Envie de lectures qui riment avec le renouveau de l’été, en terrasse, sur les plages ou dans la nature, pour accueillir ce vent de liberté qui va bientôt souffler un peu partout en France ? Ce sera donc une sélection fraîche, mais aussi pleine de vraies questions sur les rafales qui nous bousculent parfois en tant que femmes et qu’êtres simplement humains. Il y aura aussi des questions de société et des moments de gratuité bienheureux. Une petite sélection éclectique, avec de la BD, du roman et des sciences humaines. Un cocktail varié en somme qui ne manquera pas de poésie, pour nous faire vibrer, nous bousculer et nous inspirer. Voici notre top 5 des livres à lire en juin !
1.Le roman graphique « Le choeur des femmes »
Connaissez-vous le roman de Martin Winckler, « Le chœur des femmes », qui raconte l’arrivée d’une studieuse interne tout droit sortie de l’école de chirurgie, dans un service de gynécologie/obstétrique prestigieux ? Pleine de bonne volonté et de grands principes, féministes pour la plupart, elle s’imagine révolutionner ce monde hospitalier qu’elle considère comme un peu arriéré, pour aider les patientes sur le mode de l’efficacité et de la technicité. Pourtant, rien ne se passe comme prévu. C’est même une catastrophe sans nom pour son égo et les valeurs qu’elle croit juste. Face à la diversité des cas, des situations et des personnalités de ses patientes, ses idées reçues vont devoir tomber une à une pour vraiment comprendre l’enjeu de son métier. Une BD superbement illustrée par Aude Mermilliod, avec un trait épuré, simple et frais qui exprime l’essentiel de cette oeuvre avec poésie : ce qui nous relie en temps que femmes, c’est que nous sommes uniques et que nos corps nous appartiennent !
2. « L’âge d’or », de Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa
Comment parler de ce roman graphique tant loué sans aborder en premier lieu la splendeur du dessin, qui ne connaît aucune équivalence tant il crée un monde et une atmosphère à part ? Un peu féérique sûrement, d’une gamme chromatique riche qui souligne avec précision un trait épuré et incisif, toujours au service du propos. Tout comme un procédé littéraire nous fait entrer dans un roman d’une manière unique, le dessin de Cyril Pedrosa nous embarque dans une idée du monde poétique, élégante et à la fois parfois abrupte, révélant des aspects sombres de la réalité, de manière peut-être encore plus vraisemblable. Les expressions des visages, l’extrême variété des plans et des points de vue, la gratuité de certaines planches qui n’ont de motif que le plaisir des yeux, bref, on adhère à 100 % et même plus. Et l’histoire alors ? Et bien, elle est aussi géniale que l’illustration est saisissante. C’est dire ! Un royaume en décadence, abusé par un pouvoir provisoire qui affame ses sujets et une jeune princesse clémente promise à la gouvernance, qui se voit écartée du trône insidieusement. Jusque là, rien de très original vous allez me dire, mais attendez. Lancée en exil sur les routes pour éviter l’exécution, avec ses loyaux serviteurs qui sont restés auprès d’elle, elle parcourt le royaume en anonyme et y découvre l’envers du décor. Face à la réalité des enjeux de domination et de corruption, on découvre qu’elle n’est pas si blanche qu’il n’y paraît. Une des leçons qui traverse cette dystopie illustrée, c’est que les enjeux du pouvoir sont plus complexes qu’il n’y paraît. C’est bien souvent parce qu’on croit naïvement que les méchants combattent les gentils qu’une idéologie se substitue à une autre et qu’au fond, ce sont toujours les mêmes schémas qui se reproduisent. C’est sans compter sur un mystérieux document qui raconte l’âge d’or que la famine, la guerre et la domination pourrait enfin prendre fin.
3.« Betty » de Tiffany MCDaniel
Ah les Gallmeister ! Et particulièrement la sélection de 2021, ça envoie du lourd. En gros, ce sont des chefs-d’œuvre américains remastérisés, dont les récits se déroulent dans de grands espaces typiques des états profonds, comme l’Alabama, le Wisconsin, La Nouvelle-Orléans, etc. Vous voyez la maison blanche dans Forest Gump avec les balcons extérieurs pour accéder aux chambres, la terrasse surélevée à l’entrée avec son rocking-chair et un parc au milieu duquel trône un arbre centenaire (comme dans la chanson de Sia, « Fire and Gasoline ») ? Nous l’ambiance, on est fan. Bref, le cadre de Betty c’est un peu ça, dans l’Ohio. Betty, c’est une petite métis indienne, née d’un père Cherokee et d’une mère issue de la paysannerie profonde et miséreuse du sud à la fin du XIX° S, dont l’enfance s’annonce d’emblée difficile. Comme la vie est dure pour les poètes ! Cette famille atypique de 6 enfants traverse l’existence du mieux qu’elle peut, avec ses traumatismes, ses morts prématurées et ses tabous, dans une Amérique Wasp (white anglo-saxon protestant) basique. C’est sans compter sur les légendes et les remèdes magiques de ce père fabuleux qui sait faire du morne quotidien un enchantement, dans les interstices où la vie leur laisse un peu de répit. Pour ne pas vous mentir, vous allez pleurer, c’est sûr, car si la beauté enchante ces pages, elle est aussi la matérialisation de l’éphémère fragilité qui emporte tout sur son passage. Mais des larmes pour un si beau roman, croyez-nous, ça n’aura jamais été vain.
