Dans un monde saturé d’images, Maht Hilda choisit de leur donner une seconde vie à travers l’art du collage. Cette artiste française, dont le parcours créatif s’est enrichi au fil des voyages et des expériences, transforme des magazines anciens et des livres abîmés en œuvres percutantes qui interrogent notre société. Féministe engagée, elle utilise son art comme un moyen d’expression politique et social, donnant une voix particulière aux femmes et aux minorités. De son enfance créative à son récent séjour en Nouvelle-Calédonie, en passant par son expérience d’enseignante documentaliste, chaque étape de sa vie a nourri sa démarche artistique. Dans cette interview, elle nous dévoile les coulisses de sa pratique, ses inspirations – de Frida Kahlo à Barbara Kruger – et sa vision du rôle de l’art dans les luttes contemporaines.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’as conduit à choisir le collage comme moyen d’expression ?
Mon goût pour les arts s’est développé tout au long de ma vie, mais a pris racine dans mon enfance. Souvent invitée par mes parents à m’occuper seule, je passais mon temps à fabriquer des objets, travailler la terre ou écrire des histoires que j’illustrais. De cette manière, je me sentais connectée au présent et capable en même temps d’en sortir par le biais de mon imagination. Je jouissais d’une grande liberté et c’est, je crois, ce qui m’a permis de développer mon imaginaire et mon sens créatif. Dans l’adolescence j’ai poursuivi avec la musique en apprenant la guitare et je me suis essayée au théâtre et à la peinture.
Arrivée à l’âge adulte, j’ai beaucoup voyagé – carnet et appareil photo toujours sous la main – et je me suis inspirée de tout ce qui me traversait. C’est par les voyages que je vais alors nourrir mon appétit artistique, en cherchant l’émotion autant dans les musées, les galeries, que dans les rues – à la recherche d’artistes et de créateur.ice.s prêt.e.s à m’ouvrir les portes de leurs univers. Ma récente expatriation de deux ans en Nouvelle Calédonie m’a également apporté l’espace-temps et l’inspiration nécessaires à mes débuts dans le collage.
En parallèle, j’ai fait l’expérience d’ateliers artistiques en tant que professeure documentaliste, en collaboration avec les enseignante.s d’art plastiques et d’autres partenaires (artistes, infirmièr.es, associations…). Nos objectifs étaient alors d’ordre pédagogique, mais j’ai pu toucher du doigt l’intérêt thérapeutique de la démarche que nous menions lors de projets théâtre, d’écriture ou d’arts plastiques. J’ai pu observer les bienfaits de la rencontre avec l’art, dans l’amélioration de l’expression des jeunes, dans leurs interactions et dans la gestion de leurs émotions. Cela m’a donné l’envie de poursuivre mon travail personnel et de le partager.
Le collage est apparu comme une évidence sur laquelle je suis tombée – par hasard ! – il y a quelques années sur les réseaux sociaux. Je me suis mise à suivre des artistes de collages qui faisaient des choses très différentes.
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Le collage est ma technique artistique principale depuis bientôt quatre ans. Il revêt une dimension sensorielle qui ramène à l’enfance et c’est une sentiment que j’adore retrouver. Le collage a aussi l’intérêt de sortir de blocages de type » je ne sais pas dessiner » ou » je ne sais pas quoi représenter « . C’est une activité de gestion de ses émotions, de pleine conscience qui permet de s’extraire des pensées pour s’exprimer autrement.
Enfin, notre société étant celle du consumérisme et de la profusion d’images, j’ai aimé l’idée d’en faire mon matériau de prédilection en leurs donnant une seconde vie.
Quelles sont tes principales sources d’inspiration ? Y a t-il des artistes ou mouvements artistiques qui influencent ton travail ?
Je dirais tout d’abord que mes principales sources d’inspiration sont mes propres émotions; celles qui m’animent quand je travaille sur un projet ou qui me font m’arrêter sur une illustration en particulier. L’inspiration est aussi directement liée à mon intuition et à mon imagination, comme lorsque deux images matchent ensemble et me font progresser dans mon processus créatif. À l’inverse, je puise aussi mon inspiration dans le monde qui m’entoure, d’où le nombre d’oeuvres qui défendent certaines causes essentielles pour moi.
Ma recherche est constante et mon travail de veille quotidien pour booster ma créativité. Au delà de mes lectures ou des vidéos et podcasts qui alimentent mon travail de recherche, je m’inspire aussi des artistes dont je suis quotidiennement le travail sur les réseaux et par d’autres biais (expositions, art vivant etc).
