Beth French | Nageuse longue distance de l’extrême

Beth French a obtenu la palme de la femme qui me donne le plus d’inspiration. Ma rencontre avec cette autodidacte de la nage en eau libre est survenue à travers mon écran de télévision. Une matinée où, je sombrais dans un ennui profond, l’immersion dans un documentaire m’apparut comme l’unique activité qui me susciterait une vague motivation. Le résumé d’« Une vie à contre-courant » m’a happé : une crawleuse-marathonienne entreprend, en un an, la traversée de 7 détroits. J’ai finalement suivi son aventure, en apnée et submergée par une déferlante d’émotions. La témérité et la persévérance de cette battante face au défi sportif et aux épreuves de l’existence m’ont sidérée. L’estime que je lui porte depuis m’incite à partager son admirable histoire.

« L’eau et la natation ont toujours représenté un refuge pour moi : je pouvais nager avant d’avoir des souvenirs de ne pas savoir le faire. » Beth French

Descente aux abymes

Coulée et culbute

Beth French naît le 28 août 1976 dans le sud-ouest de l’Angleterre. Troisième d’une fratrie de quatre, elle baigne dans une ambiance familiale active, au cœur d’une ferme. Elle souffle ses 10 ans, lorsque les symptômes d’une affection la frappent de plein fouet. D’imprévisibles épisodes de fatigue invalidante et de douleurs ponctuent son quotidien. Les examens qu’elle passe ne révèlent rien d’anormal. Personne ne parvient à nommer ce qui l’atteint et son médecin finit par dépister une simple paresse adolescente. Elle oscille entre phases de sommeil intense — qui la privent d’une existence ordinaire — et périodes de rémission. Durant ces trêves, elle dépense son énergie, suspicieusement débordante, dans diverses pratiques sportives.

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Le monde du silence

L’affection progresse et, à 17 ans, la rive à un fauteuil roulant. Sa condition psychique s’effondre. Les troubles alimentaires et compulsifs viennent prendre place dans le lot de complications qu’elle subit. Beth, désormais mutique et apathique, est nourrie à la cuillère par son entourage. Cette situation perdure jusqu’au jour où un nouveau docteur, avisé, lui révèle la réalité de son mal : le « syndrome de fatigue chronique » (que la science nomme aussi encéphalomyélite myalgique). Aucun traitement n’existe. À un âge où l’on aspire à passer ses diplômes et son permis ou s’octroyer une année sabbatique, la jeune fille voit son avenir sombrer.

Raz de marée

L’impulsion qui amorcera une guérison inespérée viendra d’un thérapeute alternatif. Durant une consultation, il provoque sa patiente et fait peser sur elle l’inertie avec laquelle elle s’est confrontée aux aléas qui l’ont touchée. Il affirme que cela justifie sa condition et soutient qu’abandonner son fauteuil roulant ne tient qu’à elle. Fulminant qu’on l’accable de la responsabilité de son propre état, elle trouve la force nécessaire de s’élancer de rage vers son détracteur. Ce dernier, impassible, lui prescrit d’établir une simple liste de souhaits à accomplir afin de se donner des raisons de guérir. Ce violent épisode laisse la jeune femme durablement choquée, mais, à défaut d’autre traitement, elle applique l’ordonnance. Concevoir ses rêves et se projeter en bonne santé l’aident à puiser l’énergie pour combattre son trouble. Le déclic s’opère. À sa majorité, son gouvernail devient : vivre normalement et rattraper le temps perdu.

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Retour à la surface

Beth largue les amarres

Après tout ce temps à être restée prisonnière d’un corps-scaphandre auquel elle n’a pu se fier, Beth, désormais avide de liberté, prend le large 2 semaines en Irlande. Au dernier moment, elle déchire son billet retour et part pour Hawaï. Elle y séjournera plusieurs mois, travaillant dans une ferme pour vivre. Le soir, pour se détendre, elle plonge dans l’océan Pacifique. Ces séances balnéaires lui donnent conscience du bienfait qu’elles lui procurent. Elle s’éprend du sentiment d’indépendance qu’elle ressent à se baigner en mer : sa passion est née. Peu à peu, ses sessions s’allongent, jusqu’à durer 3 à 4 h. Une expiration après l’autre, elle se mue en nageuse longue distance.

Reprise de souffle

L’intensité physique à laquelle elle soumet son corps l’entraîne à fréquenter divers thérapeutes. Davantage confiante envers les approches alternatives, elle se lie à une soigneuse indigène octogénaire qui la formera au massage tribal du lomi-lomi. Marquée par des années d’errance médicale et curieuse de comprendre les origines de sa maladie, elle s’intéresse et étudie les effets du stress sur le système immunitaire.

Lame de fond au fond de l’âme

Son chemin la conduit ensuite en Thaïlande où elle décide d’apprendre la version asiatique du massage thérapeutique. Sur place, un shaman lui conseille de prendre une retraite spirituelle. Elle passe ainsi 6 mois, à méditer 17 h par jour dans un monastère. Ordonnée nonne bouddhiste, elle pousse son expérience à l’extrême en s’adonnant à l’Adhiṭṭhāna (« La ferme détermination ») et en se livrant à une d’introspection ultime de 72 heures continues. Beth explique à présent qu’elle s’est défiée mentalement et physiquement à cette période, et y a appris à « forger les outils de l’endurance ». Elle poursuivra ses explorations jusqu’à l’aube de sa trentaine puis rentrera en Angleterre, s’installer en tant que praticienne.

