En analysant la programmation du Hellfest, l’un des plus grands festivals metal d’Europe, une question se pose : où sont les femmes ? Parmi les nombreux artistes invités, seulement 3 % étaient des femmes lors de l’édition 2019, et ce n’est guère mieux pour la prochaine en 2023. Pourtant, les musiciennes n’ont jamais été absentes de la scène hard rock et metal, et jouissent souvent d’une belle popularité. Être une femme dans le metal n’est cependant pas une sinécure. Entre sexisme et stéréotypes qui ont la vie dure, le combat pour l’égalité n’est pas encore gagné.
Le metal, une histoire d’hommes ?
Têtes de mort, guitares saturées, cris caverneux, imagerie occulte… Le metal est à première vue un genre musical hostile, brutal et dépressif, usant de symboles guerriers et morbides. Les fans arborent un look parfois extrême fait de cuir, de clous et de tatouages. On les voit aussi buveurs de bière et prêts à montrer leur postérieur à l’approche des caméras de télévision présentes en festival. Peut-on alors affirmer que le metal est un milieu qui n’attire pas les femmes ? En sont-elles même exclues, menaçant les codes d’un genre à la masculinité affirmée ?
Certaines femmes osent pourtant revendiquer leur goût pour un style qui se révèle passionnant et complexe. Qu’elles soient simples amatrices ou instrumentistes professionnelles, chacune peut y trouver sa place. Dès les premières vagues hard rock et de heavy metal, dans les années 70 et 80, les musiciennes ont déjà voulu s’affirmer. À l’instar de Viola Smith, batteuse de jazz renommée des années 40, elles ont démontré qu’elles aussi savent jouer et peuvent monter leurs propres groupes. Girlschool et The Runaways (premier groupe de Joan Jett, interprète du célèbre hymne « I Love Rock’n’Roll ») ont été les premières formations 100 % féminines à oser se lancer dans une scène dominée par les Anglo-Saxons de Black Sabbath, Motörhead, Kiss, AC/DC ou Aerosmith.
▶️ À lire aussi : 8 pionnières oubliées de la musique électronique
En Allemagne, autre terre fertile du heavy, la chanteuse Doro Pesch décide de créer le groupe Warlock en 1982 et devient rapidement l’une de grandes figures féminines du metal, inspirant encore aujourd’hui de nombreuses musiciennes. La « Queen of Metal » a su s’imposer simplement, en assumant sa féminité sans pour autant la mettre en avant. Pourtant, Doro était une exception dans un style majoritairement masculin. Mais qu’en est-il trente ans plus tard ?
Cristina Scabbia, chanteuse de Lacuna Coil depuis plus de vingt-cinq ans, explique dans un épisode de podcast de Jonathan Montenegro sorti en 2023 :
« Quand j’ai commencé, il n’y avait pas tant de groupes avec une femme dans le line-up. Le metal était encore en quelque sorte interdit pour les femmes, car c’était une scène très dominée par les hommes. C’est toujours le cas, mais il y a bien sûr beaucoup plus de groupes avec une femme, ce qui me rend heureuse, même si nous sommes toujours perçues différemment. »
Décider d’intégrer un groupe de metal quand on est une femme a longtemps été vu comme une curiosité. La plupart des musiciennes se définissent cependant en tant qu’artistes parmi d’autres, sans se soucier de leur genre.
Le metal féminin : reconnaissance ou outil marketing ?
Pourtant, fans comme médias n’auront de cesse de mettre l’accent sur leur côté féminin. Avec l’apparition du metal gothique et symphonique dans les années 90, les chanteuses de metal deviennent les nouvelles stars d’un genre finalement pas si viril. Theatre of Tragedy ou The Sins of Thy Beloved utilisent les voix féminines en contraste avec un chant masculin extrême. Elles sont alors recrutées pour leurs voix angéliques, voire opératiques, incarnant la fragilité, l’émotion et la lumière. Face à elles, les hommes représentent la force et l’obscurité.
Plus accessible, le metal symphonique fait office de porte d’entrée vers le metal en général, un genre d’une grande richesse, varié et pourtant méconnu et absent des radios grand public et généralistes. Sharon den Adel (Within Temptation), Tarja Turunen ou Simone Simons (Epica) deviennent des icônes adulées par les fans du genre. Dans les années 2000, Evanescence et son tube Bring Me To Life popularise ce qu’on appellera le metal à chant féminin, bien que cette étiquette soit largement décriée.
Y’a-t-il donc un metal féminin, en opposition au metal masculin ? Plus mélodique, le heavy symphonique attirerait plus les femmes, qui pourraient plus facilement s’identifier à un genre moins extrême. Mais il est aussi apprécié par les hommes, qui restent majoritaires dans les salles de concert. Les femmes deviennent alors un argument marketing sur lequel tout miser. On les met en avant sur les photos promotionnelles, de préférence en tenue sexy. L’industrie musicale est dirigée par des hommes, et les Spice Girls et leur Girl Power dénonçaient déjà ses dérives dans les années 90. Comme dans la pop, l’apparence des chanteuses semble primordiale, au point de supplanter leurs voix pour le magazine américain Revolver, offrant durant plusieurs années un calendrier des plus belles femmes du hard rock.
