Si elle évoque pour beaucoup les guinguettes de Paris et de Vincennes, Rosa Bonheur reste méconnue. Peintre à la fois libre et conformiste, femme excentrique pourtant adoubée par le régime, cette artiste emblématique de l’art animalier est une figure incontournable du féminisme. Hors-norme et définitivement moderne, découvrez la biographie de Rosa Bonheur.
Une artiste animalière reconnue de son vivant
Une jeunesse rurale au milieu des pinceaux
Rosalie Bonheur, dite Rosa, naît le 16 mars 1822 à Bordeaux. Elle est initiée dès l’enfance par son père aux disciplines artistiques et plus spécialement à la peinture et la sculpture. À la mort de sa mère, Rosa Bonheur commence à travailler au sein de l’atelier de son père en tant qu’artiste-peintre et s’intéresse en particulier aux animaux. Si la France du XIXe siècle est encore dominée par la ruralité, le monde de l’art se soucie peu de l’agriculture et de ses bestiaux. Pourtant, la jeune artiste se passionne pour les bovins, dont elle admire la musculature et décide d’en faire son sujet de prédilection.
En 1841, elle expose au Salon de la peinture et de la sculpture et reçoit une médaille pour ses toiles. Son style académique et réaliste séduit. L’État lui commande d’ailleurs une œuvre qui deviendra Labourage nivernais et qui rencontre un grand succès.
Ce début de reconnaissance l’amène à prendre la direction de l’École impériale pour filles. Rosa Bonheur, alors âgée de 27 ans, y forme de jeunes élèves à la peinture.
Le marché aux chevaux : une toile restée célèbre
Présenté au Salon de la peinture et de la sculpture de 1853, Le marché aux chevaux, un tableau aux dimensions gigantesques, lui apporte une gloire internationale. De la Belgique à l’Angleterre, jusqu’aux États-Unis, Rosa Bonheur fait voyager son art et est présentée aux grands noms de l’époque, comme la reine Victoria, ou encore William Cody, dit Buffalo Bill.
Cette toile lui permet également d’accéder à une certaine aisance financière, la rendant pleinement indépendante, y compris dans son style artistique. Les tableaux et dessins de la peintre se vendent désormais sans même avoir besoin d’être exposés. Elle peut ainsi se consacrer à son art sans se soucier de l’avis des artistes masculins de l’époque. Car ces derniers, s’ils lui reconnaissent un certain talent, ne manquent pas de railler son manque d’innovation et de modernité.
L’atelier du Château de By et la reconnaissance de son art par l’État
Situé en Seine-et-Marne, le Château de By, que Rosa Bonheur acquiert en 1860, lui servira d’atelier jusqu’à la fin de sa vie. Elle fait construire une ménagerie au sein du parc de plusieurs hectares, pour y accueillir ses nombreux animaux. Bœufs, chevaux et moutons dominent toujours l’œuvre de l’artiste : l’agriculture et la ruralité restent le sujet de la plupart de ses toiles.
La suite de sa carrière est marquée par l’intérêt que lui portent les puissants. L’impératrice Eugénie rend visite à l’artiste au château de By et lui commande une gravure sur bois, visible aujourd’hui au château de Fontainebleau. En 1865, Rosa Bonheur reçoit la Légion d’honneur et devient la toute première officière de cet ordre. Elle refuse cependant que lui soient rendus les honneurs militaires à sa mort.
Rosa Bonheur s’éteint au Château de By le 25 mai 1899 des suites d’une congestion pulmonaire, en laissant un tableau inachevé, La foulaison du blé en Camargue.
L’indépendance au cœur de la biographie de Rosa Bonheur
Une femme à contre-courant des normes de l’époque
Si son art est marqué par un certain conformisme, qui lui sera reproché par les artistes modernistes de l’époque, c’est surtout par ses choix de vie que Rosa Bonheur fait preuve d’une liberté rare chez les femmes du XIXe siècle.
