Beaucoup connaissent le nom de Mata Hari, mais peu sont au fait de son histoire hors du commun. Alors qui est-elle ? Une espionne célèbre ? Une danseuse exotique ? Une courtisane néerlandaise ? Eh bien, c’est un savant mélange de tout cela, mais surtout c’est une femme libre et fatale, en avance sur son temps qui paiera son audace de sa vie.
La genèse d’une beauté exotique
Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Zelle, nait en 1876 aux Pays-Bas. Elle vit une enfance heureuse jusqu’au décès de sa mère en 1891. Après le remariage de ce dernier, elle est envoyée à La Haye chez son parrain pour y poursuivre son éducation.
Elle affirme rapidement un caractère effronté et un étonnant don pour les langues étrangères. Elle met en avant sa beauté inhabituelle : des yeux noirs, un teint hâlé et de longs cheveux de jais qui dénotent au milieu des peaux claires néerlandaises. Elle attire très vite le regard des hommes, y compris celui du directeur de l’école où elle est surveillante. Elle est licenciée en 1894 à cause de cette supposée liaison.
En quête d’une vie plus trépidante, elle répond à une annonce dans un journal provenant d’un militaire qui cherche une épouse. À dix-huit ans, elle se marie avec cet officier, Rudolf McLeod. Ensemble, ils partent vivre à Malang sur l’île de Java qui est, à l’époque, une colonie néerlandaise. Là-bas, elle apprend les rudiments des danses exotiques locales pour lesquelles elle se passionne rapidement.
Dans le même temps, son mariage est un échec : Rudolf est endetté, alcoolique et la trompe régulièrement au point de lui transmettre la syphilis. Néanmoins, de cette union naitront deux enfants : un garçon Norman-John et une fille Louise Jeanne. Le premier meurt d’un accident ménager à l’âge de deux ans.
En 1902, Margaretha et Rudolf sont divorcés et elle perd la garde de sa cadette. Toujours en quête d’aventures palpitantes, elle part pour Paris, où Louise Weber alias La Goulue connut le succès quelques années plus tôt au Moulin Rouge.
Le parcours audacieux de Mata Hari
Arrivée dans la Ville Lumière, Margaretha se fait désormais appeler « Mata Hari » qui signifie « œil du jour » en malais. Elle est repérée par Émile Guimet, propriétaire du Musée des Arts asiatiques. Elle s’y produit en tant que danseuse exotique. Elle prétend être une princesse javanaise et que ses danses sont sacrées. Ainsi, elle évite scandale et censure.
Elle devient rapidement la tête d’affiche en raison de la nature de ses prestations. Tout au long de ses représentations, elle se dévêtit au point de finir quasiment nue. Seuls des bijoux ornent son corps. Les hommes l’adulent et font d’elle la femme la plus désirée de Paris. Elle fréquente de riches personnages français : aristocrates, militaires, imprésarios… Ces multiples individus, avec lesquels elle entretient des relations charnelles, la couvrent de cadeaux. Elle bâtit ainsi une fortune importante.
Les années passent, la mode change et les spectateurs préfèrent désormais les ballets russes, auxquels s’adonne notamment Ida Rubinstein. Mata Hari finit par se produire dans des salles plus modestes. Puis en 1914, la Première Guerre mondiale éclate et elle se retrouve sans emploi. Son argent fond comme neige au soleil. Elle retourne donc à La Haye. Là-bas, Karl Kroemer, consul d’Allemagne aux Pays-Bas, lui rend une visite qui n’a rien d’un hasard. Il lui propose l’équivalent de 50 000 € pour espionner les pays de la Triple-Entente (et plus particulièrement la France, au vu de ses relations personnelles). Elle consent à remplir cette fonction pour une raison très simple. Quand la guerre a éclaté, les Allemands lui ont confisqué bon nombre de ses affaires. Elle décide d’accepter cet argent comme une juste compensation du préjudice subi. L’agent H-21 est né.
Elle se révèle être une piètre informatrice et ne rapporte pas de renseignement important. Ne prenant pas cette mission au sérieux, elle n’aurait envoyé à ses contacts allemands que des éléments trouvés dans des journaux.
Néanmoins, son comportement attire l’attention des autorités alliées qui commencent à la surveiller. Le service du contre-espionnage français fait ouvrir ses courriers, met sur écoute sa ligne téléphonique et tient un registre de ses visites. Rien de concluant n’est découvert contre elle.
Mais, tellement habituée au regard masculin, elle ne se rend pas compte du piège qui va doucement se refermer autour d’elle.
