Susie Morgenstern est une grande dame de la littĂ©rature jeunesse française. S’il est bien une femme qui se doit de figurer dans les stories de Celles qui osent, c’est elle. Toute sa vie, la reine des livres pour enfants a osĂ©. Petite, elle s’est passionnĂ©e pour la lecture et l’Ă©criture, prenant ainsi le contre-pied de l’Ă©ducation maternelle. Devenue adulte, elle s’est permis d’aborder son futur mari Ă une Ă©poque oĂą cela ne se faisait pas. Ă€ l’âge de soixante ans, une dĂ©cennie après le dĂ©cès de l’homme de sa vie, elle a tentĂ© de chercher l’amour sur un site de rencontres et l’a trouvĂ©. Voici la biographie de Susie Morgenstern, une amoureuse des livres et de la vie.
Son enfance américaine, genèse de la biographie de Susie Morgenstern
Grandir au sein d’un matriarcat juif anticonformiste
Susie Morgenstern est nĂ©e le 18 mars 1945 aux États-Unis, dans le New Jersey, Ă Newark plus exactement. L’union de ses parents, Sylvia Needleman et Meyer Hoch, est le fruit d’un mariage arrangĂ© entre deux familles juives. Meyer est un homme gentil, bienveillant, qui travaille dur pour nourrir sa famille. HĂ©las, un cancer du sang l’emporte alors qu’il est encore jeune. Ă€ son grand regret, Susie estime ne pas avoir vĂ©ritablement connu son père. Il faut dire que cet homme est un intrus au sein du groupe formĂ© par sa femme et ses trois filles. Ces dernières sont Ă©levĂ©es de manière anticonformiste par leur mère. Sylvia a Ă©tĂ© la première femme de Brooklyn Ă obtenir son permis de conduire et la première de sa famille Ă aller Ă l’UniversitĂ©. Elle accorde une grande libertĂ© à « ses trois soleils ». Lorsque son voisinage s’en offusque, elle affirme ĂŞtre la seule que cela regarde. Ainsi, on peut croiser les sĹ“urs Hoch maquillĂ©es outrageusement ou portant des collants alors rĂ©servĂ©s aux danseuses.
Vivre auprès de sĹ“urs aussi farfelues qu’admirables
Susie est la dernière de sa fratrie. Sandra, l’aĂ®nĂ©e, a huit ans de plus qu’elle et Effie, la cadette, 5 ans de plus. Ă€ l’image de leur mère, toutes deux sont belles et ont un petit grain de folie qui les rend irrĂ©sistibles. La vie auprès de ces femmes est très gaie. La maison est animĂ©e en permanence, la musique y est omniprĂ©sente. Les filles Hoch vont voir des comĂ©dies musicales chaque semaine, elles dansent, elles chantent. D’ailleurs, elles ont inventĂ© une chanson, We are a little bit crazy, qu’elles entonnent en chĹ“ur dans la rue en sautillant. La sororitĂ© a profondĂ©ment marquĂ© l’enfance et la vie de Susie. Au point que ce thème occupe une grande place dans ses Ĺ“uvres, les personnages fĂ©minins aussi d’ailleurs. Face Ă ses sĹ“urs si fantastiques, Susie est complexĂ©e. Elle se trouve laide et grosse.
Évoluer avec l’amour des livres et de l’Ă©criture
« La seule façon pour moi de briller, c’Ă©tait l’Ă©cole. »
Alors que ses aĂ®nĂ©es sont très mauvaises Ă©lèves, la petite Susie se dĂ©couvre une passion pour l’Ă©criture et la lecture. Ă€ 6 ans, elle Ă©crit son premier livre. Ă€ partir de ses 7 ans, elle tient son journal intime. Elle est championne de lecture en CM1. Or, personne ne lit chez les Hoch. Sylvia, qui Ă©lève ses filles avec pour objectif qu’elles se marient, voit mĂŞme cette activitĂ© d’un mauvais Ĺ“il. Elle estime que ce n’est pas en lisant que Sandra, Effie et Susie trouveront un Ă©poux. La benjamine de la famille assouvit donc sa passion en cachette. Elle lit tout Dickens, de nombreuses fois Les Quatre filles du docteur March – Joe est l’inspiration de toute sa vie – et mĂŞme des livres pour adultes.
