Collecte des données : quand avoir ses règles devient un outil de surveillance numérique

Des dizaines d’applications sont désormais disponibles sur les smartphones, permettant de surveiller les cycles menstruels, les périodes de fertilité et l’état de la grossesse d’une utilisatrice. Ces données de santé des applications de suivi des règles, particulièrement intimes, pourraient être utilisées par des lobbys anti-avortement afin de pénaliser les femmes ayant recours à une interruption volontaire de grossesse.

Une multiplication des applis de santé menstruelle : Flo, Clue, Maya…

Clue, Glow, Maya, pTracker, Flo… Les applications de suivi des règles se sont multipliées sur les smartphones et concernent des millions de personnes. Flo, qui se présente comme l’application de santé menstruelle la plus populaire chez les femmes, rassemble plus de 43 millions d’utilisatrices à travers le monde ! Chez Clue, une autre appli, on décompte plus de 12 millions d’utilisatrices. Le recours à ces outils concerne, selon le média américain TechCrunch, un tiers des Américaines.

Alors que l’arrêt Roe vs Wade – garantissant l’accès à l’avortement pour toutes les Américaines – se trouve menacé, les données de santé contenues dans ces applications sont hautement sensibles. Pour rappel, un rapport de la Cour suprême écrit par le juge conservateur Samuel Alito, rendu public par le journal Politico en mai dernier, envisage l’annulation de cet arrêt datant de 1973 et reconnaissant l’avortement comme un droit protégé par la constitution américaine. Si Roe vs Wade devait être supprimé, chaque État serait donc libre de légaliser, ou non, le recours à l’IVG. Aujourd’hui, une vingtaine d’États américains s’opposent à l’avortement et tentent de rendre l’accès à ce dernier difficile, voire impossible.

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Partage des données personnelles au service des anti-IVG

Alors dans un contexte politique et historique troublé et face à la menace dont sont victimes les Américaines concernant leur droit à interrompre volontairement une grossesse, des outils aussi précieux que les applications de santé menstruelle méritent une attention particulière. Si l’on se penche sur le règlement relatif à la vie privée de Flo, ce dernier stipule que des informations personnelles peuvent être partagées avec des hébergeurs, et que des statistiques « qui ne peuvent être utilisées pour identifier les utilisatrices » sont susceptibles d’être partagées dans des « articles, posts de blog ou publications scientifiques », dans le but d’améliorer la compréhension des cycles menstruels. Enfin, l’application prévient que, dans le cas où elle serait revendue, les informations des utilisatrices le seront également.

En 2016, le New York Times a d’ailleurs publié le témoignage d’une utilisatrice de ces applications qui expliquait que même après avoir fait une fausse couche, elle continuait de recevoir des publicités relatives à la grossesse :

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« En ce qui concerne Internet, ma grossesse s’est déroulée normalement et j’ai accouché et suis devenue mère le mois dernier. Dans deux ans, il supposera probablement que j’apprends à mon enfant à être propre et m’enverra des culottes de propreté. Et dans cinq ans, il viendra sûrement me proposer des fournitures scolaires pour mon petit élève de maternelle. »

Bien plus que de simples applications de suivi des règles

Mais où est le danger, et quel est le lien de Clue ou Flo avec l’avortement ? Selon Eva Galperin, directrice de la cybersécurité à l’Electronic Frontier Foundation :

« Nous sommes face à un avenir où les données collectées par les applications de suivi des règles pourraient être utilisées soit comme un filet pour identifier les femmes qui pourraient avoir eu un avortement, soit comme une preuve qu’une femme a eu un avortement dans un avenir où la recherche (ou la pratique) de l’avortement est criminalisée, ce que les partisans anti-avortement sont impatients de faire. »

En effet, ce cas particulier des applications de santé menstruelle peut déboucher sur des publicités à visée anti-IVG, comme le rappelle Evan Greer, directeur du groupe de défense des droits numériques Fight for future, mais peut également mener à la dénonciation des femmes ayant recours à l’avortement dans des États où ce dernier pourrait être rendu illégal. C’est déjà le cas au Texas, où il est interdit d’avorter au-delà de six semaines de grossesse et où les citoyens peuvent dénoncer des personnes et organisations qui aideraient une femme à interrompre sa grossesse au-delà de ce délai, pour la modique somme de 10 000 dollars.

En janvier 2021, la Commission Fédérale du Commerce américaine (Federal Trade Commission) a d’ailleurs obligé l’application Flo à obtenir un examen indépendant de sa politique de protection de la vie privée et à demander aux utilisatrices leur consentement avant de divulguer leurs données de santé.

Ce genre de sujets vous intéresse ? Nous vous invitons à lire notre article sur le démantèlement de Facebook.

 

Victoria Lavelle

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