Simone Iff, une féministe oubliée à l’impact considérable

Simone Iff : l’histoire inspirante d’une grande féministe méconnue qui a dédié sa vie à élever la voix des femmes

Lorsque l’on pense féminisme, on songe souvent à ces Simone : Simone de Beauvoir, Simone Veil. Mais connaissez-vous Simone Iff ? Il y a fort à parier que non. Son nom mérite pourtant d’être gravé dans l’Histoire. Ses actions ont, à leur manière, bouleversé les droits des femmes en France, de l’accès à la contraception à la reconnaissance de l’avortement comme un droit fondamental.
Comment une femme ayant participé de façon si déterminante aux grandes luttes féministes, a-t-elle pu rester dans l’ombre ?

Née en 1924, Simone Iff a été sensibilisée dès son plus jeune âge à l’injustice sociale. Du Mouvement Jeunes Femmes jusqu’aux plus hautes sphères politiques, elle a porté une parole audacieuse et sans compromis pour l’égalité. Pourtant, elle demeure peu connue du grand public. Afin de mieux comprendre les combats de Simone Iff et son importante contribution à la cause féministe, plongeons dans le récit de sa vie hors du commun.

Genèse d’un engagement féministe : influences familiales et sociales

Dans les hauteurs protestantes du Tarn, une fillette grandit dans une maison où foi rime avec responsabilité sociale. Simone, quatrième fille du pasteur Frantz Balfet, reçoit d’un double héritage : la rigueur morale d’un père engagé et l’intelligence vive d’une mère ancienne professeure de lettres. Le protestantisme familial, teinté de valeurs humanistes, lui transmet un sens aigu de la justice et du devoir. Cette atmosphère d’éveil intellectuel, combinée à une attention portée aux inégalités sociales, pose les bases de son engagement futur.

Mais la jeunesse de Simone est aussi frappée par les contraintes d’une société patriarcale. À 18 ans, elle tombe enceinte et doit épouser Werner Iff. Elle qui souhaitait rejoindre la Résistance voit son engagement freiné par la maternité. Elle subit de plein fouet les contraintes imposées aux femmes.

De 1951 à 1963, Simone s’investit aux côtés de son époux dans la gestion d’un foyer pour jeunes délinquants à Belleville. Le travail social qu’elle y accomplit, intégré au salaire de son mari, souligne l’invisibilisation économique des femmes. Cette expérience renforce sa détermination à agir pour plus d’égalité.

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De la parole à l’action : Simone Iff et le Mouvement Jeunes Femmes (MJF)

En 1958, Simone rejoint le Mouvement Jeunes Femmes, une organisation protestante progressiste qui deviendra son creuset militant. Elle y prend part activement jusqu’en 1972, occupant des postes clés entre 1958 et 1966. Le MJF remet en cause les rôles traditionnels des femmes dans la société et dans l’Église. 

En son sein, Simone découvre une aire de réflexion collective. Le groupe aborde des thèmes encore tabous : sexualité, contraception, travail féminin, responsabilité sociale. Pour elle, c’est une révélation. Elle y forge une parole politique et personnelle, qui lie indéfectiblement spiritualité et féminisme. En effet, Simone constate au travers de ces réunions la différence de rapport à la sexualité entre protestants et catholiques. Symbole de l’amour du couple pour les premiers, elle n’a pour vocation que la procréation chez les seconds.  

Au cœur du Planning familial : la bataille de Simone Iff pour la contraception

Grâce à Madeleine Tric, membre du MJF et cousine de sa mère, Simone découvre le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF). En 1961, alors mère de cinq enfants et âgée de 37 ans, elle devient une des premières hôtesses d’accueil. L’action est en marge de la légalité, la France restant sous le joug de la loi natalité de 1920. Elle se met au service des femmes en détresse, souvent jeunes, parfois seules, toujours inquiètes. Son implication passe d’abord par l’écoute et la transmission d’informations importantes sur la contraception.

En 1965, lors de la Semaine de la pensée marxiste, Simone contribue à faire évoluer la position du Parti communiste sur la contraception. Devant plus de 4 000 personnes, elle envoie son adversaire, Jeannette Thorez-Vermeersch, vice-présidente de l’Union des femmes françaises (UFF), connue pour sa rigidité envers le contrôle des naissances, au tapis. Tel David contre Goliath, la « petite hôtesse » obtient son soutien. Ce moment clé montre son habileté stratégique : elle sait chercher des alliances inattendues pour faire avancer la cause.

Années 1970 : avortement, libération sexuelle et éducation populaire

Simone Iff : Une ascension militante nationale

1968 signe pour Simone la rupture avec son conformisme et les années 1970 deviennent le théâtre d’une radicalisation féministe. Dès 1969, elle milite pour que l’Information Éducation Sexuelle (IES) soit intégrée dans l’éducation nationale. Elle défend une éducation à la sexualité globale, critique et ouverte, visant à construire des individus capables de faire des choix libres et éclairés. 

