Le corps des autres est une pièce de théâtre adaptée de l’enquête de l’historien Ivan Jablonka sur le métier d’esthéticienne. Mis en scène par Marie Lévy, le spectacle se joue au Théâtre La Flèche (Paris 11e) jusqu’au 4 décembre 2021. Avis aux lectrices franciliennes !
Le corps des autres : l’institut de beauté sur une scène de théâtre
« Ça va, ce n’est pas trop chaud ? »
« Aïe ! »
« Soufflez. »
Scène d’ouverture. Marine, une actrice devenue célèbre, est en train de se faire épiler le maillot par Sofia, esthéticienne au salon Aphrodite. Le plateau est aménagé sobrement : une chaise sur laquelle l’actrice Rosalie Comby (Marine) se tortille, de gros rouleaux de scotch servant à mimer l’épilation, et Sofia (Chloé Lasne), l’esthéticienne en blouse rose et en crocs.
Théâtraliser un salon d’esthéticienne, c’est d’abord lui donner un caractère cocasse, presque burlesque. Positions ridicules, cire brulante, cris de surprise : les comiques de geste et de situation sont réunis, et le public est hilare. Rosalie Comby, belle, blonde, mince, incarne une féminité parfaite et défile en robe de soirée, sublimée par la lumière des flashs, sur une voix robotique qui énumère les égéries de L’Oréal, tandis que de l’autre côté de la scène, Chloé Lasne dénonce « le maillot qui rétrécit », en se tordant de douleur.
L’esthétique, métier de l’intime, mis en scène par Marie Lévy
Dans Le corps des autres, la metteuse en scène Marie Lévy montre que l’institut de beauté est un lieu unique, dans lequel se déploie une double intimité : celle du corps, mais aussi celle de l’âme. Double intimité partagée entre femmes qui, conscientes des diktats auxquels elles sont soumises, s’y conforment malgré tout.
Machines anti-cellulite, soins pour la peau, beauté des mains et des pieds, épilation : le salon Aphrodite représente la fabrique de la beauté moderne où les femmes viennent confier leur corps à des professionnelles du bien-être et de l’apparence. Pendant que les esthéticiennes s’abîment les yeux à la recherche du moindre petit poil incarné et se cassent le dos à épiler des sillons interfessiers, les clientes racontent leurs joies et leurs peines, transformant ces expertes de l’esthétique en psychologues.
Cachez ces poils que je ne saurais voir !
Dans notre article sur les femmes ayant choisi d’arrêter de s’épiler, on parlait du poil comme d’un « tabou sociétal ». Les poils des femmes sont rendus inexistants par les représentations du corps des femmes au cinéma, dans l’art, dans la publicité. Quand une célébrité apparaît publiquement avec des poils aux aisselles, comme ce fut le cas pour Julia Roberts ou la mannequin Emily Ratajkowski, cela déclenche toujours des buzz médiatiques.
Il est d’ailleurs question, dans Le corps des autres, de cet épisode de 1999, où Julia Roberts salue la foule lors de la première de Coup de Foudre à Notting Hill, le bras levé, laissant apparaître une aisselle pas épilée. À la question « Pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé », Rosalie Comby, qui incarne une actrice de cinéma, répond de la même manière que Julia Roberts :
« La photo de ce moment est très limpide dans mon esprit. Je crois que je n’avais tout simplement pas calculé la longueur de mes poils, et la hauteur du lever de mon bras… Et combien les deux ensemble pouvaient révéler des choses personnelles à mon sujet. Donc ce n’était pas un acte engagé, mais plutôt un acte qui m’a permis d’assumer qui j’étais, tout simplement être moi-même. »
Esthéticienne, actrice : leurs métiers sont opposés, l’une est au service de l’autre et pourtant, elles contribuent toutes les deux au mythe aliénant de la féminité, car comme le dit Chloé Lasne :
« Il n’y a pas de femmes laides, seulement des femmes qui se négligent ».
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Victoria Lavelle pour Celles qui Osent