Cependant, le metal à chant féminin ne peut être qualifié de style à part entière, puisqu’il incorpore des groupes death metal comme metal progressif. Alissa White-Gluz (Arch Enemy), Tatiana Shmayluk (Jinjer) ou Vicky Psarakis (The Agonist) figurent parmi les nouvelles références du chant saturé et soutiennent les comparaisons avec leurs homologues masculins. Les artistes féminines ne sont d’ailleurs pas uniquement chanteuses, mais aussi bassistes, batteuses ou guitaristes, à l’instar de Nina Strauss qui accompagne sur scène l’icône Alice Cooper (qui est un homme !). Des formations 100 % féminines se créent avec les thrasheuses de Nervosa ou les heavy métalleuses de Burning Witches. Autant de nouveaux modèles pour les futures générations de musiciennes !
Être une femme dans le metal face au sexisme et à la misogynie de l’industrie musicale
S’il devient de plus en plus courant de voir des femmes dans le metal, sa section la plus extrême reste la chasse gardée des hommes, et Myrkur en a fait les frais. Le one woman band d’Amalie Bruun a en effet osé se frotter au black metal, un genre subversif où règne encore des hommes aux positions radicales et fermées. En sortant son premier album, Myrkur s’est vue recevoir un flot de messages insultants, sexistes et menaçants sur les réseaux sociaux.
Sans généraliser l’acharnement reçu par les musiciennes dans le hard rock, celles-ci ne cachent pas vivre leurs carrières différemment de celles de leurs collègues masculins. Dans le documentaire Brutal Lows : The Voices of Metal, Charlotte Wessels (ex-Delain), Anneke Van Giersbergen ou Kobra Paige (Kobra and the Lotus) affirment toutes devoir avoir dû redoubler d’efforts pour être respectées et connaître le succès. Une fois celui-ci acquis, il faut encore prouver qu’il est mérité et qu’il ne dépend pas d’une relation ou de leur physique, mais bien de leur travail acharné.
En coulisses, le constat est le même : techniciennes et professionnelles du spectacle font face à la misogynie et au mansplaining. Clémentine Develay-Thieux, organisatrice de concerts au sein de Sounds Like Hell Productions l’a bien remarqué à ses débuts :
« On ne nous a pas toujours prises au sérieux oui, il a fallu être très carrées, très réglo, montrer qu’on maîtrisait ce que l’on faisait. Certains agents avaient une attitude pédante, méprisante à notre égard, en utilisant des codes qu’ils n’auraient pas pu utiliser si nous avions été des hommes. »
Intégrer un groupe demande à la fois de l’audace, de la persévérance et de la solidarité.
Loin du crêpage de chignons, les musiciennes préfèrent se soutenir face au toujours très présent sexisme de l’industrie musicale, qui touche tous les styles. Dans la pop, le girls band Little Mix revendique la place des femmes et des minorités dans la musique. Côté rock et metal, Lola Frichet, du groupe Pogo Car Crash Control, lance en 2022 le mouvement More Women On Stage. La musique reste un domaine où les femmes sont sous-représentées : il est temps pour chacune d’oser et de se lancer. C’est le constat que fait aussi Arthur Alternatif dans son reportage « Comment les femmes défendent le metal ? » filmé lors de la dernière édition du Hellfest. Que l’on soit musicienne, commerçante ou simple festivalière, chacune d’entre nous à sa place dans la scène metal. À nous de la prendre !
▶️ Lire aussi : Comment la musique s’engage-t-elle pour l’écologie ?
En 2023, être une artiste rock, punk ou metal n’a plus rien de marginal. De Debbie Harry (Blondie) dans les années 70 à Lzzy Hale (Halestorm) aujourd’hui, nombreuses sont celles qui ont osé s’affirmer. S’il est régulièrement pointé du doigt pour ses dérives sexistes, le milieu metal s’ouvre de plus en plus aux femmes, qui s’engagent à faire vivre la scène et à lutter contre les inégalités de traitement.
📨 Ce contenu vous a plu ? Inscrivez-vous à notre newsletter pour découvrir nos derniers articles !
Flora Kaïd, pour Celles Qui Osent
Sources :
Ethnologie Française, « Puissance, force et musique metal Quand les filles s’approprient les codes de la masculinité », Sophie Turbé, 2016
Radio France, Il n’y a que 14 % de musiciennes dans les festivals, seulement 3 % au Hellfest, 25 janvier 2021
L’Influx, À la rencontre de Clémentine Develay-Thieux, 18 octobre 2021
France Info, Elle milite pour plus de femmes dans le métal, 8 juillet 2022
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
2 Comments
[…] Source / Lire la suite : Être une Femme dans le Metal, entre émancipation et sexisme […]
[…] Source / Lire la suite : Être une Femme dans le Metal, entre émancipation et sexisme […]