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Sa vie en France et ses premiers pas en littérature jeunesse française
La rencontre entre Susie et Jacques Morgenstern
Ă€ dix-huit ans, Susie obtient une bourse pour aller Ă©tudier en IsraĂ«l. Une semaine après son arrivĂ©e lĂ -bas, elle aperçoit un grand jeune homme brun Ă l’autre bout du restaurant universitaire oĂą elle se trouve. Elle le sait : c’est l’homme de sa vie. Alors elle ose, elle se dirige droit vers lui et lui demande son nom.
« Quand j’Ă©tais ado, j’avais dĂ©vorĂ© le livre d’Herman Wouk, Marjorie Morningstar. […] J’ai donc tellement aimĂ© ce livre que je signais Susie Morningstar sur tous mes cahiers. Et le jour oĂą j’ai vu pour la première fois mon futur mari, de l’autre cĂ´tĂ© du resto U en IsraĂ«l, je l’ai aimĂ© tout de suite. Quand il m’a dit son nom, Morgenstern, je n’en revenais pas. Il m’a donnĂ© le nom que je m’Ă©tais choisi depuis que j’Ă©tais jeune… »
Le coup de foudre est immĂ©diat. Lui est Français et fait ses Ă©tudes aux États-Unis. Futur grand mathĂ©maticien, il est venu Ă JĂ©rusalem pour assister Ă un colloque. Les jeunes gens passent trois jours ensemble, puis Jacques doit repartir en AmĂ©rique. Deux ans plus tard, ils se marient dans le New Jersey et s’y installent. Susie finit son cursus universitaire et donne naissance Ă leur première fille, Aliyah, le 18 avril 1967.
L’arrivĂ©e du couple en France
Jacques est malheureux aux États-Unis. Par amour pour lui, Susie se risque Ă quitter son pays, sa langue, sa mère et ses sĹ“urs. Le couple s’installe Ă Nice, la ville natale de Jacques, en 1967. D’emblĂ©e, Susie dĂ©teste la France. Il lui faudra des annĂ©es pour adopter notre pays, elle qui, aujourd’hui, se sent pleinement Française. HĂ©las, les diplĂ´mes amĂ©ricains de Susie ne sont pas reconnus dans l’Hexagone. La voilĂ donc obligĂ©e de refaire un cursus universitaire dans une langue qu’elle ne connaĂ®t pas. PoussĂ©e par son Ă©poux, elle obtient une licence, une maĂ®trise et un doctorat en littĂ©rature comparĂ©e. L’annĂ©e de la soutenance de sa thèse, 1971, est aussi celle de la naissance de sa deuxième fille, Mayah. Ne voulant pas ĂŞtre critique littĂ©raire, Susie enseigne l’anglais Ă l’UniversitĂ© de Nice. Ce qu’elle dĂ©crit comme une corvĂ©e a aussi un cĂ´tĂ© pratique : elle peut s’adonner Ă l’Ă©criture pendant les devoirs Ă©crits de ses Ă©lèves.
Les dĂ©buts de Susie Morgenstern en tant qu’auteure
InspirĂ©e par ses filles et sa propre enfance, Susie Ă©crit des histoires pour le jeune public, sous le regard exigeant de Jacques. En 1977, son premier ouvrage est publiĂ©. Il s’agit d’un album de coloriage de l’alphabet hĂ©breu illustrĂ© par ses soins. C’est en 1984 qu’elle connaĂ®t son premier grand succès public avec La sixième. En effet, ce roman se vend Ă un million d’exemplaires et obtient plusieurs prix littĂ©raires. Un an plus tard sort Terminale ! Tout le monde descend, un livre Ă©crit Ă quatre mains avec Aliyah afin de renouer le dialogue mère/fille. Si la carrière professionnelle de Susie prend son essor, sa vie personnelle est douloureuse : son mari succombe Ă un cancer en 1994.
