Interview d’Estelle Meyer, artiste singulière

Artiste complète formée au chant lyrique et au conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, Estelle Meyer est un « OVNI » dans le monde de la création. Cette comédienne, chanteuse incandescente, poète divine, prêtresse solaire inspirante, réchauffe nos cœurs et réveille nos sens. Persuadée que « l’art peut renverser le monde par sa beauté », Estelle Meyer, en véritable artiste interprète polymorphe, laisse s’exprimer tous ses talents dans des domaines connexes et variés. Celles qui osent est entré dans son univers magique, poétique et délicat de cette femme, du chamanisme lyrique à la dramaturgie shakespearienne.

Une rêveuse fascinée par le monde artistique et l’inconnu

Née le 26 mars 1985 en Seine-et-Marne, vers Fontainebleau, Estelle Meyer est la troisième d’une fratrie de quatre enfants. Celle qui voulait « devenir star ou sainte » entrevoit dans le théâtre un domaine fou, fracassant, dans lequel la violence semble inoffensive, et la liberté illimitée. Cette rêveuse grandit, près de la forêt, dans “un endroit doux pour pousser, avec un accès au ciel et à la nature”. Sa mère est chanteuse lyrique soprane et son père scientifique, chercheur, solitaire. Il est exigeant et définit les règles familiales. En effet, ces parents « un peu hippies qui flottent”, aspirent d’un côté à l’harmonie et à l’apaisement et de l’autre posent des jalons éducatifs stricts. Très tôt, elle a besoin de s’en affranchir, et de sortir de sa zone de confort. Son esprit s’ouvre très jeune au brassage culturel ; Estelle Meyer aime déjà tant l’humanité. « J’ai envie de repousser le connu, avec beaucoup d’appétence pour tout ». Elle commence le théâtre dès 6 ans, timidement. Elle vit dans une nécessité de beau, de merveilleux. Elle adore s’inventer des histoires, s’imaginer en tête d’affiche. Hypersensible au monde, elle met en place des rituels dans son jardin, prénomme son arbre fétiche Morgane et fait des « offrandes sacrées » à la nature. Elle se retrouve très tôt dans le chamanisme. Elle tente de ne jamais juger personne moralement, dans la vie comme dans ses rôles.

Un parcours conventionnel pour une artiste singulière

Adolescente, Estelle Meyer a la rage de vivre, « d’explorer des endroits plus dangereux, sauvages, sortir du cadre ». Son amie Carmen, une Espagnole volcanique, “une deuxième maman”, l’aide pour accéder à son rêve, avec beaucoup de radicalité. Après son bac littéraire option théâtre, elle réussit l’audition et intègre la classe libre du cours Florent. Tout en se formant à l’art lyrique, elle prépare son entrée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Le théâtre l’absorbe complètement, passionnément. Si jeune, elle côtoie tout à coup des gens de tous âges et horizons. « Une grande bande de potes ; le choc des planètes ». Estelle Meyer conserve d’ailleurs des amitiés très fortes de cette période. En 3e année, elle participe à l’incroyable stage de formation d’Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, fondatrice du Théâtre du Soleil s’inscrivant dans les traditions du théâtre de Vilar, Brecht ou Hegel, mettant en exergue la nécessité du rapport entre théâtre et société. Dans une ancienne usine de cartouches naît cet endroit communautaire utopiste où les comédiens font tout, même nettoyer les toilettes. « Cette femme est une pionnière, une cheffe de bateau extraordinaire, une femme qui fait vraiment partie de celles qui osent ».

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Une carrière polymorphe et des rôles hétéroclites

Au théâtre elle est la princesse Europe dans les mises en scène du Birgit Ensemble au Festival d’Avignon ; la reine des fées pour Guillaume Vincent au théâtre de l’Odéon ; Volumnia, mère dévorante cheffe de guerre, dans Coriolan mis en scène par François Orsoni au Théâtre de la Bastille. On la retrouve aussi aux côtés de Camélia Jordana et Zita Hanrot dans Andando, ode éclatante à Lorca, spectacle musical mis en scène par Daniel San Pedro aux Bouffes du Nord. À la télé, elle est la pharaonne Hatschepsout pour Arte ; Alex, une ardente jeune femme almodovarienne dans la saison 4 de la série Dix Pourcent sur France 2. « J’ai adoré jouer Alex, cette femme brute, insolente, entière. Elle est très libre aussi. » Au cinéma, Jessica, un samouraï libre dans Rêves de jeunesse d’Alain Raoust.

Le réalisateur a choisi Estelle Meyer et lui offre son premier second rôle important dans un long-métrage, qui a fait par ailleurs l’ouverture de l’ACID au festival de Cannes. Dans Nos vies formidables de Fabienne Godet, elle joue la prof de yoga, qui doit aider les autres à aller mieux. Une posture d’aidante qui révèle sa nature profonde.  « C’est un film formidable sur la résilience : des personnes dépendantes décident de se sevrer par le groupe, grâce à des cercles de paroles, dans un registre quasi documentaire. » Dans « Garçon chiffon », de Nicolas Maury, elle intègre le cercle des jaloux, et questionne le « comment devenir soi et sortir de ses démons ? ».

