Enfants précoces, adultes surdoués : une réalité scientifique ou un fantasme social ?

« Mon fils est en échec scolaire. J’ai pris rendez-vous avec la maîtresse, car je pense qu’il est surdoué. » « Je n’arrête pas de penser à plein de choses… J’ai lu sur Internet que cela signifiait que j’étais à haut potentiel intellectuel. » Lassée de manger de la douance à toutes les sauces ? Vous demeurez perplexe devant les nombreux génies du XXIe siècle ? Quand j’ai entrepris d’écrire sur le HPI, j’avais conscience de m’aventurer sur un terrain glissant. Mais l’heure est venue de se saisir du sujet ! Que cachent ces chimères ? Les surdoués existent-ils vraiment ? Hauts potentiels : réalité ou effet de mode ? Tâchons d’y voir plus clair ensemble.

La surefficience, une particularité cérébrale encore débattue

Zèbres, précoces, hauts potentiels, surdoués, surefficients… Ces termes désignent les mêmes personnes : celles dont le quotient intellectuel (QI), mesuré par l’échelle de Weschler, est supérieur à 130. On notera toutefois que le score de QI retenu pour parler de douance varie selon les pays. Ainsi, les Français plébiscitent mathématiquement ce seuil, car il se situe deux écarts-types au-dessus de la moyenne. Nos voisins belges, en revanche, le fixent à 125. Pour eux, c’est le cap à partir duquel le sujet s’avère susceptible de ressentir une différence, ou un décalage, avec la majorité de la population. Si les experts peinent à s’accorder sur la définition, imaginez le reste !

courbe de repartition du quotient intellectuel dans la population
La répartition du quotient intellectuel dans la population suit une courbe de Gauss, à l’image de celle présentée dans le dossier « Dans la tête d’un surdoué » de Cerveau & Psycho. En France, le seuil pour parler de haut potentiel est fixé à 130.

 

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La douance, une réalité neurobiologique

Quoi qu’il en soit, les savants ont scruté la matière grise des surdoués. À l’image de Nicolas Gauvrit, psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives, et Franck Camus, directeur de recherche au CNRS. Dans la revue Cerveau & Psycho d’octobre 2021, ils se réfèrent à plusieurs études qui mettent en évidence la rapidité et l’efficacité du cerveau des surdoués. En effet, grâce à une activation accrue de certaines aires de leur cortex, les hauts potentiels accomplissent les tâches cognitives complexes avec plus d’aisance que la moyenne. De même, les connexions neuronales entre les deux hémisphères de leur encéphale apparaissent plus nombreuses. Cette liaison optimale entre les zones du cerveau permet un échange prompt et puissant d’informations.

Précisons toutefois que nous parlons de potentiel. Autrement dit, ce n’est pas parce que les sujets présentent ces ressources neurobiologiques qu’ils les exploitent. Cela se vérifie d’autant plus chez les personnes qui n’ont pas connaissance de la singularité de leur encéphale.

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Deux conceptions du haut potentiel : quantité versus qualité

À ce jour, plusieurs théories sur les hauts potentiels se confrontent. Certains, à l’image de Jeanne Siaud-Facchin, psychologue praticienne spécialiste des surdoués, et à l’origine de l’appellation « zèbre », osent une vision catégorielle. La population se diviserait entre les normopensants et les neuroatypiques, ces derniers se révélant, de l’avis des experts, particulièrement sujets à des troubles divers (cognitifs, émotionnels, sensoriels, sociaux, etc.).

« Il ne s’agit pas d’être quantitativement plus intelligent, mais de disposer d’une intelligence qualitativement différente. » – Jeanne Siaud-Facchin.

D’autres, comme Sophie Brasseur et Catherine Cuche, toutes deux docteures en sciences psychologiques, considèrent que le cerveau des individus HP ne fonctionne pas de manière radicalement distincte. Dans Tout savoir sur le haut potentiel, les deux auteures relèvent le défi d’apporter des réponses, scientifiquement ancrées, aux grandes questions sur la douance. Pour elles, la différence, bien existante, entre les surdoués et les autres personnes, se jouerait sur l’intensité des caractéristiques, et non sur leur nature.

