Travail domestique|Un modèle patriarcal à déconstruire

Travail domestique|Un modèle patriarcal à déconstruire

Travail domestique, travail ménager, travail reproductif, ou encore « care », tous ces termes renvoient plus ou moins à la même chose : le travail gratuit réalisé par les femmes dans le cadre du foyer. Parce qu’elles sont faites par amour et qu’elles échappent aux lois du marché, ces tâches sont socialement peu valorisées. Pourtant, elles appauvrissent les femmes et compliquent leur évolution professionnelle. Parfois, le cumul des soins aux enfants et aux personnes âgées les conduit à l’épuisement. Vous aussi, ça vous révolte ? Eh bien, figurez-vous que ce n’est pas tout. En plus d’être profondément injuste, ce mythe patriarcal de la fée du logis n’est absolument pas tenable, ni pour les femmes, ni pour personne. Dans cet article, nous vous livrons nos réflexions sur les grands défis sociaux et environnementaux du XXIe siècle, et sur le rôle central que le « care » devra jouer.

Travail domestique : définition

Le travail domestique désigne l’ensemble des tâches réalisées dans l’intimité du foyer. Il s’agit d’une part des activités ménagères (cuisine, courses, ménage, linge, etc.). Et d’autre part, du « care », c’est-à-dire le soin aux enfants, aux personnes âgées, ou encore aux malades.

Parce qu’il est réalisé à titre gratuit, le travail domestique n’est pas comptabilisé dans le calcul du PIB, le principal indicateur de richesse des pays. Pourtant, il augmente considérablement le niveau de vie des ménages.

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La doctrine féministe utilise parfois le terme de « travail reproductif » pour dénoncer la vision patriarcale selon laquelle le travail domestique serait réservé aux femmes, tandis que le travail productif, rémunéré et valorisé socialement, serait l’affaire des hommes.

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Cette vision vous paraît désuète ? En réalité, elle ne l’est pas tant que ça…

Un rôle encore principalement féminin

Au printemps 2020, la France est confinée en raison du Covid. La fermeture des bureaux, des écoles et des garderies contraint beaucoup de parents à travailler depuis chez eux, avec leurs enfants.

Une étude de l’INSEE parue en 2022 révèle que pendant cette période, 54% des femmes ont passé plus de 4 heures par jour à s’occuper des enfants, contre seulement 38% des hommes. L’écart se creuse pour les enfants en bas âge. C’est 91% des mamans qui passaient plus de 4 heures par jour à s’occuper de leur enfant de moins de 3 ans, contre 49% des papas.

Le constat est le même pour les tâches ménagères,. 20 % des femmes y consacraient au moins 4 heures par jour, contre 10 % pour les hommes. À l’inverse, 3 hommes sur 4 y passaient moins de 2 heures par jour, contre 1 femme sur 2.

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Une source d’appauvrissement pour les femmes

Selon un rapport Oxfam paru en 2020, pour 42% des femmes dans le monde, la charge domestique est si importante qu’elle les empêche d’exercer une activité rémunérée en parallèle. Nos sociétés occidentales sont loin d’être exemplaires. En Allemagne, en Autriche, comme en Belgique, la part des femmes à temps partiel est nettement supérieure à celle des hommes, avec des conséquences évidentes sur leurs salaires.

Source : Emploi et chômage en Europe, étude de l’INSEE, 2022
Légende : Taux d’emploi et part de l’emploi à temps partiel selon le sexe en Allemagne, Autriche, et Belgique

En cause, un héritage patriarcal encore profondément ancré. En Autriche, seulement 2 % des enfants de moins d’un an, et 20% des moins de 2 ans sont placés en crèche ou chez une assistante maternelle. Le pays promeut un cocooning familial, et les parents qui ne se prêtent pas au jeu sont mal vus, selon un article du Monde (2023). Alors forcément, les jeunes mères s’arrêtent de travailler pendant 2 ans, parfois plus.
Comment bien répartir la charge domestique au sein du couple lorsque l’on démarre sur de telles bases ?

En France, le rapport de 2024 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale révèle un écart de 38% entre les retraites des hommes et des femmes, avant mécanisme de compensation. Cette différence de droits en fin de carrière n’est que le reflet de tous les écarts de salaire cumulés au cours d’une vie : congé maternité, temps partiel, congé de proche aidant, plafond de verre, etc.

