Georgia O’Keeffe : icône de l’art moderne aux États-Unis

Connue pour ses peintures de fleurs gigantesques et de paysages désertiques du Nouveau-Mexique, Georgia O’Keeffe est une figure centrale de l’art moderne américain. Sa silhouette androgyne, enveloppée d’une robe noire et coiffée d’un chapeau d’homme, est emblématique. Son traitement de la couleur et de la nature, à la frontière de l’abstraction, célèbre les grands espaces américains. Née le 15 novembre 1887, à Sun Prairie, dans le Wisconsin, elle est issue d’une famille de fermiers. Comment cette petite fille des plaines du Midwest est-elle devenue une icône du modernisme américain ? Voici le portrait de Georgia O’Keeffe, artiste inclassable, sorte de « Calamity Jane » de l’art moderne.

Une vocation d’artiste

Une formation semée d’embûches

Depuis son enfance, Georgia O’Keeffe souhaite devenir artiste peintre. Fille d’immigrés irlandais et hongrois, elle est la deuxième d’une fratrie de sept enfants. Rien ne la prédestine à la peinture. Pourtant, ses professeurs parviennent à convaincre ses parents que Georgia pourra gagner sa vie rapidement en enseignant les arts. Ils l’inscrivent donc à l’Art Institute de Chicago en 1905.

Ses amies et professeurs la décrivent comme une jeune fille indépendante et originale, à l’allure austère. Cette attitude est déjà très révélatrice du caractère solitaire et déterminé de Georgia.

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Ayant obtenu une bourse, elle continue sa formation à la prestigieuse Art Student League de New York. Georgia se rend avec des camarades à la Galerie 291, dirigée par le photographe Alfred Stieglitz. Elle y voit pour la première fois les dessins de Rodin, les œuvres de Matisse et Cézanne. Mais, en 1908, ses parents ne peuvent plus financer ses études. Georgia accepte des missions dans le dessin publicitaire et enseigne les arts plastiques, notamment au Texas. Elle découvre avec fascination les grands espaces, la lumière et le contraste des terres arides.

Inspirations

Georgia O’Keeffe ne renonce pas pour autant à sa carrière artistique. Dès qu’elle a un peu d’argent de côté, elle reprend ses études au Teacher College de Columbia, à New York. Elle y suit les cours d’Arthur Wesley Dow, qui partage avec ses étudiants sa vision novatrice de la peinture. Le professeur et peintre les invite à exprimer leurs émotions sur la toile et leur parle de l’essai Du spirituel dans l’art de Vassili Kandinsky.

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Deux autres lectures inspirent Georgia O’Keeffe. Le livre du thé d’Okakura Kakuzo l’initie à la culture japonaise. Georgia en conservera cette recherche d’harmonie et de simplicité, afin de « comprendre la grandeur des petites choses ». Dans The dress of women, la sociologue Charlotte Perkins Gilman analyse la garde-robe de la société moderne, qui ne convient pas aux femmes qui travaillent. Georgia s’émancipe des tenues guindées et adopte des vêtements modernes, adaptés à son travail d’artiste peintre.

Influencée par Dow et les écrits de Kandinsky, Georgia ose, à partir de 1915, un style différent, plus abstrait, plus organique. Elle réalise des aquarelles et des dessins au fusain, qu’elle nomme Specials, réalisés selon ses humeurs et sensations. Elle envoie ses Specials à son amie, la photographe et suffragette Anita Pollitzer. Cette dernière porte le rouleau de fusains à Alfred Stieglitz, qui s’émerveille d’y voir « enfin une femme sur papier ». Il les expose immédiatement dans la Galerie 291.

Georgia O’Keeffe, artiste inclassable

Rencontre avec Alfred Stieglitz

Lorsque Georgia O’Keeffe revient à New York en 1917 et découvre que ses œuvres sont exposées sans sa permission, elle est d’abord furieuse. Mais, sa rencontre avec Alfred Stieglitz sera déterminante : les deux artistes ont la même vision de l’art. Ils entament une correspondance, et tombent passionnément amoureux. Stieglitz prendra de nombreux portraits de Georgia, de son visage, de ses mains, et même des nus qui feront scandale. Afin qu’elle puisse entièrement se consacrer à la peinture, il décide, comme il le fera pour de nombreux artistes, de la subventionner. Elle revient donc s’installer à New York. Alfred Stieglitz divorce et épouse Georgia en 1924.

Découvrez un autre couple d’artistes qui se soutiennent dans leur création dans l’article sur Niki de Saint Phalle.

Une artiste à la frontière de l’abstraction

Le couple est entouré d’artistes. Georgia délaisse l’aquarelle pour la peinture à l’huile. Elle commence à peindre des fleurs. Inspirée par l’approche photographique de ses amis, elle choisit de les représenter en gros plan. Ses fleurs sont gigantesques, voluptueuses, colorées, elles occupent tout l’espace de la toile. Lorsqu’elles sont exposées : scandale ! Les critiques y voient des allusions érotiques, des organes génitaux. Ce que Georgia dément : ses fleurs géantes dérangent, car elles évoquent l’inconnu. Georgia O’Keeffe surprend parce qu’elle va au-delà de l’art purement figuratif, elle établit ses propres règles. Elle sort du cadre.