Sa carrière hétéroclite illustre les talents divers que possède l’artiste. Estelle Meyer joue, depuis maintenant plus de dix ans. Femme profondément bienveillante, elle aborde un personnage au théâtre ou au cinéma en recherchant toujours la part d’humanité qu’il contient, sans préjugés. Jamais. Estelle Meyer répète par exemple un monologue de Shakespeare, Coriolan, sur les rapports de pouvoir. Elle joue le personnage de Volumnia, une femme dure, encourageant son fils dans son succès militaire et politique. De prime abord antipathique, parfois cruelle, Volumnia arrête finalement une guerre. « La seule chose qui compte, c’est de faire la paix ».

« C’est au bout de dix ans que l’on peut juger le chemin d’un acteur, avec ses difficultés et ses succès. Plus le temps passe, plus je me dirige vers des propositions personnelles. J’affirme mon univers, je découvre ma voie. »

Chanteuse et compositrice : l’autre voix d’Estelle Meyer

Estelle Meyer malmène sa voix, crie, « gueule », et décide un jour d’en prendre soin. Grâce à l’insistance d’un ami, elle commence à chanter humblement ses compositions dans les bars. Elle se produit au Chat Noir, dans une cave dans laquelle elle fera salle comble pendant plus de huit concerts. Avec son amie Judith Chemla, elle rencontre le directeur des Bouffes du Nord qui lui propose de chanter aux Trois Baudets, lieu privilégié qui met en lumière des talents émergents. Béatrice Hall, de chez VMA Voyez Mon Agent, découvre alors Estelle Meyer qu’elle choisit comme talent. En 2019, Estelle sort un EP de 6 titres intitulé « Sous ma robe, mon cœur », des chansons qui prennent la forme d’un livre-disque et d’un spectacle du même nom, entouré de Grégoire Letouvet, pianiste, et de Pierre Demange, batteur. Ils nous emmènent aux portes de la transe, aux Plateaux Sauvages, au sein de ce théâtre du XXe arrondissement. « Ce lieu est tenu par une amazone reine, Laëtitia Guédon. Elle en a fait un lieu complètement hallucinant qui mêle tous les arts, à la pointe de l’innovation artistique. » Estelle Meyer propose une création qui unit le théâtre et la cérémonie païenne. Ces chansons sont comme des poèmes-flambeaux. Beaux. De la parole au chant, du cri à la littérature, la comédienne se donne généreusement dans un spectacle poétique, sensoriel et chamanique, transportées par des harmonies gitanes et orientales. estelle-meyer-celles-qui-osent-artiste-comédienne-chanteuse-lyrique

“Pour ne pas mourir asséchée de réalisme, se la coller un peu : la tendresse, comme une immense réponse. L’explosion de sororité et de bonté, la prière comme une vague, les yeux des animaux, le doux lait du ciel pour unifier tous les règnes, honorer la vie, l’aimer et lui faire des petits guilis. Foutre le feu. Un gros face-à-face avec l’espoir. Chaque nuit sera ouverte par une première partie, une femme que j’aime, une étoile dans la nuit puissante.”

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Estelle Meyer se révèle en une sorte de poétesse rock, au tempérament généreux et incandescent. « Tu donnes du pouvoir aux légendes, Estelle, le monde s’ouvre comme un livre magique donnant accès à mille chambres secrètes, révélé à la lumière de ta voix, sans pudeur, car ta ferveur ne connaît pas de honte. L’extravagance est libre, le cœur brut, ferme et clairvoyant. », déclare son amie Judith Chemla, en préface de son spectacle Sous ma robe, mon cœur.

En 2019 son titre « Pour toutes mes sœurs » remporte le Prix de la Création du tremplin À nos chansons.

Estelle Meyer : poétesse confinée et féministe assumée

En confinement à Paris, Estelle Meyer écrit, compose, tout en contemplant la lune bleue et les astres. Elle redécouvre des trésors de contemplation, peint, dessine, et relit les Mémoires d’Hadrien, qui explore les affres du pouvoir et de la mélancolie. « Je suis dingue de Marguerite Yourcenar. Pour moi, c’est vraiment une nana qui ose, écrire sur la déesse Kali ou Marie Madeleine… qui sait trancher aussi, avec une plume tellement juste et précise. » À ses fidèles internautes, elle offre des bulles de poésie vocale, encourageant à ouvrir nos fenêtres intérieures. «  C’est un signal de cette épidémie, il faut réagir, se réinventer. Nous avons aussi besoin de beauté. Vive la poésie qui rend le ciel si vaste ! »

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Estelle Meyer croit aussi en la sororité, la solidarité entre les femmes, ce qui nous lit d’un lien solidaire spécial. « Je me revendique féministe. Mais ce n’est pas une guerre, c’est une guérison qui doit se faire AVEC le masculin. » Son amoureux est souvent seul parmi toutes. « ce n’est pas facile de vivre avec une féministe », me dit-elle en riant. « Je suis aussi infiniment reconnaissante des femmes, de ces sœurs qui se sont battues pour nos libertés. Il y a encore tellement de travail, une éducation chez les hommes comme pour les femmes ».