Une mère à la mer

Les médecins avaient prévenu : Beth ne pourra pas enfanter. Pourtant, en 2008, elle donne naissance à un garçon prénommé Dylan. Le père, qui n’avait pas envisagé ce destin, disparaît de leurs existences. Cet avenir de mère célibataire génère une certaine anxiété chez la jeune femme. Elle comprend vite que ce stress la prédispose à replonger dans la maladie. Dès lors, elle maintient son équilibre mental, en allant nager en mer, tous les après-midi, pendant les siestes du petit. À mesure qu’il grandit, elle l’emmène avec elle, le tractant sur un canot qu’elle attache à sa cheville. Sa famille réprouve sa manière de vivre et lui reproche d’infliger à son enfant un quotidien inadapté. Mais grâce à la natation, Beth a trouvé une sérénité et une harmonie entre l’être physique et la conscience. Elle suit son instinct maternel et reste fidèle à ses préceptes.

Brasse anglaise

C’est dans ce climat familial chaviré qu’elle exauce l’ultime souhait de sa liste de vœux : traverser la Manche à la nage. Elle effectue ce périple à 33 ans, uniquement accompagnée du bateau dont le pilote est chargé de la ravitailler. Le parcours se déroule bien, mais les difficultés, dues aux forts courants, apparaissent dans les derniers kilomètres. Elle trouvera les ressources pour surmonter la fin de sa route en se figurant terminer à temps pour rentrer coucher son fils. À tour de bras, elle débarque en titubant, sur une plage française, après 15 h de progression dans une eau à 16 °C. Après cette performance, réalisée dans l’ambition d’un dépassement de soi, elle s’autorise à s’ériger en héroïne de sa propre vie. Le saut dans le grand bain a eu lieu. Elle réitérera une prouesse similaire, au cours d’un nouveau séjour à Hawaï avec Dylan, en crawlant les 42 km qui séparent deux îles de l’archipel. Cette réussite la propulsera au rang de « première Britannique » à y parvenir.

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Le défi ultime de nage en eau libre

Le marathon « Oceans Seven »

Braver son corps pour se prouver sa complète guérison. Le cheminement de Beth la guide naturellement à l’une des épreuves les plus surhumaines de la planète : traverser à la nage 7 couloirs maritimes du globe. En 2016, seuls 6 concurrents au monde avaient réussi à boucler le challenge, chacun sur 4 années. L’athlète veut devenir la première à tenter de l’accomplir en 12 mois. Le calendrier planifiait les étapes suivantes :

  • Mer du Nord — septembre 2016
  • Canal de Catalina — octobre 2016
  • Canal de Molokai — novembre 2016
  • Détroit de Cook — avril 2017
  • Détroit de Gibraltar — mai 2017
  • Détroit de Tsugaru — juin 2017
  • La Manche — août 2017

Ce défi, impensable pour le commun des mortels, confronte les concurrents à divers dangers : courants marins, cargos, crampes, hypothermie, prédateurs, piqûres de méduses… La vision d’une dorsale de requin-tigre, long de 4 m, qui surgit lors de la traversée nocturne du canal de Molokai, reste un souvenir épique pour la téméraire Anglaise.

Une vie à contre-courant

« Against the Tides », de Stefan Stuckert, dévoile les coulisses et la performance de l’exploit. Le documentaire dresse les différents portraits de sa protagoniste : d’abord, l’oratrice influente qui mène, seule, la collecte de fonds essentiels à l’élaboration de son ambitieux projet. Puis, l’athlète est mise en lumière : sa préparation mentale, son entraînement, et sa conquête. Enfin, on s’émeut devant une mère-équilibriste, qui oscille entre son obstination à atteindre un objectif personnel et la préservation de la stabilité familiale. En effet, Dylan suit sa maman à travers le globe, mais le rythme de cette course démesurée affecte l’enfant au point de le conduire à entamer un parcours de diagnostic auprès de spécialistes…

Les sirènes existent : Beth French en incarne une. À l’inverse des créatures mythologiques, son chant ne vous privera pas de votre sens de l’orientation. Bien au contraire, il vous guide vers l’émancipation qui permet de s’affranchir des injonctions du monde et de relever des challenges, par et pour vous-même. A-t-elle mené l’expérience à bien  ? Comment la relation avec son fils a-t-elle tenu dans la tempête ? Comment échappe-t-on à un requin  ? Pour le savoir, visionnez le splendide film de cette aventure ahurissante.

Lysiane LEQUESNE pour Celles qui Osent

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Sources :

Beth French

https://www.openwaterswimming.com/being-in-water-gives-me-freedom-beth-french/

Beth French – Ocean Swimmer, Inspirational Speaker. Recovering from ME- and bringing up her son.

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