Camille Urso, prodige du violon et porte-voix des musiciennes

Enfant prodige du violon, née à Nantes en 1840, elle est parvenue à s’imposer dans un milieu qui était à l’époque réservé aux hommes. La violoniste s’est ensuite servie de sa renommée pour se faire le porte-voix des musiciennes, injustement déconsidérées à son époque. Portrait d’une artiste célébrée sur trois continents, avant d’être complètement effacée de l’histoire de la musique

Camille Urso : celle qui a osé faire du violon

Il ne fait pas bon être femme au XIXème siècle. En vertu du code civil dit Napoléon de 1804, chez qui les idées paritaires ne fleurissaient visiblement pas sous le bicorne, elle est un être éternellement mineur qui est « donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants ; elle est sa propriété comme l’arbre à fruits est celle du jardinier ». Autant dire donc que toute la vie de Camille Urso est une lutte et une victoire contre les mœurs de son temps. Son combat, Camille l’entame d’ailleurs toute petite.

Alors qu’elle n’a que sept ans, elle convainc ses parents, Salvatore, flûtiste et organiste et sa mère, Emilie, soprano, de la laisser jouer du violon. Si le piano est une pratique bourgeoise qui est encouragée chez les jeunes filles, le violon est l’apanage des hommes et il est donc dégradant voire indécent que celles-ci veuillent s’y essayer ! Peu importent les conventions, Camille obtient finalement satisfaction. Après de longs mois d’initiation, elle se produit pour la première fois en concert dans la cité des Ducs en mars 1840. La presse locale la couvre de louanges ; ce qui persuade Salvatore qu’il faut passer à la vitesse supérieure et rejoindre la capitale.

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Malgré ses neuf ans tout juste, soit l’âge minimum pour intégrer cette institution et bien qu’on n’admette normalement pas de filles dans la section cordes ( il n’y en a eu que deux avant elle en cinq décennies et demie ! ), elle réussit facilement le concours d’entrée au Conservatoire de Paris. Elle en ressort diplômée et primée trois ans après.

Une prodige à la popularité mondiale au 19ème siècle

C’est à ce moment-là qu’elle est recrutée pour une tournée aux Etats-Unis. Elle effectue cette grande traversée avec son père, Salvatore, et sa tante Caroline. Si la grande série de concerts promis ne voit finalement pas le jour à cause d’un producteur véreux, sa réputation de petit génie fait rapidement boule de neige à New-York. Des personnalités de premier plan, notamment les cantatrices Marietta Alboni et Henriette Sonntag la recrutent pour qu’elle monte sur scène à leurs côtés. Camille, qui n’est encore qu’une préadolescente, devient un véritable phénomène et est sollicitée aux quatre coins du pays. Trop vite, trop fort peut-être puisqu’en 1856, Camille s’installe à Nashville et arrête toutes ses activités durant une longue période. Elle se marie à seize ans, accouche de trois enfants en trois ans et ne revient dans la lumière qu’en 1862.

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Mais son retrait de la vie publique n’a pas endormi sa passion puisqu’elle est encore plus maîtresse de son archet. Elle était une vedette auparavant, elle devient une superstar. Celle qui est a été prématurément veuve en 1860 et s’est remariée dès 1862 avec un impresario belge, Frédéric Luère fait salle comble partout, réunit des foules absolument gigantesques, notamment à San Francisco. En 1871, pour un festival caritatif qu’elle organise, finance et donne au profit de la San Francisco Mercantile Library, elle rassemble ainsi mille deux cents chanteurs, deux cents instrumentistes venus de toute la Californie et un immense chœur d’enfant alors que dix-huit mille personnes par jour viennent l’applaudir pendant les cinq que dure au total l’événement !

Avec une popularité qui va bien au-delà bien au-delà des frontières américaines, Camille est demandée en Angleterre, en Irlande, au Canada, en France où elle revient à de multiples reprises mais aussi jusque dans la très lointaine Océanie, qui n’est accessible qu’après trois semaines de voyage en bateau à vapeur Elle triomphe ainsi en Australie, dès 1879, puis en Nouvelle-Zélande. Elle reste ensuite au sommet de sa gloire jusqu’à l’orée du XXème siècle.

Une pionnière, porte-voix des musiciennes

Cet éclatant succès et celui de certaines autres étoiles de la discipline comme l’Austro-Hongroise Wilma Neruda, ne bénéficie pas qu’aux intéressées. En effet, grâce à ces audacieuses pionnières, les conservatoires, académies et autres écoles de musique admettent désormais les élèves féminines dans leurs sections de violon. Plusieurs générations d’instrumentistes professionnelles émergent grâce à elles. Leur situation a donc évolué mais le sexisme fait toujours rage dans ce milieu.

Si l’on forme des femmes violonistes, seules les têtes d’affiches comme Camille, Wilma et quelques autres font véritablement carrière parce qu’elles sont solistes et célèbres. Au-delà de ces illustres exceptions, les orchestres refusent toujours en Europe comme aux Etats-Unis d’embaucher des femmes, aux motifs ( fallacieux) qu’elles ne peuvent pas supporter les longues journées de répétition, sont fragiles nerveusement ou que leurs charmes dangereux pourraient perturber leurs collègues… Ce qui amène Camille, à prononcer un discours percutant lors du World’s Congress of Reprensentative Women qui se tient à Chicago en 1893. Dans un long texte, elle s’indigne du sort réservé aux musiciennes et prend fait et cause pour elles et pour leur recrutement :

« Peu d’entre elles deviendront virtuoses, et la plupart des très bonnes musiciennes devront rester dans leur foyer, où on leur donne une opportunité, et où elles se réjouiront d’aider leur famille. Pourquoi laisser ce talent disparaître ? »

Aider ses consoeurs à se faire une place dans le monde (sexiste) de la musique

Un vibrant plaidoyer qui s’inscrit contre la misogynie ambiante. Il faut en effet se souvenir de ce qu’a écrit en 1884, à peine quelques années plus tôt, Guy de Maupassant, l’un des plus grands auteurs français. « Les femmes ont de l’imagination, de l’invention, du charme, du pathétique et du dramatique, mais elles n’ont jamais eu, elles n’auront jamais le sens divin de l’art. Et voilà pourquoi il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de femmes poètes. Car les poètes, comme les musiciens et comme les peintres, doivent être avant tout des artistes. Sans cela ils ne sont rien. Qu’on lise de Victor Hugo Booz endormi, de Leconte de Lisle Les éléphants, pour comprendre ce dont est incapable l’esprit des femmes ».

Afin d’aider ses consœurs à se faire la place qu’elles méritent dans leur métier, Camille accepte d’endosser le rôle de professeure au Conservatoire de New-York en 1890 puis celui, en 1893, de présidente d’honneur du Women’s string orchestra, une formation musicale 100 % composée de femmes. Elle meurt en 1902 et sera ensuite, malgré son incroyable destinée, son action militante et les milliers d’articles de presse qui lui ont été consacrés, complètement effacée de l’Histoire de la musique….

Violaine Berlinguet

Vous voulez en savoir davantage sur Camille Urso ? Découvrez sa biographie détaillée de Camille Urso intitulée Je suis née au son du violon, de Bénédicte Flye Sainte Marie, (sortie prévue le 12 janvier 2023)

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