Léa Lejeune : celle qui ose dénoncer le féminisme washing

Léa Lejeune, journaliste économique à Challenges et présidente de Prenons la Une, une association pour améliorer la représentation des femmes dans les médias, enquête sur un phénomène récent : le féminisme washing.

Comment des multinationales affirment donner leur chance aux femmes, alors qu’elles sont poursuivies aux prud’hommes pour discriminations sexistes ? Comment font-elles usage de ce mouvement social pour vendre un produit censé libérer la gent féminine pour promouvoir une politique interne égalitaire ? L’auteure démontre le fonctionnement des marques pour chercher à séduire, voir à berner la nouvelle génération féministe. Débusquez avec Celles qui Osent les contradictions et l’opportunisme marketing de ses entreprises… 

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L’objet féministe : un opportunisme marketing

La mode est régulièrement attaquée par les tenantes de l’émancipation féminine pour ne pas être exemplaire : dans les coulisses, les femmes stylistes sont en infériorité numérique et les standards de beauté sélectifs perdurent. 

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Le féminisme façon Dior naît dès 2017 avec la création d’un article féministe : un T-shirt à slogan, étendard « we should all be feminists » traduit par « nous devrions tous être féministes », emprunté à l’écrivaine militante nigérienne Chimamanda Ngozi Adichie. Typographie noire et sobre. Le propos est « catchy ». La directrice des collections, Maria Grazia Chiuri en est persuadée : c’est le meilleur moyen de véhiculer une idée dans la mode. Voici une démarche revendicatrice unie à une entreprise mercantile. Seulement voilà, le T-shirt coûte 620 euros. « Si une marque de luxe produit un objet à message inclusif, mais à prix exorbitant, celui-ci rejette automatiquement les trois quarts des femmes », souligne Alice Pfeiffer, journaliste de mode et autrice de Je ne suis pas parisienne.

Pour se prévenir des critiques, la maison Dior reverse un pourcentage de recettes à l’ONG Clara Lionel Foundation… mais le montant des dons reste secret. La pièce est rapidement copiée, imitée, déclinée. « Le T-shirt à message ou logo féministe est un bon moyen de gagner de l’argent, affirme Marine Chaleroux. Les marques visent les adolescentes et les jeunes femmes dont beaucoup ne vont même pas penser à questionner le message. » Pour le marketing, ce n’est pas un problème : mieux vaut cibler un large public qu’une poignée de militantes. 

Les paradoxes du milieu de la mode ne s’arrêtent pas là : nombreuses sont les maisons qui prétendent soutenir l’émancipation des femmes ici et en exploiter d’autres ailleurs, pour la fabrication. 

Comment le féminisme est-il instrumentalisé en « washing » ? 

Être féministe : un effet de mode

Le terme féminisme définit « l’ensemble des mouvements et idées philosophiques qui partagent un but commun : définir, promouvoir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. »

Pour Léa Lejeune, « gagner sa croûte est être indépendante financièrement sont aussi des conditions nécessaires à l’émancipation, au même titre que la liberté de disposer de son corps. » Dans nos sociétés occidentales, ces dix dernières années, le féminisme est devenu tendance, à la mode. Le mot s’affiche partout ; il est sorti du cadre des manifestations ou des programmes politiques. En pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron proclame qu’il est « un féministe autodéclaré » sur la scène du Women’s Forum 2016. 

Aujourd’hui, pour être tendance ou en avoir l’air, il faut suivre ce mouvement. « Le féminisme des années 2020 n’est plus un repoussoir, car il coloré d’une connotation positive ». Avec le mouvement #metoo à l’automne 2017, puis l’alternative #balancetonporc proposée par Sandra Muller, le rebond féministe appelée « troisième vague », prend forme en France avec l’affaire DSK. 