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Les surdoués, de l’omerta au devant de la scène

Si un point ne fait pas débat, c’est l’intérêt accru pour les surdoués depuis les années 2000. Magazines de société, séries télévisées, livres de psychologie et de développement personnel : qui, en 2022, a échappé à la notion de haut potentiel ?

Le tabou du HPI, une exception française

Notons toutefois que cet intérêt récent s’avère très propre à la France. En effet, aux États-Unis, au Canada, et même dans le reste de l’Europe, le sujet n’a jamais constitué un tabou. Sa prise en compte y est demeurée continue depuis les premiers travaux sur la mesure du quotient intellectuel, au début du XXsiècle. Interrogé par Cerveau & Psycho, Jacques Grégoire, docteur en psychologie, explique que c’est après mai 68 que la France a écarté la question de la douance du débat public. L’idée même que des personnes surdouées existent renvoyait à une conception élitiste, alors inacceptable.

En définitive, c’est grâce à la vision catégorielle que le haut potentiel est apparu tolérable, il y a une quinzaine d’années. Sous la plume des défenseurs de cette conception de la douance, celle-ci devient une souffrance, un fardeau. La vulnérabilité des surefficients apparaît beaucoup plus admissible que leur surcroît d’intelligence. De la réprobation post-soixante-huitarde, on passe à la fascination. Aussi discutable et discutée que se révèle cette approche, les nombreux livres consacrés au phénomène ont permis de le populariser et le vulgariser. Évoquer un intellect qualitativement différent, et non supérieur, rend le dialogue beaucoup plus facile pour les personnes concernées. On peut se risquer, aujourd’hui, avec un minimum d’audace, à parler de sa douance sans se voir taxé de prétention.

Des ouvrages controversés aux bénéfices réels

Jacques Grégoire le précise, à compter de ce changement de paradigme, de nombreux livres grand public ont exploré le monde, pas si merveilleux, des surdoués. Certains plongent avec Christel Petitcollin dans Je pense trop. D’autres choisissent d’embarquer avec Monique de Kermadec et son sobrement intitulé L’adulte surdoué. Pour ma part, c’est l’ouvrage Trop intelligent pour être heureux ?, de Jeanne Siaud-Facchin, qui m’a convaincue de passer les tests. Je ne vous cache pas que, quand un psychologue m’en a conseillé la lecture, j’ai pâli. Premier challenge : comment faire pour me le procurer ? Je m’imaginais déjà, rasant les murs, lunettes noires sur le nez, et réglant en espèces ! Vous savez, cette fâcheuse tendance à ne pas pouvoir se détacher du regard des autres… Bref, je n’ai finalement pas eu le courage d’affronter ma libraire, lui préférant l’anonymat d’une commande en ligne.

Les constats réalisés par l’auteure pendant ses consultations fondent l’essentiel des propos de cet ouvrage. Ses détracteurs dénoncent une expérience strictement clinique, qui manque de solidité scientifique. Les observations évoquées apparaissent, de fait, difficilement généralisables à l’ensemble de la population HP. Admettons néanmoins que certains s’y retrouvent, et en retirent d’importants enseignements sur leur mode de fonctionnement, j’en témoigne. Avec un soupçon d’esprit critique, chacun approfondira sa connaissance du sujet grâce à des ouvrages d’autres obédiences. L’aventure ne fait que commencer !

🤓 À lire aussi : biographie d’Hypatie d’Alexandrie, la savante insoumise.

