Lorsque l’on évoque le romantisme, son nom n’est pas le premier à venir à l’esprit. Pourtant, cette femme poète a été un précurseur de ce mouvement littéraire, sublimant l’amour comme la douleur et s’affranchissant des contraintes stylistiques de la poésie classique. La biographie de Marceline Desbordes-Valmore, poète romantique, permet d’entrevoir à quel point sa vie a influencé son œuvre et comment elle a inspiré auteurs et chanteurs. En voici un aperçu.
La vie d’une poète romantique
La littérature romantique
Au XIXe siècle, vers 1820, dans le contexte historique de la Restauration, se développe en France un courant littéraire et culturel : le romantisme. Après l’éloge de la raison au siècle des Lumières, les romantiques s’inscrivent contre cette rationalisation en prônant la libre expression des sentiments à travers des élégies teintées de lyrisme. La mélancolie si bien décrite par Baudelaire dans Spleen est très présente dans la littérature romantique, tout comme la nostalgie et la mort. Les passions, les séparations et les amours contrariées alimentent thématiquement les œuvres de ce mouvement littéraire.
Le carcan de l’alexandrin est trop serré pour les romantiques qui souhaitent s’affranchir des règles poétiques contraignantes, afin de pouvoir exprimer librement leurs sentiments. Lamartine dit d’ailleurs du romantisme dans ses Méditations Poétiques en 1820 “[qu’]aucune loi ne le domine”. On retient généralement de ce mouvement littéraire de grands noms tels que ceux de Lamartine, Hugo, Baudelaire ou bien Verlaine. Mais l’Histoire oublie trop souvent de saluer l’œuvre d’une pionnière de la poésie romantique : Marceline Desbordes-Valmore.
« La grande sœur des romantiques »
Ses contemporains lui ont pourtant rendu hommage. Baudelaire la surnomme “la grande sœur des romantiques” et Verlaine la glorifie dans ses Œuvres Complètes, parmi les Poètes Maudits, la qualifiant de “génie, enchanteur lui-même enchanté”. Il affirme également que “Marceline Desbordes-Valmore est tout bonnement […] la seule femme de génie et de talent de ce siècle et de tous les siècles […]”.
Mais cette femme n’a pas marqué que ses contemporains. Stefan Zweig lui consacre ainsi en 1902 une biographie, disant d’elle et de sa poésie qu’elles sont : ”une innocente, un art sans art”. Car Marceline Desbordes-Valmore n’a pas suivi le parcours classique des auteurs qui ont étudié le latin et le grec. Elle ne se sent pas légitimement poète. Verlaine dit d’ailleurs d’elle qu’elle fut “très artiste, sans trop le savoir et ce fut tant mieux”.
Née en 1786, elle embrasse très tôt le métier de comédienne. Elle joue le rôle de Rosine dans Le Barbier de Séville puis devient cantatrice, se produisant de Paris à Bruxelles. C’est en 1819 qu’elle édite son premier recueil de poèmes Élégies et Romances, bien accueilli par la critique. L’élégie, ce “chant de mort”, traduit littéralement, est un petit poème lyrique, généralement triste et mélancolique. Ce genre littéraire lui convient pour extérioriser ses souffrances et elle publie plus tard d’autres recueils dans ces thèmes chers aux romantiques : Elégies et poésies nouvelles en 1824, suivi des Pleurs en 1833, de Pauvres Fleurs en 1839 et de Bouquets et prières en 1843. “Les roses de Saadi”, “N’écris pas”, “l’Amour” et “les Séparés” sont quelques poèmes connus de Marceline Desbordes-Valmore. Un recueil, nommé Poésies inédites, paraît à titre posthume en 1860.
“Quand on n’a pas souffert, on ne sait rien encore,
On ne veut confier son cœur qu’à l’avenir.”
Poésies (1830), “Elégies”
La souffrance de « Notre-Dame-des-Pleurs »
L’expression de la douleur est remarquable dans l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore. Si ce thème de la souffrance est en vogue au XIXe siècle, il teinte surtout la biographie de cette femme poète, marquée par de nombreux deuils. À commencer par la mort de sa mère, alors qu’elle n’a que 15 ans. Cela l’oblige à subvenir à ses besoins et à ceux de son père, ruiné, en entamant une carrière de comédienne. Amoureuse d’Henri de la Touche, elle enfante un fils qui décède à l’âge de 5 ans. Mais l’homme qu’elle aime, issu de la bourgeoisie, ne peut épouser une femme du monde du spectacle. Ce drame sentimental se lit en filigrane dans ses textes.
Elle rencontre plus tard Prosper Valmore, un comédien avec qui elle a 4 enfants. Seul l’un d’entre eux lui survivra. Sa vie est donc jalonnée de drames, ce qui lui vaut le surnom de “Notre-Dame-des-Pleurs”. Ces souffrances de mère endeuillée et d’amante inconsolable inspirent sans conteste son œuvre comme dans les vers suivants :
“Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !”
Poésies (1830), “Qu’en avez-vous fait”
Cette expérience intime du malheur et de la souffrance qui marque sa vie a influencé ses textes. Toutefois, si le “moi” est central dans son œuvre poétique, Marceline Desbordes-Valmore refuse le biographique. “Qu’ai-je de biographie, moi qui vis dans une armoire !”, dit-elle à qui la questionne sur la possibilité d’écrire sur sa vie. L’écriture poétique est davantage un moyen de se soustraire à sa douleur que de s’épancher sur ses peines. Elle y voit comme beaucoup d’auteurs romantiques la possibilité de s’échapper des contraintes stylistiques, notamment en proposant une versification nouvelle, propice à la mise en musique.