« J’ai peint ce que chaque fleur représente pour moi et je l’ai peinte suffisamment grande pour que les autres la voient telle que je la vois. » Georgia O’Keeffe

Georgia s’attaque ensuite à un sujet jusque-là exclusivement masculin : la ville. Elle peint New York comme elle la ressent. Avec un travail sur la lumière résolument photographique. De son appartement du Shelton Hôtel, l’un des plus grands buildings de New York, elle peint la cité, la rivière. Les gratte-ciels semblent pris dans des tourbillons cosmiques. Stieglitz trouve qu’elle devrait laisser cet exercice aux hommes. Elle s’en amuse en transformant son nom en enseigne publicitaire, illuminant la nuit. Georgia est déjà une artiste reconnue, et ses œuvres font l’objet d’une rétrospective au musée de Brooklyn en 1928.

Artiste célébrant la nature américaine

Coup de foudre avec le Nouveau-Mexique

Stieglitz et O’Keeffe passent tous leurs étés à Lake George, la maison familiale d’Alfred. Georgia, plutôt solitaire, supporte mal cette maison remplie de monde et cette nature verdoyante.

Invitée l’été 1929 à Taos, Georgia découvre le Nouveau-Mexique. Et, c’est une révélation. Elle y trouve « sa terre ». Fascinée par cette nature monumentale, elle reviendra tous les étés. Avec un ami indien Navajo, elle apprend tout des rites et de la mythologie des tribus Hopis et Zunis. Georgia O’Keeffe partage avec les peuples amérindiens cette relation fusionnelle avec la nature. Elle loue chaque année Ghost Ranch, une maison isolée de tout.

De ses séjours au Nouveau-Mexique, elle rapporte des ossements d’animaux, glanés dans le désert. Elle dessine des crânes de vaches, des pelvis de buffles. Les agrandissant, peignant le ciel, bleu, orange, à travers leurs cavités. Loin d’être des symboles morbides, ses peintures d’ossements célèbrent la vie, l’infini, le lien universel et mystérieux avec le cosmos.

Peindre une identité américaine

De Taos, elle peint les os, les fleurs artificielles, les collines rouges, les croix des églises. En 1931, O’Keeffe réalise une toile représentant un crâne de vache, battu par les intempéries et blanchi par le soleil. Contrastant sur le fond bleu, Georgia décide d’en faire son drapeau américain et l’encadre de rouge. Cow’s Skull : Red, white and blue glorifie pour elle le véritable esprit de l’Amérique, celui des espaces sauvages et infinis.

Lorsque la santé d’Alfred Stieglitz décline, Georgia est auprès de lui. Il décède en 1946. O’Keeffe répand ses cendres à Lake George et assure sa succession. N’ayant plus de raisons de rester à New York, elle s’installe définitivement en 1949 au Nouveau-Mexique à Abiqiù. Georgia O’Keeffe y achète une propriété, qu’elle décore dans un esprit sobre et lumineux, à son image. Amoureuse du porche de cette maison, elle le peindra inlassablement. Des œuvres pionnières des peintres du champ coloré.

Georgia O’Keeffe, peintre et femme moderne

Icône de style et d’art de vivre

Georgia O’Keeffe, malgré une apparence austère et androgyne, a pris beaucoup de soin à modeler son image publique. Influencée par Charlotte Perkins Gilman, elle se compose une garde-robe aux coupes simples et impeccables. Ses vêtements sont souvent noirs, avec une touche de blanc. Elle préfère des chaussures plates et des robes sans motifs ni bijoux. Elle s’autorise seulement une broche, réalisée par l’artiste Calder, représentant ses initiales : OK.

Le style de Georgia O’Keeffe devient iconique, sa silhouette est immédiatement reconnaissable. C’est d’ailleurs la femme la plus photographiée aux États-Unis, peut-être même plus que Marilyn Monroe.

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Femme étonnante et hors cadre

À partir des années 1950, Georgia O’Keeffe, qui n’a jamais quitté les États-Unis, voyage à travers le monde. En Asie, au Japon bien sûr, mais également en Europe, et en Amérique latine. Au Mexique, elle rencontrera Frida Kahlo. Émerveillée par le monde qu’elle découvre depuis l’avion, elle réalise d’immenses tableaux du ciel au-dessus des nuages.

En 1946, O’Keeffe est la première femme à être exposée au MoMA de New York. Vivant seule en plein désert, elle semble être une ascète, cuisinant les légumes de son potager. Les journalistes et photographes entretiennent cette mythologie de sage orientale, d’icône de l’art moderne américain. Dans les dernières années de sa vie, Georgia ne voit presque plus et ne réalise que quelques esquisses et dessins, avec l’aide de ses assistants. Le 6 mars 1986, elle décède à 98 ans, à Santa Fe.

Georgia O’Keeffe est l’une des peintres les plus célèbres aux États-Unis. Un musée lui est consacré à Santa Fe. Peu connue en Europe, le Centre Pompidou lui a consacré une rétrospective en 2021. À la demande de Georgia, ses cendres ont été répandues dans le désert du Nouveau-Mexique, espérant qu’ainsi son esprit continuera d’arpenter ses espaces infinis.

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Apprenez-en plus sur la vie et l’œuvre de Georgia O’Keeffe : 

Isabelle Maguin, pour Celles Qui Osent

Sources :

Aware Women Artists

O’Keeffe Museum

The Conversation

Georgia O’Keeffe : Portrait of an artist

Portrait de Georgia O’Keeffe par Margaux Brugvin

Celles qui osent instagram
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