Je m’inspire également de grands artistes; parmi elles.eux je peux citer Georgia O’Keeffe, Frida Kahlo, Salvador Dali, Egon Shiele, Tamara de Lempicka, Niki de Saint Phalle, Georges Braque ou encore des artistes pionniers du collage tels qu’Hannah Höch, Barbara Kruger ou Joe Webb.
En ce qui concerne plus particulièrement le collage, Inès Kouidis a beaucoup travaillé sur les portraits, d’abord en peinture puis en collage. Parmi les sujets de prédilection que nous avons en commun il y a la beauté, le féminisme et la rébellion ou encore le bonheur. Ses œuvres offrent une vision satirique de certains problèmes majeurs de la culture mainstream. Tout comme elle, je commence par enquêter sur la vie des personnalités dont je fais le portrait pour y incorporer des éléments qui les représentent. J’utilise aussi des fragments de textes. Nous cherchons toutes deux à refléter au plus près la personnalité du sujet, à rendre visible l’invisible.
Barbara Kruger, à l’époque post moderne, juxtaposais des images tirées de la presse américaine des années 50 avec des messages provocateurs. Je rejoins cette artiste dans sa critique de la société de consommation.
De même, Joe web manipule les images pour évoquer la réflexion. Ses thèmes favoris se rapprochent également des miens : environnementalisme, nostalgie et nature complexe des expériences humaines.
Je m’inspire enfin d’artistes actuels dont je suis quotidiennement le travail sur les réseaux sociaux (@Monsieurcollage, @renegarza, @gluepaperscissors etc.).
Comment choisis-tu les images que tu utilises pour tes collages ? Y a t-il des thèmes ou éléments récurrents que tu privilégies ?
Je chine quand je peux des magazines anciens ou vintages, notamment lors de mes voyages. Je récupère également des livres abimés auprès de bibliothèques ou d’établissements scolaires, pour créer mes propres oeuvres.
Je choisis ensuite les images en fonction de mon projet en cours, d’une thématique que je veux aborder, ou parfois complètement à l’instinct, en sélectionnant des images qui m’inspirent. Cela peut être soit parce que je leur trouve un intérêt esthétique ou artistique, soit parce qu’elles font écho à un thème que je travaille. Par ces associations d’images je peux porter un message, défendre une cause ou montrer une autre réalité.
Parmi les thèmes récurrents dans mon travail il y a les femmes, le féminin, le féminisme, les luttes pour les droits des femmes et des personnes Queer, ainsi que d’autres sujets politiques tels que l’environnement ou les inégalités qui pèsent sur le monde. J’ai également une prédilection pour l’humain, les sociétés et leurs fonctionnements, les relations et la psychée humaine.
Quels messages ou idées cherches-tu à transmettre à travers tes oeuvres ?
Plus que de chercher à transmettre quelque chose, j’espère au travers de mes tableaux, créer de l’émotion chez l’autre. Ses ressentis ne seront pas forcément ceux qui m’ont moi-même traversée lors du processus de création, mais lui seront propres lors de la confrontation avec l’oeuvre.
Je pense que l’art s’éprouve, que chacun en fait l’expérience de manière unique. Pour l’écrivain Carlos Fuentes, » chaque oeuvre est une lecture du monde « . Je partage sa vision qui est au coeur de ma démarche créative.
Toutefois, dans de nombreux cas, un message est effectivement mis en avant dans mes oeuvres. Une partie de mon travail a clairement pour objectif sous jacent de montrer, dénoncer, provoquer, pousser à la réflexion et à l’action.
Peux-tu décrire ton processus créatif du début à la fin ?
Je collecte d’abord des magazines et des livres abimés, puis je sélectionne les images qui m’intéressent. Une fois les images récoltées, je les identifie et je les trie :
– Celles liées à l’identité des artistes qui m’inspirent comme « Dali et son adoration pour Gala, sa folie », « Frida et sa souffrance », « Tamara et son aspiration à la liberté »;
– Celles aux thématiques plus générales telles que « la femme », « la violence », « la nature », « le genre » etc dans lesquelles je viendrai piocher selon mon inspiration pour les associer et faire émerger un message.
Il y a une aussi une partie technique avec la découpe et le collage, souvent minutieuse. J’avance par association d’images (par exemple une femme provocante dans une salle d’attente, entourée de deux hommes aux regards réprobateurs) et d’idées (la femme ne peut prendre la place qui lui est due dans l’espace public, qui est jugée, sujette au harcèlement etc). Je travaille l’harmonie des couleurs, des formes et l’organisation générale de l’oeuvre.
