Connaissez-vous 12 hommes en colère, le film choc réalisé en 1957 par Sidney Lumet ? Ce chef-d’oeuvre philosophique sur la justice met en scène 12 jurés lors du procès d’un jeune garçon de 17 ans, à priori condamné à mort pour le meurtre de son père. Tout semble scellé jusqu’à ce qu’un juré commence à nier l’évidence et à semer le doute parmi l’assemblée. De façon magistrale, on nous montre combien il est difficile de faire taire ses à priori pour établir un jugement juste. Qu’en est-il pour les femmes qui commettent l’irréparable ? Elle qu’on stigmatise déjà quand elles se soumettent et obéissent, que deviennent-elles quand elles sont à l’opposée de ce qu’on attend d’elle ? Celles qui Osent vous proposer d’oser un autre regard sur les femmes en milieu carcéral.
La criminalité au féminin, un univers qui fascine et rebute
Vous vous souvenez d’un des premiers clips de Gwen Stefanie qui l’a rendue célèbre ? La reprise de It’s my life, qui montre une femme fatale tuant un à un ses amants, avec glamour. L’apogée de la liberté, jouée avec classe. Une femme qui refuse de faire la boniche ou d’être entretenue et qui derrière son sourire racoleur entend bien garder l’argent et foutre en l’air le mari. Un peu rude, mais force est d’avouer que la criminalité au féminin fascine. Pourquoi ? Sûrement parce qu’en fantasme, c’est de bonne guerre de reprendre un peu ses droits sur l’oppresseur, à l’heure où les féminicides sont encore tristement célèbres et largement majoritaires.
Les meurtrières les plus célèbres ont presque toutes un film qui leur est dédié. C’est le cas de Jodi Arias qui avait tranché la gorge à son ex-petit copain, Travis Alexander, qui la battait. Le réalisateur Jace Alexander en a fait un film, Jodi Arias, Dirty little secret. Quand les assassinats concernent des enfants, les femmes sont souvent marginalisées et lourdement stigmatisées, en particulier par d’autres femmes. On peut tout à fait comprendre, à cette différence près que les hommes, moins sommés d’être paternels, sont plus facilement excusés. Casey Anthony aurait assassiné sa fille de 2 ans en 2008 et serait allée faire la fête dans la foulée. Andrea Yates aurait noyé ses 5 enfants à la suite d’une dépression post partum. Autant d’atroces exceptions qui participent aux fantasmes sur les femmes assassin en milieu carcéral et à la sévérité des peines. Les cas plus courants, pourtant, sont souvent tout autres.
Dans l’Université de Rebibbia, la superbe autofiction de Goliarda Sapienza, l’auteur raconte son séjour en prison pour vol de bijoux. Au cours de cette expérience, elle apprend à s’affirmer en tant que femme dans cette micro société qui fonde ses propres règles du jeu. D’abord malmenée par ses co-détenues hostiles, elle fait des rencontres qui transformeront à jamais sa vision de la vie et de son art. Profondément féministe sans le savoir, son célèbre Art de la joie aura un succès planétaire, probablement à cause de ce décalage qui rendait Goliarda « associable » et profondément humaine.
Rappelons aussi que, dans bien des périodes de l’histoire, la légalité n’était pas toujours la mesure de la justice. Une femme pouvait se retrouver en prison pour avoir avorté ou parce que, victime de la violence de son mari, elle avait été diagnostiquée « hystérique ». Le préjugé jouait un grand rôle dans l’administration des peines. Et aujourd’hui ? Peut-on être certains qu’on est juste, alors que des discriminations rétrogrades perdurent au travail comme dans la vie privée ?
Bref, les femmes en milieu carcéral, c’est à la fois un fantasme et une matière à réfléchir. Et dans les faits, ça donne quoi ?
Femmes en milieu carcéral, la double peine
Les femmes sont les grandes oubliées du système pénitentiaire. Savez-vous qu’il existe seulement 2 prisons pour femmes en France ? Il y a le Centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles. Pour le reste, elles sont logées dans des annexes de la vraie prison. Sur Facebook, il est possible de trouver de nombreux témoignages qui abondent dans ce sens : « J’étais dans une cellule de 9 mètres carrés, en sous-sol, qui donnait sous le stade de foot des hommes, sans fenêtre », explique une anonyme. L’Observatoire international des prisons confirme. Comme les dames sont en petit effectif et qu’on doit les séparer des messieurs, on manque de moyens spécifiques et les conditions sont plus précaires. Le droit à la formation, les sorties, les activités du centre de détention pour la réinsertion sont restreints. L’accès au téléphone et aux parloirs est également plus limité, pour ne pas qu’hommes et femmes ne se croisent.
