La vie d’Adèle vs Le bleu est une couleur chaude : entre fantasme masculin et œuvre engagée

En 2013, La Vie d’Adèle sort au cinéma. Le film réalisé par Abdellatif Kechiche raconte une histoire d’amour entre deux femmes. Il fait grand bruit et remporte la palme d’Or à Cannes l’année de sa sortie. Mais La Vie d’Adèle, c’est surtout un roman graphique de Jul Maroh, auteur trans et féministe, intitulé Le bleu est une couleur chaude, lauréat du prestigieux prix du public du festival d’Angoulême 2011. Celles qui Osent revient sur le parcours de l’auteur et son engagement.

La vie de Jul Maroh

Jul Maroh, né Julie Maroh en 1985 à Lens, dans le Pas-de-Calais, publie en 2010 Le bleu est une couleur chaude, son premier album, après des études d’art à Roubaix puis à Bruxelles. Auteur engagé, non-binaire, « queer et transféministe », comme il se définit dans sa biographie Instagram, il fonde en 2015 le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme et milite contre la marginalisation des autrices de BD.

Jul Maroh dessine pour réinventer nos sexualités et questionne l’évolution et la mutation de nos corps dans le monde qui nous entoure. Dans City and gender, qu’il publie en 2013, l’auteur interroge le rapport entre corporéité et urbanité : comment s’approprier la ville quand on est un citadin plongé dans l’anonymat ? Comment hommes et femmes évoluent-ils dans cet espace ?

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Dans Corps Sonores, un roman graphique publié aux éditions Glénat en 2017, il suit la vie d’un couple, du premier jeu de séduction à la rupture. Loin des stéréotypes de genre habituels, l’auteur met en scène la rencontre amoureuse et la séparation de manière intimiste et touchante.

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La vie d’Adèle : l’avis de l’auteur du Bleu est une couleur chaude

Si Abdellatif Kechiche, réalisateur reconnu, a gagné en notoriété grâce à la Vie d’Adèle, ce fut moins le cas pour Jul Maroh qui, malgré la reconnaissance du monde de la bande dessinée obtenue grâce au prix Angoulême, est resté dans l’ombre du réalisateur. Après la sortie du film, l’auteur écrit sur son site internet :

« Kechiche est passé par le même processus que tout autre lecteur, chacun y a pénétré et s’y est identifié de manière unique. Il s’est approprié un récit qui ne m’appartient déjà plus dès l’instant où il figure dans les rayons d’une librairie. »

Pourtant, il ajoute plus loin ne pas avoir supporté les scènes de sexe lesbien entre Clémentine et Emma, les deux personnages joués par Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux :

« C’est ce que ça m’évoque : un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn et qui m’a mis très mal à l’aise. […] Sacraliser encore une fois la femme d’une telle manière, je trouve cela dangereux. En tant que spectatrice féministe et lesbienne, je ne peux donc pas suivre la direction prise par Kechiche sur ces sujets. »

Les scènes de sexe ne furent pas la seule polémique autour du film. Abdellatif Kechiche fut également accusé de harcèlement moral et par ses techniciens, dont certains d’entre eux ont démissionné en raison des conditions de travail. Les actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, ont également dénoncé les conditions dans lesquelles s’est réalisé le tournage, notamment celui des scènes de sexe. Léa Seydoux a d’ailleurs déclaré ne plus vouloir tourner avec le réalisateur Franco-Tunisien après la sortie du film.

Le film de Kechiche, un fantasme masculin ?

« Toute cette succession de positions, c’est la vision d’un homme hétéro, un fantasme masculin. »

Ce sont les mots prononcés par Jul Maroh lors d’une interview accordée en 2013 au Parisien dans laquelle il revenait sur l’adaptation par Abdellatif Kechiche de son roman graphique. Dans la bande dessinée, l’auteur montre longuement la souffrance de Clémentine, adolescente lesbienne, pour laquelle il est extrêmement difficile de faire son coming out. Moquée par ses camarades de classe, rejetée par ses parents, elle parvient tout de même à vivre une histoire d’amour avec Emma.

Dans le film de Kechiche, cette souffrance est bien moins mise en valeur. De plus, les scènes de sexe lesbien sont filmées de manière caricaturale et stéréotypée, empruntes de male gaze, dont nous parlions dans un article paru récemment sur Celles qui Osent.

Aujourd’hui, Jul Maroh continue toujours de dessiner. L’année dernière, il a produit une bande dessinée pour le premier numéro de La Déferlante – une revue féministe – sur l’engagement de femmes opposées au projet de centrale nucléaire de Plogoff en Bretagne, en 1976.

☕️ Poursuivez votre lecture sur CQO avec notre article sur l’histoire des luttes LGBT+.

Victoria Lavelle pour Celles qui Osent

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