Un tableau peut mettre plusieurs semaines à voir le jour car j’y reviens régulièrement, je place et déplace les différents éléments jusqu’à obtenir la composition finale.
Enfin, je signe et donne un titre au tableau que j’encadre. Trouver un titre est souvent compliqué puisque chacune de mes oeuvres est propice à la réfléxion et à l’émergence de différentes interprétations.
Comment gères-tu les moments de blocage créatif ou les périodes de doute dans ta pratique artistique ?
Je pense tout d’abord que ces moments d’absence d’inspiration sont naturels et ne doivent pas créer de l’anxiété. La plupart du temps je change alors d’activité. Je travaille la terre, je crée des mobiles en origami ou je m’offre un cours de céramique. Je crée pour le plaisir, comme le font les enfants. Parfois encore je laisse simplement reposer et je fais tout autre chose ; du sport, des sorties culturelles etc. pour me vider la tête et créer de l’espace jusqu’à ce que l’envie et l’inspiration reviennent.
Quelle est ton œuvre préférée et pourquoi ?
Mon oeuvre préférée est un portrait de Frida Kahlo dont j’ai dessiné le profil sur une grande toile. J’ai recherché des images et écrits tirés exclusivement de ses oeuvres pour en remplir le tableau. Ainsi, on reconnait très nettement la silhouette de l’artiste et le fond se distingue par la présence de ses pensées écrites au pochoir. J’y ai également inséré des portraits miniatures de membres de sa famille et des photographies d’époque.
Pour moi, ce tableau a une âme. Il reflète de nombreux aspects de la personnalité de Frida, de son histoire et de son oeuvre. Je suis très admirative du travail et de la vie de cette artiste même si je déplore les produits dérivés que l’on voit partout depuis plusieurs années.
J’ai réalisé cette oeuvre il y a quelques années en Nouvelle Calédonie et elle est également ma première vente. J’en ai été particulièrement touchée car l’acheteur était un homme d’un certain âge qui allait l’offrir à sa femme pour leur anniversaire de mariage ; celle-ci m’a ensuite contactée pour me remercier et partager son émotion, elle qui a toujours été un grande admiratrice de Frida Kahlo et de son travail.
Comment définirais-tu l’audace dans ton parcours et dans ton travail ?
Je pense que ma première forme d’audace c’est de dire : je suis une artiste ; j’ai osé affirmer avoir besoin d’espace dans ma vie pour créer.
J’ai également eu le courage de montrer mon travail, tout d’abord à travers le réseau social Instagram et par la création d’un site web, puis en sollicitant des lieux culturels pour organiser des expositions.
Dans mon travail, je crois faire preuve d’audace de par les sujets que je choisis de traiter et de par les images que j’ose montrer et mettre en scène. Je pense par exemple à des œuvres prônant la réappropriation de leurs corps par les femmes, d’autres qui critiquent la société de consommation ou encore certaines venant directement provoquer le spectateur.
Le féminisme semble être un thème récurrent dans ton travail. Comment abordes-tu cette thématique à travers tes oeuvres ?
Je détourne des images de femmes-objets en les plaçant au centre de la scène pour leurs donner une voix.
Je représente les femmes dans leurs pluralité et leur diversité.
J’aborde des thèmes comme l’empowerment (c’est le titre de l’un de mes tableau) et critique le patriarcat de manière plus ou moins détournée.
Je dénonce des situations de violences sexistes et sexuelles et prône la sororité.
Je représente également beaucoup le corps féminin et lui rend une sorte d’hommage. La sexualité est aussi présente et abordée d’un point de vue féminin.
La plupart de mes oeuvres engage le spectateur à réfléchir et agir autrement.
Quel rôle l’art joue-t-il dans la promotion des idées féministes et dans le changement des perceptions sociétales ?
L’art joue un rôle de visibilité et permet de sensibiliser et de dénoncer. L’art donne une forme à des idées féministes, rend visible voire vivant et apporte différents points de vue.
En s’exposant, les artistes femmes expriment leurs identités, leurs présences et leurs forces dans toutes leurs diversités.
Concernant le changement sociétal, l’art insuffle l’inspiration et peut être une forme d’expression et de résistance. Il y a un processus de changement, d’éducation, de conscientisation à travers l’art.
L’art peut aussi être un lieu de résilience puisque les communautés d’artistes – en particulier féministes – offrent souvent un espace safe aux femmes et aux minorités de genre.
Quels conseils donnerais-tu à de jeunes artistes, en particulier aux femmes, qui souhaitent se lancer dans une carrière artistique ?