Au niveau familial, ça se complique. 42 % des détenues ont des enfants. Il n’existe pas de procédure spécifique dans l’interpellation et la séparation de l’inculpé en famille, ce qui reste traumatisant. Souvent, il faut choisir. Soit résider dans un centre de détention non mixte au sein d’une prison classique, à proximité du domicile et manquer de moyens de communication vis-à-vis du cercle familial. Soit intégrer une prison pour femmes, bénéficier de plus d’aménagements, mais risquer d’être à l’opposé géographique de ses enfants. Dans tous les cas, les temps au parloir sont très courts (45 min), il est difficile de se toucher et de voir tous les membres de la famille en même temps. Pour les mères célibataires, les enfants sont placés dans un organisme appelé l’ASE (l’Aide sociale à l’enfance), qui manque cruellement de ressources humaines. Les mères sont rarement consultées sur les décisions importantes à prendre, ce qui aggrave l’impact psychologique de la détention et les conditions d’épanouissement des enfants en dehors.
Enfin, nombre d’études montrent que le comportement des surveillants diffère complètement vis-à-vis d’une femme et que les détenues entre elles ne se font pas de cadeaux. Les prisonnières sont plus sanctionnées pour leur écart de conduite, reprise pour leur vocabulaire et leur manière de s’habiller. De même les « aguicheuses » sont amplement stigmatisées. C’est ce que l’observatoire appelle « l’entreprise de moralisation des femmes ».
S’il existe un lieu de droit restreint, capable de rabaisser les femmes et de légitimer leur stigmatisation, c’est bien celui-là. Il est donc important d’en parler.
Légitime défense ou meurtre ? Des peines parfois contestables
Vous avez probablement déjà entendu parler de Jacqueline Sauvage, cette femme condamnée à 10 ans de prison ferme pour avoir assassiné son mari avec préméditation ? Son histoire a ému la France entière et Yves Rénier en a fait un film avec Muriel Robin, Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi. Battue, menacée, séquestrée, elle décide d’abattre son mari avec un fusil de chasse, puis de se dénoncer à la police. Cette façon d’agir en dit long sur la situation : Jacqueline préfère la prison à sa situation. Devenue le symbole des violences faites aux femmes, elle est graciée par François Hollande en 2016.
Cette histoire n’est pas anodine puisque selon une enquête ENVEFF, 100 % des femmes incarcérées ont été victimes de violences conjugales. Selon l’Observatoire international des prisons, toutes les femmes incarcérées, à un moment donné de leur parcours, ont été des victimes. Beaucoup ont connu des situations d’exploitation sexuelle et la plupart ont été marquées par une brutalité sociale ou intime forte. La sociologue Myriam Joël va jusqu’à affirmer « Certaines femmes considèrent la prison comme une mise au repos du corps quand leurs conjoints les abusent continuellement ». Parmi elles, 13 % sont illettrées, 50 % ont un niveau d’instruction primaire et 30 % sont d’origine étrangère. L’écrasante majorité a subi la précarité et l’oppression. Elles sont en moyenne plus âgées que leurs homologues masculins, ce qui confirme qu’elles ont souvent subi les coups pendant de nombreuses années avant d’agir. Laetitia Léger, directrice de la maison d’arrêt de Versailles va dans ce sens : « Souvent les femmes ont peur de leur mari et préméditent leur crime pour ne pas louper leur coup ».
Rappelons tout de même que selon l’Observatoire, à peine 333 femmes sont condamnées pour homicide volontaire contre 5375 hommes ! Les peines enregistrées sont pourtant bien plus clivantes, puisque pour un même acte, les femmes écopent en moyenne de 15 à 20 ans de prison, contre 7 ans pour les hommes !
Pour le reste, l’écrasante majorité des détenues sont en détention provisoire ou condamnée à des peines de moins de 2 ans pour petite criminalité. Beaucoup de femmes d’Amérique du Sud et des pays équatoriaux ont été des « mules » qui ont transporté de la drogue (dans leur vagin) pour le compte de groupes armés. Si la culpabilité et la violence réelle existent, il s’agit surtout des femmes qui ont porté atteinte à leurs enfants, qui sont largement minoritaires et largement stigmatisées. Pour le reste, la sociologue Natacha Chetcuti parle de « culture de la résistance », qui consiste à rester digne face à la violence, quitte à la provoquer. Ne pas baisser les yeux quand l’autorité l’ordonne par exemple, pour ne pas se soumettre à celui qui agresse et rester intègre. C’est la raison pour laquelle la provocation en milieu carcéral féminin reste largement présente, bien qu’elle soit plutôt morale, à la différence des prisons masculines, où la culture du viol reste appliquée entre homologues.
Vous arrivez à la fin de cet article et vous en savez un peu plus sur le sujet très controversé du milieu carcéral, qui plus est au féminin. Depuis que la peine de mort a été abolie, la société considère à juste titre qu’un assassin était souvent un rebut de la société qu’on a pas su prendre en charge. Ce raisonnement est encore plus valable pour les femmes, qui sont largement plus sujettes à la violence dans toutes les strates sociales. Consacrer du budget pour la réinsertion des prisonniers est donc un acte citoyen et dans le cas des femmes, un engagement féministe à part entier. Donnez-nous votre avis sur la question !
Charlotte Allinieu, web journaliste pour Celles qui Osent
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