Mama Africa, l’icône musicale sud-africaine qui a osé dénoncer publiquement l’apartheid

« Makeba, Makeba, ma qué bella ! » clame la jeune autrice-compositrice française Jain dans la chanson Makeba tirée de son album Zanaka, paru en 2015. Près de 55 ans après les débuts de sa carrière, celle que son peuple a surnommée Mama Africa continue d’inspirer des générations de femmes et d’artistes contemporaines. Pour qui connaît l’histoire et le parcours de cette audacieuse, ce refrain en son hommage ne la réduit pas à sa plastique, mais à sa beauté plurielle : sa musique, ses valeurs humanistes et son engagement politique. Dans ce portrait, Celles Qui Osent retrace la biographie de Miriam Makeba, chanteuse militante sud-africaine, symbole féminin de la lutte anti-apartheid et de la défense des droits humains.

Zenzi à Miriam : de la femme à l’artiste

Une enfance au cœur d’une Afrique du Sud ségréguée

« Uzenzile ». Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même (traduction française littérale du terme uzenzile en langues isiZulu et isiXhosa). Le 4 mars 1932, on pouvait entendre cette phrase résonner dans l’une des maisons du tristement célèbre quartier de Soweto. La voix d’une mère sermonnant sa fille pour avoir choisi de donner encore une fois la vie au péril de la sienne. Au terme d’un accouchement long et douloureux, c’est de cette anecdote familiale que l’enfant tirera son prénom : Zenzi.

Née d’un père Xhosa et d’une mère Swazi, Zenzi Makeba Qgwashu Nguvama grandit à Johannesburg, en Afrique du Sud. Ironie du sort, celle qui, des décennies plus tard, se battra au nom de la liberté, passa les six premiers mois de sa vie derrière les barreaux. Alors qu’elle n’a que 18 jours, elle est emprisonnée avec sa mère Christina, arrêtée pour brassage d’alcool : une activité illégale, mais financièrement nécessaire à la survie de sa famille.

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Un talent précoce reconnu et encouragé

À l’instar de ses parents et surtout de sa mère, Zenzi développe dès son plus jeune âge une appétence et un talent inné pour la musique. Chez elle, à l’école ou à l’église, la fillette n’a de cesse de ravir son auditoire par la beauté de sa voix. Dans une interview pour la RFI, elle évoque la manière dont ses proches, esprits avant-gardistes pour l’époque, l’ont toujours encouragée à poursuivre son rêve.

« Ma mère me disait que mon père rêvait de m’envoyer étudier la musique. Elle m’a toujours encouragée, contrairement à beaucoup de parents qui ne voudraient jamais qu’une fille monte sur scène. Parce qu’en Afrique, ce n’était pas accepté. »

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La jeunesse de Miriam Makeba, placée sous le signe de l’adversité

Orpheline de père à 5 ans, élevée par sa mère, puis sa grand-mère, la jeune fille doit faire face à la dureté du quotidien pour les femmes de sa condition. En fin de cycle primaire, elle est contrainte d’abandonner l’école pour aller travailler. À 17 ans, elle donne naissance à sa fille adorée, Bongi. La même année, elle triomphe d’un cancer du sein, puis, victime de violences conjugales, fuit son mari avec son bébé et obtient le divorce.

Les prémices d’une carrière musicale d’exception

Sa rencontre artistique avec les Manhattan Brothers en 1954 signe les débuts de sa brillante carrière. C’est d’ailleurs auprès d’eux qu’elle adopte son nom de scène : Miriam Makeba. Durant cette collaboration, la jeune chanteuse participe à des tournées internationales et gagne rapidement en notoriété sur tout le continent africain. Trois ans plus tard, Miriam fonde le groupe The Skylarks. Ce quartette exclusivement féminin connaîtra un succès retentissant en Afrique du Sud.

Révolte, gloire et exil : la lutte par la résistance culturelle

Come back Africa, le cadeau empoisonné

À la fin des années 50, Miriam rejoint le casting du docu-fiction clandestin Come back Africa. Cette œuvre cinématographique portée par le réalisateur Lionel Rogosin vise à pointer du doigt et à dénoncer les exactions commises par le National Party sud-africain. Le film est acclamé par la critique et la chanteuse est invitée à le promouvoir à la Mostra de Venise en 1959. S’ensuit son départ pour Londres, où elle rencontre l’artiste militant afro-américain Harry Belafonte. Ébloui par son talent, il lui propose de devenir son sponsor et lui obtient un visa pour les États-Unis. Propulsée par son passage dans The Steve Allen Show, elle vit une percée artistique fulgurante outre-Atlantique.

Lors d’une tournée à Chicago en 1960, elle apprend le décès de sa mère. C’est en voulant se rendre à ses funérailles que le couperet tombe : en représailles pour sa participation au film dissident, le gouvernement de Pretoria révoque son passeport, empêchant ainsi son retour au pays. Ce tragique événement marque le début des 31 années d’exil politique de Miriam Makeba.

Pata Pata et le rêve américain

Le rêve américain. Ou presque. C’est ce que la chanteuse sud-africaine vit durant 10 ans avec sa fille Bongi. Adorée du grand public, elle compte parmi ses illustres admirateurs·ices Marlon Brando, Elizabeth Taylor ou encore Nina Simone. Bien que Marilyn Monroe lui ait quelque peu volé la vedette, la chanteuse fut également invitée à Madison Square Garden en 1962 pour offrir sa voix au président Kennedy à l’occasion de son anniversaire.