Le féminisme de consommation

Le féminisme washing repose sur une valeur fondamentale : la liberté de choix. Cette dernière s’exprime notamment par la consommation. « La manière dont on se perçoit et veut se montrer influence nos achats ; les objets imaginés comme tels  sont plus attractifs quand l’égalité femmes-hommes est l’idéal à atteindre. »

 « Le féminisme si longtemps rejeté comme le royaume de la colère, du cynisme, de la haine des hommes, des poilues rebutants, devient officiellement quelque chose. C’est sexy et vendable, alors que les droits des femmes sont toujours en danger… »

Chimamanda Ngozi Adichie

Le washing pour redorer son image

L’expression femwashing émerge, désignant la pratique qui consiste à afficher un soutien pour les femmes, leur force, leur indépendance, afin de séduire les consommatrices, sans égard pour la concrétisation de ce soutien.

Le terme « féminisme washing » place clairement la cause féministe comme un idéal égalitaire à atteindre. Il est prisé des entreprises qui s’efforcent de redorer leur image sur le dos d’une des valeurs pivots de la société contemporaine… au risque de perdre la confiance des acheteurs. Mensonges, promesses vagues, imprécisions…

Le femvertising quant à lui propose via la publicité des représentations de femmes plus modernes, diverses, normalise des comportements atypiques pour permettre aux filles de s’identifier ou encore faire circuler des idées féministes au grand public. Cependant, ce concept est utilisé comme un outil avant tout économique. Dans un monde capitaliste où les hommes concentrent la majorité des richesses, la publicité cible inlassablement les femmes. Pourquoi cherche-t-on à nous appâter ? Car c’est nous qui réalisons 80 % des décisions d’achat du foyer, des courses hebdomadaires aux dépenses stratégiques !

Le mépris envers les inégalités salariales 

Léa Lejeune s’attaque également aux inégalités salariales, reposant initialement sur un principe moral de justice sociale : l’égalité entre les citoyens. 

Le sujet n’avance guère, car il est considéré comme accessoire aux yeux des acteurs de l’économie, totalement méprisé. Si la plupart des entreprises choisissent l’inaction ou la communication sans fondement, ce serait à cause du coût exorbitant de l’égalité salariale. Payer les femmes autant que les hommes conduiraient à des licenciements. Cela serait donc « une affaire de gros sous »…

Petit rappel cependant, d’après Sheryl Sandberg, auteure du livre En avant toute Les femmes, le travail et le pouvoir, s’engager sérieusement pour la parité des femmes-hommes peut rapporter beaucoup d’argent. Les entreprises dirigées par des femmes sont globalement plus performantes. 

Manuel de rébellion contre le féminisme washing

Dans son ouvrage, Léa Lejeune enquête, dénonce, mais propose aussi des pistes d’améliorations pour « corriger les mauvaises habitudes ». En conclusion, la journaliste nous offre son « manuel de rébellion à l’usage de celles qui veulent faire changer les entreprises. »  Voici quelques-unes de ses recommandations : 

  • être consciente des mécanismes économiques qui nous poussent à consommer toujours plus ; 
  • s’informer sur les produits et services des établissements supposées être féministes
  • repérer les incohérences de discours ; 
  • dépasser les discours marketing en se renseignant sur la provenance et la composition des biens ; 
  • pratiquer le boycott des marques qui n’en font qu’à leur tête et passer au « buycott », orienter ses achats vers des causes plus justes, respectueuses de l’environnement ou des droits humains ; 
  • se battre pour améliorer concrètement la situation des femmes au sein de votre entreprise ;  
  • interpeller les marques en cas d’absence de réponses ou de promesses vagues, attaquez-les publiquement et collectivement. 

 

Léa Lejeune prône « une responsabilité féministe des entreprises », et nous encourage à changer nos pratiques individuelles. Femmes consommatrices et militantes de tous pays, unissez-vous ! C’est un combat de titanes, mais qui en vaut la peine Celles qui Osent, non ? 

Violaine B — Celles qui Osent

*Pour aller plus loin, vous pouvez vous procurer le livre Féminisme Washing de Léa Lejeune ou Féminisme et Pop Culture de Jennifer Padjemi. Bonne lecture !

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