La chute d’une espionne amoureuse
En 1916, Mata Hari tombe amoureuse d’un officier russe, Vladimir Masloff, de quinze ans son cadet. Elle apprend qu’il est blessé et hospitalisé près de Vittel. Elle sollicite alors à son amant, Jean Hallure, de l’aider à le rejoindre. Ce dernier travaille pour le ministère de la Guerre et pour les services d’espionnage. Son double jeu participera à la chute de l’audacieuse. Le Capitaine Ladoux, dirigeant le Deuxième Bureau du Grand Quartier Général du contre-espionnage, surveille la courtisane. Sa demande est acceptée en échange d’information sur l’ennemi allemand. On lui propose également un million de francs.
Ladoux l’envoie en Espagne pour une mission. Durant son voyage, passant par le Royaume-Uni, elle se fait arrêter et interroger longuement. Les Anglais la prennent pour une espionne au profit de l’Allemagne. Elle se justifie en expliquant son accord avec le renseignement français. Sollicité par les Anglais, Ladoux nie connaître Mata Hari et déclare n’avoir aucun arrangement avec elle.
Malgré son interrogatoire, les Anglais n’ont aucune preuve tangible contre elle et la relâche. Elle finit sa mission puis rentre à Paris pour toucher le chèque promis.
À son arrivée, elle s’entretient avec le Capitaine Ladoux et explique lui avoir envoyé une missive avec les renseignements découverts. Ce dernier dit ne rien avoir reçu et refuse de la payer.
Parallèlement à tout cela, la Guerre fait rage et ne tourne pas à la faveur des Alliés. Les combats s’enlisent et les mutineries se multiplient. La France a besoin d’affirmer son autorité et sa lutte contre la Triple Alliance.
Dans le même temps, la France intercepte un message codé de l’Allemagne parlant d’un agent nommé « H-21 » et donnant des indications qui permettent d’identifier (trop) facilement Mata Hari, dont son adresse et sa description physique. Néanmoins, cette histoire comporte un élément plus que troublant : l’Intelligence allemande savait que les Français décrypteraient cette communication. En somme, l’Allemagne l’a délibérément vendue au contre-espionnage français pour s’en débarrasser, car elle n’a pas été capable d’apporter la moindre information probante. C’est le début de la fin pour Mata Hari.
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La mort digne d’une femme libre et libérée
L’intrépide Mata Hari est arrêtée le 13 juillet 1917 pour espionnage au profit de l’ennemi allemand. Le procureur chargé du dossier est Pierre Bouchardon. Il déteste d’emblée cette femme libre pour sa vie légère, qu’il juge « débridée ».
Son procès démarre deux semaines plus tard. L’accusation n’a quasiment pas de preuve contre la danseuse déchue hormis des notes (télégrammes et messages radio) remises par Georges Ladoux. Ayant été le seul à avoir accès à ces éléments, on considère aujourd’hui que ces pièces ont été falsifiées. De plus, le témoignage du Capitaine contient de nombreuses incohérences. Néanmoins, ces dernières ne sauront pas faire la différence face à ce jury, composé uniquement de militaires.
De son côté, Margaretha est défendue par un ancien amant, Édouard Clunet, expert en Droit international. Son manque d’expérience dans ce type de procès rend sa prestation médiocre et il ne parvient pas à la sauver.
Dans cette société sous domination masculine, elle est déclarée coupable le 27 juillet 1917 et condamnée à mort par fusillade. Margaretha et son avocat tentent le tout pour le tout en déposant divers recours pour commuer sa sentence en peine d’emprisonnement et envoient même une demande de grâce auprès du Président Poincaré. Elle sera refusée.
Le 15 octobre 1917 à l’aube, Mata Hari est secrètement emmenée à la forteresse de Vincennes pour y être tuée. Édouard Clunet ainsi qu’une nonne, avec laquelle elle a noué des liens solides durant sa courte incarcération à la prison de Saint-Lazare, sont présents.
Forte, fière et digne, elle se dirige seule vers le poteau d’exécution. Elle refuse d’y être attachée et reste debout ; ainsi elle demeure la femme libre qu’elle a toujours été. Elle ose même lancer un dernier baiser aux soldats en joue. Quelle audace ! Ce geste impressionne le sergent qui commande le peloton qui déclara : « Mon Dieu ! Cette femme-là sait mourir ! »
Après des années de richesse et de luxure, la chute est rapide et Mata Hari n’a pas vu le piège se refermer sur elle. Les hommes dont elle aimait tant la compagnie lui ont finalement fait payer son style de vie décadent pour l’époque sous couvert d’être une (piètre) informatrice. Tout était réuni pour faire de sa fatale punition un exemple qui a, très certainement, participé à construire le mythe de la danseuse devenue espionne.
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Emilie Delplace, pour Celles qui Osent
📚 Sources :
France Archives, Mata-Hari
Universalis, MATA HARI (1876-1917)
Université de Lyon, Portrait de la semaine : Mata Hari — CQFD, Mai 2020
National Geographic, Mata Hari, la femme fatale victime de la Grande Guerre
Herodote, 15 octobre 1917 — Mata Hari est fusillée pour espionnage, Octobre 2019
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