L’année 1965, Miriam Makeba devient la première artiste africaine à recevoir un Grammy Award pour son album An evening with Belafonte/Makeba, en collaboration avec Harry Belafonte, son mentor et ami. Les titres sont principalement chantés en isiZulu et isiXhosa, ainsi qu’en Sotho et en Swahili. Ces textes engagés visent à dénoncer les conditions de vie des citoyens·nes noirs·es sous l’apartheid.

En 1967, elle enregistre et diffuse son tube Pata Pata qui connaît un succès planétaire et la propulse au rang de star mondiale de la chanson.

Une militante pour le mouvement des droits civiques

Si la vedette est déjà pleinement engagée dans son combat politique contre le régime de son pays, elle lutte aussi activement contre les ségrégations raciales aux États-Unis. Elle épouse Stokely Carmichael, leader des Black Panthers : un parti activiste radical militant pour les droits civiques afro-américains. En 1969, le couple se voit banni du pays de l’Oncle Sam pour ses idées politiques et trouve refuge à Dalaba en Guinée, où Miriam vivra jusqu’en 1985.

« Mes concerts étaient annulés à droite et à gauche. Parler de l’apartheid en Afrique du Sud ne les dérangeait pas, mais parler de l’apartheid américain, si. »

Miriam Makeba : un symbole féminin de la lutte anti-apartheid et de la défense des droits humains

Une voix pour dénoncer l’injustice

« Aidez-nous à gagner nos droits à la dignité humaine ».

C’est sur cette phrase que Miriam Makeba termine sa déclaration devant le Comité spécial des Nations Unies à New York en 1963, devenant ainsi l’icône de la lutte anti-apartheid. Dans ce discours plein d’éloquence, elle enjoint les États membres au boycott de l’Afrique du Sud.

En guise de riposte, le gouvernement de Pretoria révoque sa nationalité, la laissant brièvement apatride. Bien que la vente et la distribution de ses disques soient interdites dans tout le pays, la musique de Mama Africa continue à être écoutée clandestinement. Pour le peuple noir sud-africain, elle représente un symbole d’espoir et d’irrévérence face à l’oppresseur.

« Je ne chante pas la politique, je ne chante que la vérité. »

La musique comme vecteur de paix et d’unité

Face à son audace et son engagement en faveur des droits de l’Homme, une dizaine de gouvernements lui offrent un passeport. Elle deviendra, entre autres, citoyenne tanzanienne, guinéenne, algérienne et française.

Polyglotte, Miriam prend plaisir à chanter dans diverses langues, intrinsèquement persuadée que la musique et les mots doivent « servir à construire et unir les gens et non à les diviser ».

En 1993, elle est la première femme interprète à recevoir le prix du Conseil international de la musique de l’UNESCO qui distingue « des musiciens·nes ayant contribué par leur activité à l’édification humanitaire du monde et au rehaussement de la culture musicale de l’humanité ».

Mama Africa : une icône panafricaine engagée

« J’ai conservé ma culture, j’ai conservé la musique de mes racines. Grâce à elles, je suis devenue cette voix et cette image de l’Afrique et de son peuple sans même en être consciente. »

Si Miriam Makeba est une citoyenne du monde, elle n’en reste pas moins intensément fière de ses racines et attachée à son héritage culturel. Elle milite d’ailleurs sans relâche pour l’unité et l’émancipation de l’Afrique. Elle se dit favorable à l’adoption d’une langue commune panafricaine pour « pouvoir se comprendre sans recourir à la langue du colonisateur ».

Dans sa musique, dans son style comme dans ses luttes, elle a toujours refusé de se soumettre aux diktats sexistes et racistes imposés par la société. Référence inspirante associée au mouvement Black is Beautiful des 60’s, elle ose assumer et affirmer pleinement son identité de femme africaine.

« Je vois les autres femmes noires imiter mon style, qui n’est pas du tout un style, mais plutôt laisser nos cheveux comme ils sont. Ils appellent ça le look afro. »

À la libération de Nelson Mandela en 1990, Miriam retrouve son Afrique du Sud bien-aimée après 31 ans d’exil. Elle s’éteint le 10 novembre 2008, en sortant de scène après un concert donné en soutien au journaliste italien Roberto Saviano. Créative, humaniste, désobéissante, talentueuse et engagée. Les adjectifs fusent, mais ne peuvent résumer la grande dame qu’était Mama Africa. « The real beauty of human rights », comme la décrit, encore une fois, si bien cette chanson composée par Jain en son hommage…

Jusqu’à la fin de sa vie, Miriam Makeba s’est dévouée à de multiples œuvres caritatives et a soutenu plusieurs projets humanitaires. Pour aller plus loin et découvrir une partie de son héritage, vous pouvez visiter le site de sa fondation et du Makeba Center for Girls.

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Nina Spilmont, pour Celles qui Osent

 

Sources :

Livre autobiographique : Makeba : My Story, James Hall & Miriam Makeba, 1988

Documentaire : Mama Africa, Mika Kaurismäki, 2011

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Sites officiels :

Œuvres citées :

  • Makeba, Jain, 2015 ;
  • Come Back Africa, Lionel Rogosin, 1959 ;
  • Pata Pata, Miriam Makeba, 1967 ;
  • An evening with Belafonte/Makeba, Miriam Makeba & Harry Belafonte, 1965.

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