Garçon manqué, l’artiste porte les cheveux courts, fume comme les hommes et travaille sans se soucier de mariage et d’enfants. Elle s’habille en pantalon, notamment lorsqu’elle visite les foires aux animaux qui lui servent d’inspiration. Rosa Bonheur doit pour cela faire une demande de travestissement auprès de la préfecture, comme l’exige la loi de l’époque. Cette ordonnance de 1800, qui n’a été abrogée officiellement qu’en 2013, imposait aux femmes de porter des robes en public. Des autorisations pouvaient toutefois être accordées, la plupart du temps pour raison de santé ou, comme pour Rosa Bonheur, dans un but professionnel. La demande devait cependant être renouvelée tous les six mois.
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Rosa Bonheur, icône lesbienne ?
Si son homosexualité n’est pas considérée comme un fait avéré par les historiens, Rosa Bonheur a uniquement partagé sa vie avec des femmes. Elle vit d’abord en concubinage avec Nathalie Micas, peintre également, qui décède en 1889. L’artiste partage ensuite sa vie avec Anna Klumpke, une artiste américaine, rencontrée quelques mois plus tôt. Celle-ci la rejoint au Château de By pour peindre son portrait et devient par la suite sa biographe. À sa disparition, Rosa Bonheur en fera son héritière et sa légataire universelle.
Une véritable business woman
Entrepreneure dès le début de sa carrière, Rosa Bonheur assure son indépendance financière en créant des ateliers de production et développe son réseau pour présenter ses tableaux et dessins. Ses toiles font même l’objet de spéculation de son vivant, fait inédit pour une artiste féminine.
Rosa Bonheur fait également reproduire ses œuvres en estampes pour les vendre au public, assurant ainsi la diffusion à grande échelle de son art.
Les nombreuses interviews qu’elle accorde, ainsi que les tournées qu’elle organise pour promouvoir son art, accroissent sa notoriété et la font connaître dans le monde entier.
De New York au bois de Vincennes, la postérité de l’œuvre de Rosa Bonheur
Une peintre oubliée après sa mort, admirée aujourd’hui
Si elle a longtemps été méprisée et presque oubliée du monde l’art, Rosa Bonheur est aujourd’hui reconnue pour sa vie émancipée, sa liberté et son ambition. Sa supposée homosexualité et son refus des normes sociales en font une figure féministe emblématique, ainsi qu’une représentante du mouvement LGBT+. Celle qui déclarait à ses étudiantes : « Je vais faire de vous des Léonard de Vinci en jupons », est considérée aujourd’hui par les historiens comme une pionnière de l’émancipation des femmes.
Les tableaux et sculptures de la peintre sont exposés dans les musées du monde entier, du musée d’Orsay de Paris au musée national de Varsovie, en passant par le Prado de Madrid. Sa toile la plus emblématique, Le marché aux chevaux, fait partie de la collection publique du Metropolitan Museum of Art à New York.
De nombreux lieux rendent hommage à Rosa Bonheur : une rue porte son nom dans le XVe arrondissement de Paris ainsi que dans d’autres villes de France ; un monument, représentant l’artiste tenant une palette, est érigé dans le jardin public de Bordeaux.
Une réplique d’une des sculptures de l’artiste, représentant un gigantesque taureau, trônait autrefois sur la place Napoléon-Bonaparte à Fontainebleau. Malheureusement réquisitionné par le régime de Vichy en 1942, le monument a été fondu pour récupérer le bronze dont il était composé.
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Un nouveau lieu Rosa Bonheur à Vincennes
En 2008, un premier établissement nommé d’après Rosa Bonheur ouvre ses portes au cœur des Buttes-Chaumont. Inspirée des cabarets populaires du XIXe siècle, cette guinguette moderne veut renouer avec la tradition du bal-musette. Suite à l’engouement qu’elle suscite, un deuxième lieu est créé en bord de Seine, puis un troisième à Asnières.
Atypiques et conviviales, les guinguettes Rosa Bonheur remportent un franc succès. Le public, souvent gay, lesbien et plus généralement anti-conformiste, est à l’image de l’artiste.
À Vincennes, le Rosa Bonheur-Est est inauguré en 2021, au Chalet de la Porte Jaune sur les bords du lac des Minimes.
Longtemps oubliée, la biographie de Rosa Bonheur est, au XXIe siècle, enfin honorée.
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Elisabeth Pampouille, pour Celles qui osent
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Le château de Rosa Bonheur se visite à Thomery, à côté de Fontainebleau.
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