Comment la sorcière est-elle devenue une héroïne féministe du 21ème siècle ?

« Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler ». Cette phrase est devenue un slogan repris lors de différentes manifestations féministes à travers le monde. Selon les historiens, entre 50 000 et 100 000 femmes accusées de sorcellerie furent brûlées, et de la fin du 15e au 17e siècle, on décompte plus de 200 000 procès. La figure de la sorcière est ainsi devenue, malgré elle, un symbole des violences sexistes et sexuelles. Aujourd’hui, la sorcière des temps modernes a pris le virage 2.0. Quand elle n’est pas au coeur de slogans féministes, on la retrouve sur les réseaux sociaux, en cartomancienne ou en adepte du développement personnel, qui prône le retour à la nature. Comment la sorcière est-elle devenue une héroïne féministe du 21e siècle ?

La sorcière, une femme marginalisée et diabolisée

La sorcière a toujours incarné une femme marginalisée, mise au ban de la société. Sous l’ancien régime, la sorcière vit dans une zone rurale, et est souvent illettrée. Pourtant, elle est détentrice d’un savoir auquel peu de monde a accès. Fertilité, pouvoir des plantes, accouchements : la sorcière s’occupe « d’affaires de femmes » souvent tabous et considérées comme impropres. En Europe, le tournant survient en 1486, lors de la publication du Malleus Maleficarum, un livre écrit par deux inquisiteurs dominicains, qui servira de bible aux chasseurs de sorcières. Le livre soutient que les femmes, plus faibles d’esprit que les hommes, seraient plus vulnérables et disposées à céder à la tentation du diable. À la Renaissance, le nombre de procès pour sorcellerie explose.

C’est Louis XIV qui publie, en 1682, un décret interdisant de condamner à mort les femmes accusées de sorcellerie. Mais malgré le texte de loi, les stigmates subsistent, et il n’est pas rare que des femmes dont on prétend qu’elles sont des sorcières soient victimes d’atroces faits divers.

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En 1862, la publication de La sorcière, hommage vibrant à l’insoumission de la femme, par l’historien Jules Michelet, les réhabilitent. Il ose s’en prendre frontalement à l’Église qui  » n’a pas assez de bûchers contre l’infortunée « . Aux yeux du clergé, la sorcière était la résurgence de tout ce que l’Église haïssait : l’absence de croyance en Dieu et une dévotion à la nature.

Le wiccanisme réaffirme le droit des femmes à être puissantes

Au 20e siècle, la sorcellerie connaît un regain d’intérêt avec la création, par Gerald Brosseau Garner, écrivain ésotérique britannique, du wiccanisme. En vieil anglais, sorcellerie se disait « wiccacraeft », d’où le terme actuel, witchcraft. Le wiccanisme trouve ses fondements dans le néopaganisme, populaire dans les pays anglo-saxons, une spiritualité mêlant retour au paganisme antique, ésotérisme, et au syncrétisme.

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Miriam Simos, dit Starhawk (née en 1951), devient l’une des références du wiccanisme américain. Selon elle :

 » Se définir comme sorcière, c’est affirmer le droit des femmes à être puissantes et dangereuses en faisant des héritières des guérisseuses, des sages-femmes et de toutes les formes de savoir non approuvées par les autorités. »

En 1979, Starhawk publie un livre intitulé The Spiral Dance portant sur les pratiques néo-païennes. Elle y évoque la puissance des déesses et de la spiritualité féminine, l’écoféminisme, et les rituels de la sorcellerie moderne. Elle établit un lien entre le féminin sacré et la nature qui, selon elle, est dirigée par des forces féminines, et développe une véritable communauté de fidèles à San Francisco. Dans les années 1990 et 2000, Starhawk milite activement au sein de mouvements pacifistes et altermondialistes.

En parallèle, plusieurs mouvements wicca se développent. Dans le dianisme, par exemple, les fidèles vénèrent « la Grande déesse », et pratiquent la non-mixité, en ce qu’elles ne se réunissent qu’entre femmes.

Les sorcières réhabilitées, des héroïnes féministes du 21e siècle

La fin des années 1960 voit également naître un premier mouvement de féministes se revendiquant sorcières, les W.I.T.C.H. : les Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell. Elles organisent des manifestations visant à perturber l’ordre public. Par exemple, en 1968, elles se réunissent devant la bourse de New York, et lancent de mauvais sorts contre Wall Street. Récemment, on a pu apercevoir les W.I.T.C.H. lors de manifestations contre Donald Trump, ou au sein du mouvement Black Lives Matter.

Elles sont plusieurs autrices à avoir réhabilité la figure de la sorcière, et à l’avoir érigée en symbole féministe. C’est notamment le cas de Mona Chollet et de son livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes, dans lequel elle assimile les femmes célibataires à des sorcières, héroïnes des temps modernes, et victimes de discriminations du fait de leur refus de se conforter aux schémas sociaux et familiaux traditionnels. Une quinzaine d’années plus tôt, c’est la philosophe américaine Siliva Federici qui, dans son livre Caliban et la sorcière, introduit une nouvelle lecture féministe des chasses aux sorcières qui se sont succédé en Europe. Elle y explore également ce que le capitalisme fait aux corps des femmes, et explique comment, dès le XVe siècle, les femmes ont été transformées en de simples « utérus-machines », dédiées à la production d’une nouvelle force de travail. Les chasses aux sorcières et les bûchers sur lesquels ces dernières ont été brulées n’ont été qu’un moyen parmi d’autres de discipliner le corps des femmes.

Les sorcières et la pop culture vous intéressent ? Vous pouvez retrouver notre article sur les personnages féminins de la Famille Addams sur notre site !

Victoria Lavelle pour Celles qui Osent

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