Sa vie sans Jacques, du deuil Ă un nouvel amour
L’accès au statut de star de la littĂ©rature jeunesse française
Avant de mourir, son Ă©poux a donnĂ© une idĂ©e d’Ă©criture Ă Susie : celle d’un courrier indĂ©chiffrable envoyĂ© du front en 1917. Lettres d’amour de 0 Ă 10 parait en 1996. L’ouvrage devient un best-seller et remporte 28 prix littĂ©raires. Comme le sera plus tard Joker, son livre prĂ©fĂ©rĂ©, il est sĂ©lectionnĂ© par le ministère de l’Éducation nationale. Susie Morgenstern accède au rang d’auteur incontournable de la littĂ©rature jeunesse française. Elle est faite Chevalier des arts et des lettres en 2005, une reconnaissance de plus de son talent. Sa plus grande rĂ©compense, toutefois, c’est de rĂ©ussir Ă transmettre l’amour de la lecture aux enfants. Susie rencontre ses jeunes lecteurs dans les salons du livre jeunesse oĂą elle est une vĂ©ritable star. Elle rĂ©pond avec joie aux invitations Ă se dĂ©placer dans les classes ou les bibliothèques.
La rencontre avec George, un tournant dans la biographie de Susie Morgenstern
À soixante-dix ans passés, après deux décennies de veuvage, Susie se laisse convaincre par un de ses gendres.
« Ça suffit de pleurer, tu es encore potable ! »
Elle s’inscrit sur un site de rencontre et y fait la connaissance de George Rosenfeld, un Suisse Allemand de 13 ans son aĂ®nĂ©. LĂ encore, c’est elle qui prend les devants. Leur rencontre a lieu Ă la Gare de Lyon, Ă Paris. Ensemble, ils se rendent dans un hĂ´tel oĂą une chambre a Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e au nom de George. Alors que ce dernier est tĂ©tanisĂ© par l’inĂ©dit de la situation, Susie le pousse sur le lit ! C’est le dĂ©but d’une belle histoire d’amour.
L’Ă©criture de romans autobiographiques destinĂ©s aux adultes
Les amoureux ont Ă©crit ensemble un livre très intime sur leur duo et, plus gĂ©nĂ©ralement, sur l’amour des seniors. L’ouvrage n’est pas destinĂ© Ă ĂŞtre publiĂ©, car George est un homme pudique. Cependant, sur le conseil d’une des filles de Susie, il est remis Ă un Ă©diteur qui l’accepte dès le lendemain. IntitulĂ© Fleurs tardives, c’est le deuxième roman pour adultes Ă©crit par la papesse de la littĂ©rature jeunesse. Il connaĂ®t un vif succès et bĂ©nĂ©ficie d’une large couverture mĂ©diatique. En 2021, l’auteure jeunesse s’est rĂ©essayĂ©e avec bonheur Ă la littĂ©rature pour adultes, toujours dans un registre autobiographique. Mes 18 exils, paru en avril , constitue ses mĂ©moires. Les exils dont parle l’Ă©crivaine correspondent Ă des moments de son existence qui ont rompu un Ă©quilibre, oĂą il a fallu s’adapter et oser. Qu’il s’agisse de raconter son histoire ou de narrer celle de ses personnages, Susie Morgenstern passe son temps Ă rĂ©diger des textes. Elle qui a signĂ© environ 150 livres fourmille encore et toujours de projets. Si bien qu’elle se demande si elle ne vit pas pour Ă©crire…
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Nathalie Rodier pour Celles qui osent
Sources :
https://www.ecoledesloisirs.fr/sites/default/files/auteurs_pdf/susie.pdf
https://www.franceculture.fr/emissions/series/susie-morgenstern