Billy Tipton, l’histoire du jazzman qui cachait sa transidentité

Billy Tipton, célèbre jazzman, pianiste et saxophoniste des années 50, est un homme trans américain dont l’histoire a défrayé la chronique, faisant les unes de plusieurs tabloïds américains. Marié et père de 3 garçons, la découverte en 1989 de son « secret » a fait scandale. En effet, Billy Tipton a fait le choix d’être un homme et a eu le courage de cacher toute sa vie ses attributs sexuels féminins à son public, mais aussi aux femmes de sa vie. Voici l’histoire du jazzman qui cachait sa transidentité…

Dorothy Lucille Tipton rêve de devenir jazzwoman

Dorothy Lucille Tipton est née à Oklahoma City en 1914, d’un père pilote et d’une mère pianiste dans les bals. Lorsqu’elle a 4 ans, ses parents divorcent et elle est alors élevée chez sa tante à Kansas City, ville connue pour être le berceau du jazz. C’est une petite fille intrépide, que l’on qualifie de « garçon manqué ». Dans les années 30, Dorothy est une adolescente qui rêve de danser dans les boîtes de jazz, à une époque où les femmes se libèrent, dansent et s’habillent « à la garçonne ».

Fascinée par les rythmes jazzy, Dorothy apprend lors de ses études secondaires, à jouer du piano et du saxophone et rêve d’intégrer l’orchestre de son école. Mais le règlement scolaire interdit aux femmes d’y jouer.

annonce sortie livre Patiente de Violaine Berlinguet

La jeune musicienne ne se décourage pas et parvient, en 1932, à rejoindre un groupe de jazz, ce qui est rare, car très peu de bands n’engagent de femme avec eux. Il faut savoir réaliser des performances, improviser et pouvoir jouer des nuits entières en supportant la fumée de cigarette et les vapeurs d’alcool.

Au départ, Dorothy se travestit pour se faire engager et exercer ce métier qui exclut les femmes. Elle porte alors des vêtements d’hommes, se coupe les cheveux, se bande les seins et rembourre son pantalon pour paraître crédible. Elle adopte le surnom de son père, Billy, puis commence à vivre de sa passion en jouant au piano dans les bars de jazz d’Oklahoma.

Lien vers des formations en écriture digitale

Le Billy Tipton trio, un jazz-band à succès

Surnommé « Happy Billy », le jazzman séducteur, bon vivant et toujours de bonne humeur, forme son propre trio dès 1954, le Billy Tipton trio, composé de Tipton au piano, Dick O’Neill à la batterie, et Kenny Richards (et plus tard Ron Kilde).

Au cours d’une tournée au King’s Supper Club à Santa Barbara, en Californie, le trio est remarqué par un producteur : ils enregistrent deux albums de jazz à succès. Malheureusement, Billy décline une très belle proposition en tant que groupe maison à l’Hôtel de vacances à Reno, au Nevada, car un trop gros succès mettrait en péril son secret et sa vraie identité sexuelle. Alors il continue sa carrière très honorable avec son trio, jouant du jazz et de la musique populaire, mais est contraint de prendre sa retraite en 1970. Souffrant d’arthrite, Billy ne peut plus jouer.

Billy Tipton, le jazzman américain séducteur

À partir de 1940, Billy Tipton décide de ne plus jamais réapparaître en femme, et de rester « homme » même dans sa vie privée. Il devient un jazzman séducteur, et se plaît à être courtisé par des femmes, multipliant ainsi les aventures. Comme l’explique Hélène Soumet dans son livre « Insoumises et conquérantes, travesties pour changer le cours de l’Histoire », le travestissement d’une femme en homme peut d’abord apparaître comme une joyeuse transgression des interdits et montrer la volonté d’émancipation des femmes. » Or, dans le cas de Billy Tipton, Dorothy Lucille a définitivement adopté la tenue et le nom d’un homme.

Sur les 5 femmes de sa vie, deux ont compris et se sont tues, mais les trois dernières ignoraient tout de son identité de femme. Pour ne pas être démasqué, il raconte qu’il a eu un grave accident qui le contraint à porter un corset et des bandages sur les parties génitales. Il s’aide, dans l’obscurité, d’artifices pour que ses admiratrices ne remarquent rien. À l’époque, les gens ne pensent pas aux personnes transsexuelles. Elles sont ignorées, cachées.

En 1960, Billy épouse Kitty Oakes, une stripteaseuse, avec qui il adopte 3 garçons : John, Scott et William. Sa femme dira de lui que « c’était un père aimant et affectueux. »

Mais à l’adolescence des enfants, les relations conjugales et familiales se détériorent : Billy quitte la maison et termine sa vie en fumant trop de cigarettes, dans une caravane défraîchie.

Billy Tipton, le jazzman qui cachait sa transidentité

En janvier 1989, Billy croit avoir contracté la tuberculose, mais tarde à se rendre chez le médecin. (D’ailleurs, Billy n’allait jamais chez le docteur pour ne pas révéler sa transidentité.)

Inquiet, son fils, William, le conduit finalement à l’hôpital, bien trop tard. Billy meurt le jour même d’un ulcère hémorragique, à l’âge de 74 ans. Après l’autopsie, sa transidentité est découverte.

Kitty décide alors de faire incinérer son mari pour éviter le scandale, mais leur fils William décide d’en parler à la presse : cette histoire sensationnelle fait la Une et est racontée à la télévision. Cette médiatisation posthume a contribué, entre autres, à rendre célèbres ses morceaux What is a thing called love ? Under a blanket of blue ou Don’t blame me

« C’est important de rappeler qu’être trans n’est pas un choix ni un jeu et encore moins une dissimulation ou un déguisement. (…) Il n’y a pas encore beaucoup de place pour la parole des hommes trans. Alors ce film sur Billy c’était aussi une occasion de leur donner la parole et de raconter l’histoire de leur godfather, d’une certaine façon.” Sarah Spring, productrice

Le documentaire No Ordinary Man/Un Vrai Gentleman, sorti en 2020, raconte la véritable histoire de Tipton avec une perspective trans. Il souligne aussi le fait que pendant des siècles, la survie des personnes transsexuelles dépendait de leur invisibilité.

La vie de Billy nous rappelle que personne ne peut prétendre connaître le genre d’une personne seulement en la regardant. Son histoire est celle d’un homme en avance sur son temps, qui se cachait en plein jour, mais qui faisait à la fois tout pour être « sous les projecteurs »…

Pour aller plus loin :

Violaine Berlinguet — Celles qui Osent

Sources :

« Insoumises et conquérantes, travesties pour changer le cours de l’Histoire », Hélène Soumet

Billy Tipton — Wikipédia

Billy Tipton, la belle histoire queer d’un vieux jazzman assigné femme

Billy Tipton, jazzman trans et vrai gentleman — URBANIA

Celles qui osent instagram
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.