4.« Propaganda » de Edward Bernays
Une sélection risquée qui peut tout à fait vous bousculer au point que vous ne soyez pas d’accord avec nous. Mais à quoi bon écrire pour éviter les vagues et risquer de passer à côté de débats constructifs ? Voici donc « Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie ? » d’Edward Bernays, issue de la superbe édition Zones qui réunit des titres incontournables comme « Sorcières » de Mona Chollet ou « Jouir » de Sarah Barmak. Ce texte brut révèle les techniques de manipulation de l’opinion publique et de la fabrique immorale du consentement. Il n’est donc pas fait pour réjouir les foules vis-à-vis de l’intention de nos élites politiques, y compris et surtout à l’époque actuelle (avec les moyens de contrôle qu’il existe désormais). Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, a de qui tenir en ce qui concerne la psyché humaine, qu’il adaptera de manière assumée au business, à la finance et à la politique. Cette source en elle-même est une mine d’or, qui aide à faire comprendre de quelle manière les puissants de ce monde récupèrent nos bonnes intentions, pour non seulement nous faire admettre l’inacceptable, mais aussi, pour nous y faire participer. De la démocratisation de la cigarette pour motifs féministes, en passant par l’immigration massive pour la main d’œuvre et les frictions culturelles orientées, pour finir entre autres par des guerres destinées au vol des matières premières déguisées en soutien occidental, Bernays nous révèle les dessous du pouvoir. Et ce n’est pas des plus réjouissant, on vous l’accorde. Précurseur d’un nouveau type de propagande beaucoup plus insidieux, basé sur des savoirs neurocognitifs des masses qui dépassent aujourd’hui largement l’époque freudienne, l’éthique est loin d’être sa motivation principale. Tout cela donne d’ailleurs froid dans le dos, mais il convient de choisir sciemment entre une vérité insupportable ou un mensonge confortable, à ses risques et périls, bien sûr. Quant au féminisme, il se pourrait qu’il y ait déjà eu d’énormes arnaques idéologiques qui lui aient été liées, à notre entier détriment, dont la connaissance des rouages pourrait faire réellement avancer la cause des femmes… À vous de voir si comme dans Matrix vous choisirez la pilule bleue ou la pilule rouge !
5.« L’appel de la forêt » de Jack London
Pas tout à fait féministes, nous en convenons. Mais tout de même, peut-on continuer à vivre décemment si on n’a pas lu « L’Appel de la forêt » de Jack London ? Il est difficile de vous répondre par l’affirmative. Sa démarche déjà ! Non, mais ?! Savez-vous que cet écrivain a passé plus de 30 ans de sa vie à écrire avec acharnement sans bénéficier de la moindre reconnaissance sociale et qu’il a vécu dans une misère noire en dépit d’un talent inestimable ?! Tour à tour bandit, pirate, manœuvre sur les chantiers, il a toujours gardé un temps pour noircir ses carnets d’idées pendant que ses collègues s’achevaient lentement dans les bars. Quand on y pense, cette détermination semble invraisemblable. Qu’est-ce qui a pu indiquer à cet homme que malgré les coups du sort qui l’ont mis à terre toute sa vie durant, il fallait continuer à se battre ? Qu’est-ce qui fait persévérer une personne aussi longtemps dans l’écriture alors qu’il ne rencontrait aucune approbation publique pendant tant d’années ? Nous n’en savons rien. C’est seulement à la publication de la splendide autofiction qu’est « L’Appel de la forêt » qu’il sera enfin reconnu comme un indéniable génie. Le protagoniste Buck, digne représentant de Jack London en version canine, apprendra la vie à coups de bâtons, de sueurs et de sang, après avoir été enlevé du domaine familial où il résidait en maître. Assommé par les épreuves de la vie, il tirera sa force légendaire d’un idéal de liberté enfoui tout au fond de ses racines, qui fera de lui un être indomptable, à jamais. Ce n’est pas nécessairement à lire sur la plage en sirotant un mojito, on vous l’accorde. Mais cette lecture est un hymne à la détermination qu’il faut arracher à la vie, pour se tracer un chemin digne et honorable. Écrit dans une langue simple et percutante, en plus. Alors, allez-y, vraiment !
On vous parlait de fraîcheur dans l’introduction, mais il va sans dire que ce n’est pas une légèreté à la Musso, Gounelle ou Anna Gavalda. Non pas qu’il soit impossible de leur reconnaître le talent de faire passer des idées complexes de manière accessible et sympathique, mais nous avons préféré des livres qui vous secourons davantage les méninges et la moralité. Quitte à vous faire recracher votre mojito par les trous de nez, autant que ce soit avec poésie, brio et finesse !
Charlotte Allinieu, Web Journaliste pour Celles qui Osent
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