À la question « qui sont les femmes qui pour toi, osent ? », spontanément Estelle Meyer me cite Gisèle Halimi. « On ne naît pas féministe, on le devient. Elle a osé dire non à un mariage forcé, puis exercer le métier d’avocate dans un milieu masculin. Ses plaidoiries sont magnifiques. Grâce à elle, entre autres, dès 1980, le viol est puni comme un crime. » Une autre personnalité qu’elle trouve inspirante est Delphine Horvilleur, écrivaine, philosophe et femme rabbin française. Elle évoque aussi Germaine Tillion, résistante ethnologue déportée à Ravensburg, la femme qui a osé écrire Le Verfügbar aux Enfers, dans lequel elle relate avec humour les conditions de détention. L’opérette sera mise en scène pour la première fois en 2007 au théâtre du Châtelet, à Paris. Dans un tout autre registre, Camélia Jordana fait partie de celles qui osent. « À seulement 27 ans, elle a déjà dessiné son chemin artistique, son propre parcours, en prenant des positions sociétales engagées. » Judith Chemla, actrice française et ancienne pensionnaire de la comédie française, est aussi une femme qui ose, dans sa foi comme dans ses choix de rôles.

Estelle Meyer, celle qui ose avoir encore des rêves

Estelle Meyer a osé créer un espace de non-négociation avec sa liberté. Écouter sa voix pour ouvrir une porte artistique qui la tentait beaucoup. Chanter ses propres textes au monde, par la nécessité de dire et de s’accomplir. Elle ose explorer la folie amoureuse aussi, ce qui lui a parfois demandé du courage : faire le mur, prendre des trains, des avions, des risques, pour rejoindre ses « amoureux ». Estelle vit dans l’urgence de vivre sa vie, sort danser en boîte de nuit “parce qu’il le faut maintenant”. La comédienne ose entrer dans un processus chamanique, faire la danse de la lune au Mexique aussi. Enfin, Estelle ose prendre du recul avec son image, dans un univers médiatique où le poids des apparences peut être un fardeau. Son physique m’évoque celui de l’immense artiste mexicaine Frida Kahlo.
Adolescente complexée par son nez cabossé, Estelle Meyer est surprise lorsqu’elle découvre son visage sur grand écran à Cannes. Face à son immense projection, elle plaisante « très beau premier dinosaure, très expressif, cette meuf a un visage préhistorique… costaud quoi ! ». Rires. Femme à la beauté singulière, elle qui se définit comme « un dessin de Picasso à gros trait » ne souhaite pas changer.

Le clip “Donne-moi une chambre orientale” d’Estelle Meyer sort le 4 décembre sur sa chaîne YouTube. Réalisé par Caroline Deruas, il met en scène avec démesure une bande d’amazones tombant follement amoureuses d’un beau prince orientaliste. « Ce clip rend aux femmes avec humour, ardeur et truculence leur animus pénétrant et désirant, la liberté d’être sujet et non objet du désir et de dévorer sans pudeur l’objet rêvé dans un festin de fantasmes enfin assouvis. » Enfin un clip qui représente le désir dévorant, goulue, des femmes et non l’inverse !

En prémisse de la sortie du clip, un concert-veillée solo aura lieu sur son compte Instagram le 3 décembre à 20h.
▶ ️ Suivez Estelle Meyer sur sa chaîne YouTube et sur estellemeyerlalouve.

Celles Qui Osent lui a demandé « Pourquoi la louve ? » À la fois secrète et puissante, la louve veille et la protège « Le chant de la louve à la lune m’ouvre une poésie et tout un monde imaginaire incroyable ! Ma première chanson s’appelait la louve. J’invitais toute la salle à hurler, comme des loups, à libérer un cri sauvage et joyeux. C’était beau. » Hâte de revoir Estelle Meyer au cinéma ? Patience, elle joue dans le prochain film de Sigrid Bouaziz et Chloé Bourges, Rupture(s). Si vous rêvez d’aller la voir chanter, la tournée de son spectacle Sous ma robe mon cœur reprend le 2 mars 2021 !

« Et, les filles, ÇA VOUS DIT D’ÊTRE DES PUTAINS DE DÉESSES ? »
Mille tendresses infinies à toutes. Merci Estelle Meyer.

Violaine B – Celles Qui Osent

Celles qui osent instagram
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