Son engagement prend une envergure nationale lorsqu’elle accède au poste de secrétaire générale du Planning familial en 1970, puis vice-présidente l’année suivante. C’est ainsi qu’elle prend part au procès de Bobigny, en qualité de témoin de la défense. 

Des actions individuelles fortes pour une cause collective

« Dans les vieilles générations comme la mienne, il n’y avait pas d’ambition personnelle, on avait été propulsé là par l’histoire. Le combat des femmes, c’est ce qui nous a fait déplacer des montagnes. »

Simone Iff, dans le court métrage des Yeux d’IZO (2014).

Et Simone ne recule devant rien pour défendre ce combat. Elle participe, en son nom propre, à la manifestation du MLF (Mouvement de libération des femmes) en 1971 pour un avortement libre et gratuit. Mais l’un de ses faits d’armes personnels les plus marquants reste sa contribution à la collecte des signatures du « Manifeste des 343 ». Dans l’ombre et munie de son seul téléphone, elle convainc actrices et femmes publiques de ratifier ce texte qui fait trembler le silence autour de l’avortement. Et ça marche ! Bien qu’elle ait elle-même avorté, elle ne signe pas le manifeste. Elle évoquera « un simple oubli », mais il est probable qu’elle ait préféré laisser la lumière aux figures médiatiques. 

En février 1973, c’est sans l’aval du MFPF qu’elle cofonde le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC). Les femmes s’organisent, les avortements sont pratiqués clandestinement, parfois dans des appartements. Le courage est quotidien. 

« On ne mendie pas un juste droit, on se bat pour lui. »

Wilhelm Reich, repris comme slogan pour le MLAC par Simone Iff.

Tensions internes et radicalisation

Mais le militantisme n’est pas sans conflits internes. Au Planning, des tensions surgissent autour du rôle des « assistantes conseillères animatrices » (ACA). Simone prend leur défense, convaincue que l’éducation populaire est la clé d’une véritable libération. Elle soutient une vision démocratique et horizontale du mouvement, où chaque voix a son importance.

« Ce qui était étonnant, c’est que le corps médical voulait garder le pouvoir sur la formation qu’ils donnaient… Une fois, je me suis fait engueuler par un médecin du Planning parce que j’avais montré un diaphragme à une femme.

— Et alors, notre rôle, qu’est-ce que ça sera ? Qu’il me dit.

Je lui ai répondu :

— Ce sera de le lui prescrire correctement. »

Simone Iff, dans le court métrage des Yeux d’IZO (2014).

Elle gagne ainsi le soutien des ACA et est élue présidente en juin 1973. Sous son impulsion, le Planning adopte une orientation plus militante et féministe, notamment en ce qui concerne la pratique des avortements clandestins en toute solidarité avec les femmes.

La trace est indélébile : désobéir a permis de bousculer la loi.

Loi Veil : l’avortement comme droit fondamental

Quand Simone rencontre Simone

Lorsqu’en 1974, Simone Veil prend la tête du ministère de la Santé, elle entame immédiatement des actions concrètes : remboursement de la contraception en juin, puis lancement du projet de loi sur l’IVG dès juillet. Elle adopte une approche sanitaire, presque technique. Ce n’est pas le cas de Simone Iff. Pour elle, l’avortement est avant tout une question de droits, une exigence féministe. Avec le MLAC et le MLF, elle refuse que l’avortement soit limité à la « détresse » et revendique son remboursement ainsi que son accès en cabinet médical.

Pourtant, elle ne rejette pas le dialogue. Elle échange régulièrement avec Simone Veil. Elle lui transmet des rapports sur la réalité des avortements clandestins. Ces témoignages de terrain contribuent à nourrir la loi promulguée le 17 janvier 1975, autorisant l’IVG pour cinq ans. Iff raconte ces échanges avec la ministre : son écoute attentive, sa volonté sincère de comprendre, son absence de préjugés. Une qualité rare chez les politiques, dit-elle, peut-être liée à son parcours personnel.

Une victoire en demi-teinte

« Ce que l’on demande, c’est que ce soit les femmes, et les femmes seules, qui décident et qui puissent choisir d’avoir ou non des enfants et à quel moment les avoir. »

Simone Iff, interview de Joseph Poli (TF1,1979).

En 1979, avec d’autres militantes, elle organise une grande marche pour un avortement libre et gratuit. Toutes espèrent que le renouvellement de la loi aboutira enfin au remboursement. Mais lors des débats de novembre, menés par Monique Pelletier, les tensions ressurgissent. Si la loi devient définitive en 1980, le remboursement, lui, est encore repoussé.

Ministère des Droits de la femme : continuer la lutte

Une conseillère engagée dans un ministère en mutation

Entre 1980 et 1983, Simone Iff rejoint le cabinet d’Yvette Roudy, première ministre déléguée aux Droits de la femme. Elle y occupe un poste clé, conseillère sur des sujets aussi sensibles que la santé des femmes, la sexualité, le viol, les violences et la prostitution. Réputée pour sa ténacité, elle agit avec conviction pour faire évoluer concrètement les droits des femmes.

Parmi ses initiatives fortes, elle sollicite son amie d’enfance Agnès Varda pour concevoir un spot télévisé libérateur autour du droit à la contraception. Un geste fort, dans un contexte toujours miné par la culpabilisation. Car malgré les avancées de la loi Veil, les résistances sont coriaces. Le cadre légal reste limité, les médecins freinent son application, et les femmes ne peuvent pas encore pleinement exercer leur droit à disposer de leur corps. Pour Iff, la lutte continue jusqu’à la dépénalisation complète de l’avortement.

Une bataille politique face aux résistances internes

Au sein du gouvernement, de jeunes énarques doutent encore du droit des femmes à décider. Excédée, Simone saisit Pierre Mauroy. En mars 1982, le Premier ministre annonce le remboursement de l’IVG à partir de septembre.

Mais cette avancée bute contre une opposition inattendue : celle du président de la République lui-même, François Mitterrand. Le 29 septembre, un groupe de députées socialistes réagit en déposant une proposition de loi pour améliorer l’accès à l’avortement. Dans ce contexte tendu, Simone Iff est nommée commissaire du gouvernement pour accompagner les débats à l’Assemblée nationale. Elle n’y est pas seule : son mari y est lui aussi désigné.

Enfin, le 31 décembre 1982, le remboursement partiel de l’IVG est voté. Yvette Roudy y voit une victoire symbolique, « un acte de justice sociale ». Le remboursement complet, lui, ne sera établi qu’à partir de 2013.

Lutte contre les violences : donner la parole aux sans-voix

Entre 1975 et 1981, Simone Iff supporte activement les prostituées. Lors de l’occupation de la chapelle Saint-Bernard en 1975, elle leur apporte une aide considérable. Elle interpelle Simone Veil pour garantir l’accès aux soins. Plus tard, au ministère des Droits de la femme, elle lutte contre le délit de racolage passif et défend l’accès des prostituées à la formation professionnelle.

En 1984, elle rejoint le Conseil économique et social. Elle soutient la création de la ligne Viols-Femmes-Informations et s’investit dans le Collectif féministe contre le viol. Avec la Dre Marie-Claude Brachet, elle publie en 2000 une étude alarmante : sur 68 plaintes pour viol à Créteil en 1995, seules 17 sont jugées. Elle dénonce un système biaisé, où les agressées sont moins écoutées que leurs agresseurs. Elle appelle à une justice plus protectrice pour les victimes, à une éducation non sexiste et à une responsabilisation accrue des coupables.

Héritage et postérité d’une femme libre

En 2014, Simone s’éteint alors que la France célèbre les quarante ans de la loi Veil. Elle laisse derrière elle un héritage riche : des textes, des entretiens, des réflexions sur le corps, la maternité, la liberté. Ses paroles, consignées dans des publications, témoignent d’une pensée en mouvement, sans cesse connectée aux combats du présent. Elle demeure, dans la mémoire du féminisme français, une bâtisseuse patiente et lumineuse, ayant tissé les fils d’une libération collective et durable.

Elle n’a jamais cherché à être une figure médiatique. Son militantisme, nourri par une éthique protestante exigeante, se vit dans l’engagement commun et le soutien discret. Elle incarne une forme d’activisme, loin des égocentrismes, qui refuse la personnalisation et met l’accent sur le « faire ensemble ».

 Aujourd’hui, alors que le droit à l’avortement est encore remis en cause dans plusieurs pays, que les violences sexuelles peinent à être reconnues et que l’éducation au consentement reste marginale, la voix de Simone Iff nous rappelle l’essentiel : faire entendre les femmes, toujours, et ne jamais cesser d’agir. À nous de défendre cet héritage.

Alors, rendons-lui enfin ses lettres de noblesse et pour cela, quoi de mieux qu’un hommage, ou devrais-je dire un femmage, comme l’a joliment formulé Anne-Cécile Mailfert, fondatrice et présidente de la Fondation des Femmes, dans ses mots adressés à Simone Iff en 2021 :

 

Sources : 

Duverger, S. (2015). Simone Iff : Du protestantisme au féminisme (1924-2014) Nouvelles Questions Féministes,. 34(1), 158-166. https://doi.org/10.3917/nqf.341.0158.

https://maitron.fr/spip.php?article76546, notice IFF Simone [née BALFET Simone] par Évelyne Diebolt, version mise en ligne le 5 juillet 2010, dernière modification le 18 juin 2020.

 Elodie Bernard, rédactrice web FRW

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