Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Delia Akeley, l’aventurière libertaire. Cette femme indépendante au destin extraordinaire gagne pourtant à être connue. En réalisant la prouesse de se faire une place au sein d’un milieu exclusivement masculin, Delia devint une source d’inspiration et un véritable sujet d’admiration pour les femmes de son époque. Rebelle dans l’âme et exploratrice des savanes africaines, pleine de hardiesse, découvrez le parcours exaltant d’une pionnière du féminisme.
La jeunesse de Delia Akeley
Des origines modestes
Delia Julia Denning a vu le jour le 5 décembre 1869 au Wisconsin, à quelques dizaines de kilomètres du lac Michigan, dans la petite ville de Beaver Dam (dont le nom signifie littéralement « barrage de castor »). Née de parents agriculteurs d’origine irlandaise, Patrick et Margaret Denning, Delia est la benjamine d’une fratrie de neuf enfants.
À l’âge adulte, elle restera très discrète sur son enfance, pour ne pas dire totalement muette. Est-ce par honte de l’extrême pauvreté dans laquelle se trouvait sa famille, ou afin de ne pas raviver les douloureux souvenirs d’un âge tendre qui n’en avait que le nom ? Nul ne le sait. Il semble cependant que la jeune Delia Denning ait développé très tôt un caractère bien trempé.
L’adolescente rebelle s’émancipe
Surnommée “Mickie”, Delia est dépeinte comme une enfant rebelle, turbulente et agitée, qui « préfère les jeux de garçons aux jeux de filles ». Mue par une soif inextinguible d’indépendance et de liberté, elle fuit la maison familiale dès la fin de son adolescence pour se rendre à Milwaukee, ville de la rive ouest du lac Michigan. Un an plus tard, en 1889, elle y prend pour époux un coiffeur nommé Arthur Reiss.
C’est lors d’une partie de chasse où elle accompagne son mari que la future aventurière fait la rencontre de Carl Akeley. La jeune femme est rapidement fascinée par le travail de l’artiste reconnu pour être un spécialiste des dioramas (grandes peintures soumises à des jeux d’éclairage, très à la mode au 19e siècle) et qui sera considéré comme le père de la taxidermie moderne. En 1902, après 13 ans de mariage, Delia quitte Arthur Reiss. Elle épouse Carl 8 mois plus tard, engageant ainsi sa destinée sur le chemin de l’Afrique.
Delia et Carl Akeley, couple d’explorateurs des savanes africaines
Première expédition à la chasse aux éléphants
Alors taxidermiste en chef du Field Columbian Museum de Chicago, Carl Akeley est missionné en 1905 pour diriger une expédition en Afrique de l’Est. L’objectif ? Rapporter des spécimens d’éléphants aux États-Unis afin d’y être exposés au musée de Chicago. Ne voulant pour rien au monde passer à côté d’une telle opportunité, Delia décide d’y accompagner son mari.
Au cours de ce voyage de près d’une année, elle apprend aussi bien à préserver les peaux des animaux sur le terrain, qu’à construire des abris ou à chasser le petit gibier pour survivre au cœur de la brousse africaine. Devenue chasseuse non par goût, mais par la force des choses, Mickie se révèle pourtant très habile au tir. Le plus imposant des spécimens d’éléphants exposés au Field Museum fut fauché par une balle de son fusil.
Retour en Afrique : l’aventurière Delia sauve son mari… 2 fois !
Suite au succès de sa première expédition, le couple Akeley se voit confier une nouvelle mission en 1909, mais cette fois-ci pour le compte du Musée d’histoire naturelle de New York. Les Akeley repartent donc avec entrain vers les terres africaines.
Un jour, alors que Carl sillonne la savane à la recherche de gibier, le taxidermiste est violemment attaqué par un éléphant. Grièvement blessé, il est laissé pour mort par ses assistants qui prennent la fuite, terrifiés. Déterminée à secourir son mari, Mickie parvient à convaincre ses porteurs de l’accompagner pour une périlleuse mission de sauvetage. Après un dangereux périple au travers de la montagne, Delia et son équipe atteignent enfin l’hôpital où Carl pourra être soigné.
Quelque temps plus tard, le décidément malchanceux Carl est atteint par la « fièvre des eaux noires » (assimilée à la dysenterie, maladie infectieuse du côlon potentiellement mortelle). Armée de tout son courage, Delia Akeley parviendra à guérir son mari et à le sauver, une fois de plus, d’une mort certaine.