Marceline Desbordes-Valmore : une biographie rythmée par la musique
Un hommage en chanson : des poèmes aux paroles
Marceline Desbordes-Valmore a certes marqué la poésie par ses élégies, mais elle a également composé des romances, que son amie Pauline Duchambge, musicienne, a mises en musique. Sans être une chanson populaire, la romance n’appartient pas non plus au registre lyrique. Il s’agit d’un genre musical particulier, “intermédiaire” en quelque sorte, entre la musique populaire et la musique de salon, qui a connu son heure de gloire entre le XVIIIe et le milieu du XIXe siècle. L’amour en est souvent le thème principal.
Si ses romances se sont particulièrement prêtées à la mise en musique, ses poèmes ont également été source d’inspiration pour de nombreux compositeurs. Ses textes semblent avoir été écrits pour être chantés. En effet, Camille Saint-Saëns, à 7 ans, met en musique le poème “Le Soir”. En 1868, c’est Georges Bizet qui compose une Berceuse sur un vieil air à partir d’un poème du poète.
Ces poésies trouvent encore un écho au XXe et au XXIe siècle, par la voix de Julien Clerc et de Benjamin Biolay, qui chantent “Les Séparés” et par celle de Pascal Obispo, dans son album Billets de femme, datant de février 2016. Dans une interview donnée au magazine 20 minutes le 04/02/2016, le chanteur déclare : “J’ai rencontré une femme, avec ses mots, sa douceur, ses émotions, ses souffrances et sa douleur intense. Voici le résultat de cette rencontre en 12 chansons comme 12 déclarations d’amour.”
La musicalité de ses œuvres poétiques
Mais qu’est-ce qui fait de sa poésie une véritable “fabrique à chansons” ? Honoré de Balzac décrit dans sa Correspondance les poèmes de Marceline Desbordes-Valmore comme des “assemblages délicats de sonorités douces et harmonieuses“ (tome III). Pour Mallarmé, elle est “initiatrice quant aux moyens de dire”. En effet, pour répondre à son besoin de dire et de dire juste, elle s’affranchit des contraintes stylistiques et utilise des vers inusités jusqu’alors comme le vers de 5 ou de 11 syllabes.
Esther Pinon et Christine Planté, respectivement maître de conférences en littérature et professeure de littérature française, analysent dans un podcast de France Culture cet attrait par la musicalité de ces poèmes. La syntaxe précise, ainsi que la concision des vers, contribuent à donner un rythme aux textes, les colorant d’une certaine musicalité.
“N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu… Qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !”
Poésies inédites (1860), “Les Séparés”
La syntaxe est parfaitement travaillée, de sorte à ne laisser que ce qui est absolument essentiel pour “dire juste”. Elle donne pourtant cette impression de facilité, de simplicité dans l’écriture.
“Heure charmante,
Soyez moins lente !
Avancez-vous,
Moment si doux !”
Romances (1830), “Le Soir”
De cantatrice à poète romantique
Marceline Desbordes-Valmore ressent dans son corps un rythme, qu’elle appelle “battement fiévreux”. Elle explique à Sainte-Beuve que sa propre voix l’émeut tant qu’elle en pleure et ne peut plus chanter. Elle se met alors à écrire ses poèmes, guidée par ce rythme intérieur qui l’obsède.
Sa carrière dans le théâtre, puis comme cantatrice, lui a appris toute la portée de la voix et sa puissance à exprimer les émotions. Le chant a certainement été une porte d’entrée dans la rythmique poétique, comme peut-être pour Maya Angelou, deux siècles plus tard. Marceline Desbordes-Valmore apprend et pratique des mètres différents, elle s’imprègne des auteurs classiques. La justesse et le naturel de son jeu sont d’ailleurs reconnus par ses contemporains.
Son statut de “comédienne qui fait des vers” ne la contraint pas à se présenter en poète romantique. Il lui permet d’écrire librement, de sortir de l’alexandrin et de créer sa propre versification. “Marceline Desbordes-Valmore a, le premier d’entre les poètes de ce temps, employé avec le plus grand bonheur des rythmes inusités, celui de onze pieds entre autres”, écrit Verlaine. Ces vers impairs, glorifiés par l’auteur de “Chansons d’automne”, ont inspiré Rimbaud.
« J’ai vécu d’aimer, j’ai donc vécu de larmes ;
Et voilà pourquoi mes pleurs eurent leurs charmes. »
Poésies inédites (1860), “Rêve intermittent d’une Nuit triste”
L’expérience intime de la souffrance vécue par Marceline Desbordes-Valmore, conjuguée à sa connaissance empirique de l’art poétique, par le moyen du théâtre et du chant, ont donné naissance à une poésie lyrique mais novatrice, au rythme propice à la mise en musique. Elle fut aimée parce que femme et admirée bien que femme. Cette biographie esquisse le portrait d’une poète romantique qui puise dans ses douleurs son inspiration et s’en échappe en ouvrant une voie vers une nouvelle façon d’écrire la poésie. Une femme qui a osé et qui nous inspire.
Hélène B. pour Celles qui osent
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