, en 2015, est condamnée à la prison pour harcèlement. La victime se décide à déposer une plainte, après avoir été poursuivie pendant de nombreuses années. La malade se persuade :

« Quand on met 12 ans à porter plainte, c’est quand même qu’il y a quelque chose ! »

D’ailleurs, très peu de personnes souffrant de cette pathologie font appel à un spécialiste. Ce n’est que lors d’un passage à l’acte ou du dépôt de plainte de la victime que la malade est prise en charge. Dès lors, la thérapie démarre suite à une volonté d’autrui et non de celle de la patiente, compromettant ainsi le bon déroulement du parcours thérapeutique.

Mais, l’érotomanie reste un trouble rare. Elle s’impose souvent comme un dérivé de graves maladies psychiatriques telles que la schizophrénie, le trouble bipolaire, la dépression chronique ou la maladie d’Alzheimer. Les médecins perçoivent un diagnostic pertinent lorsque la durée du délire érotomaniaque est supérieure aux symptômes de ces différentes maladies.

À partir d’un traitement médicamenteux, d’une thérapie ciblée, voire d’une hospitalisation, le trouble de l’érotomanie peut être maîtrisé. Or, les psychiatres s’accordent pour dire que la guérison totale reste compliquée. Les objectifs restent les mêmes pour tous les patients : minimiser les comportements violents, maintenir un fonctionnement social et améliorer la qualité de vie de l’érotomane.

Bien plus qu’une maladie d’amour, l’érotomanie est une vraie pathologie. Outre les comportements à risques, l’intime conviction d’être aimée entraîne une souffrance obscure dont il est difficile de sortir.

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Virginie Yvrard, pour Celles qui Osent
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

Sources :

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02967693/document
https://laviedesreines.com/psychologie/erotomanie-symptomes-comment-la-guerir/
https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2010-8-page-703.htm?contenu=article
http://www.psy-luxeuil.fr/article-erotomanie-l-amour-a-tout-prix-107888146.html
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/malade-d-amour-une-erotomane-condamnee-dax-1444726309
Érotomanie : du sourire à l’inquiétude… – Actualités Santé Érotomanie : du sourire à l’inquiétude… % – (observatoire-sante.fr)
L’érotomanie, ce délire dont un Leucatois fut victime – lindependant.fr

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