Le singe de la discorde
À leur retour d’Afrique, les Akeley sont accueillis en héros. Mais déjà, les époux prennent des chemins différents. Alors que Carl reprend ses travaux de sculptures pour dioramas, Delia se passionne pour un primate ramené du Kenya qu’elle a apprivoisé : “J.T. Junior”. Elle se consacre alors entièrement aux soins et à l’étude du singe, écrivant même un ouvrage sur la psychologie des primates salué pour son approche non anthropomorphique. Déjà las de l’obsession de sa femme pour J.T., Carl Akeley ne supportera pas le départ de l’indépendante et intrépide Mickie, partie rejoindre un corps expéditionnaire américain en France. Leur divorce sera prononcé en 1923.
Delia et les Pygmées : l’aventurière libertaire se révèle
Expédition solo du Kenya au Congo
En 1924, à l’âge de 55 ans et portée par son âme d’aventurière éprise de liberté, Delia Akeley décide de repartir en expédition (en solitaire !) pour l’Afrique de l’Est. Mickie fait partie des premières occidentales à explorer les terres arides du désert traversant le Kenya et l’Éthiopie. Elle organise même une périlleuse descente en pirogue de l’immense fleuve Tana, le plus long du pays kényan !
Pour terminer sa première excursion en solo, Delia prend la direction du Congo avec une seule idée en tête : rencontrer les Pygmées, ce peuple de petite taille découvert seulement quelques décennies auparavant. En parvenant à interagir avec plusieurs tribus des forêts congolaises, l’aventurière libertaire se découvre une véritable passion pour l’anthropologie. À peine rentrée à New York en 1925, elle réfléchit déjà à son prochain voyage…
Delia rencontre les Pygmées Mbuti de la forêt d’Ituri
Pendant les 4 années où Mickie prépare sa future expédition, elle émet une hypothèse : « Depuis ma première expérience avec les tribus primitives de l’Afrique Centrale, j’ai la ferme conviction que si une femme s’aventurait seule, sans escorte armée et vivait dans les villages, elle pourrait se lier d’amitié avec les femmes et obtenir des informations précieuses et authentiques sur leurs coutumes tribales ».
Décidée à prouver sa théorie, Delia repart pour l’Afrique vers des territoires encore inexplorés du Congo. C’est au cœur de la forêt d’Ituri que l’aventurière rencontre les Pygmées de la tribu Mbuti. Armée de tout son courage et d’une volonté sans failles, elle part trouver le chef du village (le « sultan ») qui finit par accepter qu’elle séjourne parmi eux.
S’installant au sein de la tribu, Mickie s’attelle donc à se lier d’amitié avec les femmes. L’exploratrice s’attire habilement leurs faveurs en les interrogeant sur leurs enfants, leurs vêtements ou encore leur nourriture, recueillant ainsi des informations précieuses et inédites sur leur culture. Elle charme même les plus jeunes en leur apprenant le saut à la corde ! L’aventurière libertaire aura d’ailleurs ce commentaire non dénué d’ironie : « Un jour, nous apprendrons sans doute qu’un voyageur a visité les Pygmées de la forêt d’Ituri et qu’il a découvert que le peuple de petite taille était à l’origine du jeu de la corde à sauter ! ».
De retour à New York avec près de 1 500 photographies, elle publie avec un succès retentissant ses images et observations des Pygmées Mbuti. Bien que cette expédition soit sa dernière, Delia continuera à donner des conférences sur ses expériences dans toute l’Amérique.
Delia Akeley : une pionnière du féminisme
Poussée par un courage ahurissant, une témérité sans limites et un puissant désir d’émancipation chevillé au corps, Mickie Akeley s’est affranchie des dictats d’une société encore profondément machiste. Indocile, insoumise et opiniâtre, l’aventurière a prouvé au monde entier qu’une femme pouvait exceller dans des domaines considérés jusque là comme réservés aux hommes. Sans trop s’avancer, on peut affirmer qu’elle a même largement surpassé un bon nombre d’entre eux !
Elle a su utiliser les atouts conférés par sa féminité (notamment sa gentillesse, sa sensibilité et son intelligence) pour s’introduire et se déplacer librement au sein de la communauté pygmée, chose qu’un homme n’aurait jamais pu espérer réaliser. Et lorsqu’elle voit le sultan de la tribu Mbuti battre son épouse, elle s’interpose immédiatement mettant fin à cette scène de violence. Gageons qu’un homologue masculin ne serait probablement pas sorti indemne d’une telle confrontation !
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, Delia fut une source d’inspiration et de fierté pour ces contemporaines, en vérité figure de proue d’un mouvement féministe encore à naître. Parvenue au terme d’une vie pleine d’aventures palpitantes, elle décède le 22 mai 1970 à l’âge de 100 ans.
Ainsi s’achève notre périple aux côtés de l’exploratrice et aventurière libertaire Delia Julia Akeley. Une femme forte, indépendante et rebelle qui aura marqué les esprits de toute une génération. Féministe avant l’heure, elle demeure aujourd’hui un véritable modèle d’émancipation.
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Vincent Le Bourhis, pour Celles qui osent
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