Le soin : des métiers essentiels à la société

Même lorsqu’il est rémunéré, le travail domestique reste l’apanage de la gent féminine. Infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, femmes de ménage… Les femmes sont surreprésentées dans ces professions.

Disons-le franchement : sans le care, c’est toute la société qui s’effondre. La pandémie en a été la parfaite démonstration. Alors, pourquoi ces « métiers essentiels », ces « travailleuses de première ligne » ne sont-elles pas mieux rémunérées ? Comment se fait-il que les métiers dont on ne peut se passer soient précisément ceux que l’on valorise le moins ?

Il y a de quoi se poser des questions. Et ça ne va pas aller en s’arrangeant. Car demain, plus que jamais, nous aurons besoin du care pour relever les défis qui nous attendent.

Travail reproductif : une charge à se répartir collectivement

La population mondiale est vieillissante, en particulier dans les sociétés occidentales, dont les baby-boomers approchent les 80 ans. Or, avec le recul de l’âge à l’accouchement, les mères ont encore de jeunes enfants à charge lorsque leurs parents et beaux-parents commencent à vieillir — on parle de génération sandwich. Il n’est donc ni juste, ni réaliste de compter sur la bonté des femmes pour prendre en charge nos aînés.

Source : freepik

Ce qui serait juste et réaliste, serait plutôt de prendre des mesures collectives à la hauteur de l’immense valeur ajoutée du care. À commencer par le secteur public. L’augmentation des salaires dans les domaines de la santé et de l’aide à la personne est une priorité absolue, si l’on souhaite recruter davantage.

Dans le monde des affaires, la maternité est encore perçue comme une source d’improductivité. Un événement perturbateur qui viendrait ralentir la cadence… Des complications que l’on cherche à éviter à tout prix… Alors, comment normaliser les obligations familiales dans le cadre du travail ? Pour certains, la démocratisation du télétravail est un premier pas. Pour d’autres, il faudrait rendre le congé paternité obligatoire. D’autres encore s’interrogent sur la notion même de productivité…

Travail domestique et PIB : un modèle économique à réinventer

D’après vous, qu’est-ce qui produit le plus de valeur pour la société : le travail domestique ou bien la pollution de l’air ?

Vous penchez pour le travail domestique ? Et bien vous vous trompez ! Selon la théorie économique classique, c’est l’inverse.

Le PIB, ou Produit Intérieur Brut, est la somme de toutes les dépenses finales réalisées par les ménages, les entreprises, et les institutions publiques sur un territoire donné. C’est donc une opération purement comptable.

Selon ce mode de calcul, un million d’euros dépensés dans la recherche contre le cancer produit autant de valeur qu’un million d’euros dépensés pour raser des hectares de forêts (avec toutes les émissions de CO2 que cela engendre). À l’inverse, les activités réalisées à titre gratuit, comme le travail domestique ou le bénévolat, n’apportent aucune valeur.

Pourtant, la croissance du PIB est le principal indicateur de la santé économique des pays, et c’est l’objectif poursuivi par tous les gouvernements. Il y a donc un sacré problème. Pour Laetitia Vitaud, spécialiste du futur du travail et autriceeure du livre « En finir avec la productivité », la productivité est une notion patriarcale et écocide qu’il est urgent de déconstruire.

« Peut-être est-ce parce que l’économie s’est constituée en tant que discipline intellectuelle à l’âge industriel, et donc sans les femmes, qu’elle s’est fourvoyée à ce point sur la question de la productivité ? Elle aurait aujourd’hui besoin d’une bonne dose de féminisme pour devenir plus intelligente et plus humaniste — et offrir au système sa capacité à survivre à la crise environnementale. »

Alors, finissons-en avec cet objectif de productivité complètement dépassé, et intéressons- nous plutôt au bien-être social. C’est lui que nous devrions chercher à faire croître ! Valorisons le care, faisons-en notre priorité. La planète et l’humanité s’en porteront beaucoup mieux.

Eloïse Leroy, pour Celles qui Osent

Sources : 

Celles qui osent instagram
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