Les hauts potentiels : réalité et effet de mode, pour le meilleur comme pour le pire

Une réalité neuropsychologique socialement étouffée

L’avènement des neurosciences permet de l’affirmer : le haut potentiel existe. Oui, environ 2,3 % de la population présente un quotient intellectuel supérieur à 130, et des caractéristiques neurophysiologiques propres. Pourtant, le simple fait de poser la question de la réalité des surdoués démontre le chemin qui reste à parcourir. Les préjugés persistants sur les surefficients, et les débats sur l’ampleur de leurs spécificités, constituent des freins à l’identification. Aujourd’hui encore, se confronter à l’échelle de Weschler demande du cran.

Se découvrir à haut potentiel est une brique importante dans l’équilibre d’un homme ou d’une femme. Pour ma part, le résultat s’est manifesté comme une pièce de puzzle qui manquait depuis plus de 30 ans. L’enjeu de la douance, à l’échelle individuelle, apparaît avant tout comme une question de développement personnel. Mais, pour que les profils concernés puissent bénéficier de toutes les clés pour se comprendre et exploiter au mieux leur potentiel, ils ont besoin que la société les accepte. Cela commence dès l’enfance, nous explique Jacques Grégoire. Quand les États-Unis proposent, depuis longtemps, des solutions éducatives adaptées aux élèves à haut potentiel, l’école républicaine, sous l’étendard de l’égalité, peine à gérer les atypies. Dans ce contexte, dispenser des informations fiables sur le haut potentiel constitue un premier pas vers l’intégration sociale. On relève le défi ensemble ?

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Tendance douance, entre caricature et opportunisme

Les sériephiles le savent, les scénaristes ont succombé il y a bien longtemps à la fascination pour les surdoués. Les séries HPI, Scorpions ou encore The Big Bang Theory, pour ne citer qu’elles, véhiculent leurs lots de clichés sur les surefficients un brin sociopathes. À l’image de Morgane Alvaro, sur TF1, les fictions mettent en scène des génies de l’extrême, avec un QI égal à celui d’Einstein. Des personnages finalement assez éloignés des « surdoués ordinaires », comme les appelle Nicolas Gauvrit. Aussi divertissants que puissent être ces programmes, les caricatures entretiennent la confusion sur la nature même du haut potentiel.

Les nombreuses idées reçues et raccourcis opérés par les médias grand public poussent certains individus à reconnaître en eux, ou en leurs enfants, les traits du haut potentiel. Se proclamer surdoué devient la bonne excuse pour expliquer les problèmes scolaires, relationnels ou professionnels. En ce sens, l’effet de mode est bien réel, lui aussi ! Et que dire du marché du haut potentiel, qui a flambé ces dernières années, avec une éthique parfois discutable ? Parents épuisés et dépassés, zèbres identifiés sur le tard, surdoués socialement en difficulté : les cibles ne manquent pas. Si certains s’attachent à leur apporter des réponses et du soutien, d’autres entrepreneurs, peu scrupuleux, en profitent. Lucie Rondelet, la fondatrice du média Celles qui Osent, a d’ailleurs analysé leurs techniques dans un épisode de podcast consacré au business de la douance :

Alors, les hauts potentiels : réalité ou effet de mode ? À la question « les surdoués existent-ils ? », et malgré quelques divergences d’interprétation, la science répond par l’affirmative. La surmédiatisation ressentie ces dernières années, quant à elle, tient essentiellement à l’omerta qui a pesé sur le sujet pendant un demi-siècle dans l’Hexagone. Souhaitons que, grâce aux travaux des chercheurs et à la banalisation de la thématique, celle-ci devienne un non-débat dans les années à venir, pour le bien de tous.

🧐 Poursuivez votre lecture sur ce sujet avec cet article du blog FRW : Femme à haut potentiel, et si vous deveniez rédactrice web ?

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Anne-Laure HERY-DENANCÉ pour Celles qui Osent

Sources :

Cerveau & Psycho no 136, dossier « Dans la tête d’un surdoué », octobre 2021.
Trop intelligent pour être heureux, Jeanne Siaud-Facchin, 2008.
https://www.cairn.info/le-haut-potentiel-en-questions–9782804704094.htm
Tout savoir sur le haut potentiel, Sophie Brasseur et Catherine Cuche, 2021.

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