Je leurs dirais … d’oser le plus souvent possible et de toutes les manières imaginables ! Oser expérimenter, tatonner, se tromper, se décevoir puis reprendre le travail. D’oser changer de direction quand il le faut.
Je leurs conseillerais également d’essayer de pratiquer le plus souvent et le plus régulièrement possible.
Je leurs dirais d’oser s’affirmer, tant dans leur travail, que dans sa promotion. D’oser démarcher les lieux culturels, demander à participer à des évènements etc. Et enfin, d’oser vendre leurs productions si c’est leur souhait.
Je leurs proposerais de rejoindre des communauté d’artiste – virtuelles ou non – car il y a beaucoup à puiser dans le travail des autres et je leurs dirais qu’il faut stimuler sa créativité de multiples façons, par des expositions, des lieux d’art, des activités créatives. Les collaborations sont aussi particulièrement intéressantes quand on débute.
Enfin, je dirais – et plus fort encore aux femmes et artistes émergents – d’être persévérants et d’oser prendre leur place, tout en restant authentiques dans leur travail.
Comment utilises-tu les réseaux sociaux pour promouvoir ton travail et interagir avec ton audience ?
J’ai choisi de me consacréer exclusivement au réseau social Instagram qui me semble le plus pertinent pour partager mes visuels. C’est à travers ce réseau que je peux intéragir avec d’autres artistes et avec celles.ceux que mon travail intéresse.
Quels sont tes projets actuels et futurs ?
Mon thème de recherche actuel est une série qui pourrait s’intituler « Portraits d’artistes ». L’idée, dans ce processus créatif, est la représentation de l’identité et de la personnalité de l’artiste. J’utilise pour cela des morceaux de leurs oeuvres pour élaborer leur portrait à partir d’une photographie. Le point de départ a été mon intéret pour le travail de Frida Kahlo, qui donne à voir son monde intérieur et ce qui la traverse. Une photographie d’elle la montrant particulièrement vulnérable m’avait touchée au point que je voulais l’utiliser pour chercher à montrer Frida dans son entièreté, grâce à ses propres créations.
J’ai ensuite suivi ce même processus avec les portraits de Salvador Dali et de sa muse Gala, mais aussi celui de Georgia O’Keffe et de Tamara de Lempicka. Ce processus me permet de mettre en avant le courage de Frida, la folie de Dali, ou encore l’esprit libertaire de Tamara et l’imaginaire fleuri de Georgia O’Keffe. J’intègre également à la toile, grand format, des extraits de phrases ou écrits produits par ces artistes pour renforcer le côté intime du portrait. Je mène ce travail depuis quelques mois, entrecoupés de temps de création plus libre, notamment en vue de mes prochaines expositions.
Que souhaiterais-tu accomplir dans les prochaines années, tant sur le plan personnel qu’artistique ?
J’ai créé il y quelques mois mon auto-entreprise pour exposer et vendre mes créations. J’ai également mené des ateliers de collage dans le carde de mon travail d’enseignante et en bénévolat. J’espère avoir le temps de poursuivre ce travail ainsi que de continuer à exposer.
J’aimerais aussi enrichir ma propre pratique artistique et mes connaissances dans les domaines de l’art, développer un regard réflexif sur mon travail et découvrir de nouvelles pratiques artistiques.
Je souhaiterais enfin à l’avenir mettre au service des autres les bienfaits de la créativité.
Comment vois-tu l’évolution du monde de l’art contemporain, en particulier en ce qui concerne la place des femmes et des artistes émergents ?
Même si on ne peut pas nier qu’il y ait plus de femmes présentes aujourd’hui sur le marché de l’art et dans les galeries, il existe encore de grandes disparités, que ce soit en terme de représentation ou de prix de vente. Il est donc essentiel de respecter la diversité des femmes, de leurs expériences et d’amplifier leurs voix souvent marginalisées. Par la provocation, la sensibilisation ou la célébration, l’art féministe est un puissant vecteur de changement social.
L’univers de l’art contemporain regorge d’artistes émergents qui apportent des perspectives nouvelles et innovantes. Ces artistes remettent en question les normes et sucitent des réfléxions sur des questions contemporaines essentielles.
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Y a-t-il un message particulier que tu aimerais partager avec notre audience sur le thème de l’audace au féminin ?
Faire preuve d’audace est une nécessité d’autant plus forte pour les femmes dans ce monde. L’audace d’être visible et présente sur chaque scène publique, de prendre sa place, de lutter contre le patriarcat et les injustices. Artistes femmes, osez être vous-même et osez le partager avec le monde qui en a grand besoin. Sororité !
Maht Hidla, par Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent