C’est le tout premier roman de Sandrine Caillis, et la voilà déjà première lauréate du prix Cendres 2020 ! Ce prix, décerné par des professionnels de l’édition, laisse présager d’autres réussites littéraires pour celle qui s’interdisait d’aller vers l’écriture, par manque de légitimité… J’ai eu la chance de la rencontrer, virtuellement, et d’échanger avec celle qui a osé franchir le cap de l’écriture. En effet, après un parcours littéraire, Sandrine entre à l’Education Nationale. D’abord en tant qu’institutrice, puis directrice d’école et enfin formatrice. « Je n’ai pas planifié l’écriture de ce roman, ni de devenir un jour auteure. » Pourtant, les livres l’ont toujours accompagnée et son appétence pour la littérature a toujours été bien ancrée dans sa vie. Dans Les ombres que nous sommes, Sandrine Caillis narre l’histoire d’un adolescent qui se cherche, entre bisexualité et sensibilité exacerbée.
Bisexualité, attraction et ambivalence
Camille, quinze ans, se camoufle toute l’année en sweat à capuche et jean noir. Caché dans l’anonymat, le jeune homme aspire à la tranquillité. Il ne cherche pas à fuir ses congénères, mais préfère seulement s’inventer des aventures romanesques plutôt que de jouer au foot. Il ne parvient pas à être « un garçon comme les autres ». De par son prénom, mixte, et sa façon d’être. Cette année, on lui impose le rôle de Titania dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. En plein cours de théâtre, l’adolescent se découvre acteur en explorant avec ambivalence sa féminité et sa masculinité. Il réalise l’attraction qu’il produit sur Zoé, mais aussi sur Timothée, tout autant qu’il se heurte à la répulsion qu’il inspire à d’autres. Sa sensibilité exacerbée prend tout son sens. Le théâtre devient le facteur déclenchant de son affirmation identitaire. La carapace qu’il s’était forgée pour se protéger vole en éclats. À l’instant où il entre sur scène vêtu du costume de la reine des fées, Camille n’est plus invisible aux yeux des autres. Il explore alors les différents rôles que nous sommes amenés à jouer au sein de la société. Et si cette sensibilité, qu’il pensait repoussante et anormale, était, au contraire, sa plus grande force ?
Dans “l’entre-deux”, en quête d’affirmation
Sandrine Caillis n’a pas voulu utiliser ce livre comme un étendard militant sur la bisexualité, mais sur un thème bien plus vaste : l’adolescence en général. Ce qui l’intéresse, c’est d’écrire des histoires de vies sur cette période d’entre-deux inconfortable qui malmène. Cette phase où l’on perd ses repères et où l’on cherche des modèles. « Tout est très ambivalent, c’est fascinant d’observer à la loupe ce moment de vie en plein chambardement. J’ai essayé de rendre cet état de sac et de ressac permanent qui fiche le mal de mer… » L’auteure se place au plus près de ce que peuvent vivre les ados aujourd’hui, si bien que dans Les ombres que nous sommes, les jeunes seront réconfortés dans leur quête d’affirmation d’eux-mêmes. Il y a quelques années, on lui lance un défi qui la pousse dans ses retranchements : « Écris l’histoire d’un garçon qui découvre qu’il prend du plaisir à se travestir en fille ». Sandrine Caillis relève le challenge, sans rien prévoir ni même savoir si elle parviendra au bout. Juste pour « de faux ». Une manière peut-être de se prouver à elle-même qu’elle en est capable. Finalement, elle trouve une grande jouissance dans l’écriture, presque addictive. Elle écrit la première version en très peu de temps. Elle est ensuite rapidement présentée à Charline Vanderpoorte, éditrice chez Thierry Magnier. Avec beaucoup de bienveillance, cette dernière l’aide à alléger les lourdeurs, à enrichir le récit. Elle l’encourage à creuser le caractère des personnages, avec l’œil du lecteur immergé dans cette histoire.
Puberté et premiers émois amoureux
Actuellement, l’auteure travaille sur son second ouvrage, mais son syndrome de l’imposteur refait surface : elle a l’impression de patauger allègrement ! Le décor est posé, sur l’île de Noirmoutier, là où, au gré des plages, elle a pu observer les chocs des cultures. En effet, sur le sable se côtoient des milieux sociaux très différents… Elle y abordera encore une histoire d’adolescence, de jeunes gens en quête d’identité et de repères amoureux… une sorte de Roméo et Juliette ! La première fois, c’était une réponse à un défi, sans enjeu. Là, elle se met davantage de pression, pour que son deuxième roman soit finalement à la hauteur du premier… Peut-être d’ailleurs que la perte de repères fait partie du processus d’écriture. Qu’il faut se trouver dans une espèce d’inconfort ! Elle se doit de lutter contre certaines tentations, comme se laisser emporter par la « technique », la trouvaille langagière ou d’oublier le lecteur. Elle essaie de rester exigeante, d’éviter les connivences superficielles avec le lecteur, les raccourcis. Sandrine Caillis n’est pas dans l’ultra-productivité, elle prend le temps de faire des pauses dans sa rédaction. Ces interruptions sont nécessaires pour laisser infuser les mots. Suivre son inspiration. Écrire lui demande une grande disponibilité, un environnement calme et un esprit libéré de contraintes.
Son seul regret ? Le partage. Malheureusement, en raison de la crise sanitaire actuelle, Sandrine Caillis n’a pas pu aller à la rencontre de ses lecteurs. Elle aurait aimé pouvoir échanger avec son public, comme un aboutissement de ce très beau projet. Les prochaines semaines de confinement sont un bon moyen de revenir à la lecture. Retrouvez ici le premier roman Les ombres que nous sommes de Sandrine Caillis.
Violaine B