Vivian Maier, biographie d’une photographe méconnue

Chicago, hiver 2007. John Maloof, un agent immobilier de 25 ans, se rend à une vente aux enchères. Il espère y dénicher de quoi illustrer l’ouvrage qu’il est en train d’écrire sur le quartier de Portage Park, dans lequel il a grandi. Ce jour-là, les biens d’une vieille dame, jusque-là entreposés dans un garde-meuble qu’elle n’a plus les moyens de payer, sont mis en vente. Le jeune homme acquiert un lot conséquent de photographies pour la somme de 380 $. En tout, pas moins de 30 000 négatifs et des rouleaux de pellicule par dizaines, dans l’attente d’être développés. S’il ne trouve pas de quoi alimenter son livre en illustrations, il repère toutefois de très beaux clichés, dignes de Robert Frank, Lisette Model ou Diane Arbus. John Maloof ne le sait pas encore, mais il vient de mettre la main sur un trésor : l’œuvre photographique de toute une vie, celle d’une femme, nounou de profession, pratiquant la photographie de rue avec talent. Désireux d’en savoir plus sur cette artiste méconnue, il entreprend de reconstituer la biographie de Vivian Maier, n’hésitant pas à retourner sur ses terres d’origine, au cœur des Alpes françaises, pour recueillir les témoignages des personnes qu’elle a côtoyées.

Naissance à New York, une petite enfance difficile

C’est à New York, le 1er février 1926, que Vivian Maier voit le jour. Son père, Charles Maier, est un Américain d’ascendance austro-hongroise, débarqué aux États-Unis en 1905. Sa mère, Maria Jaussaud, est une jeune française originaire des Hautes-Alpes. En 1914, elle a quitté son village natal de Saint-Julien-en-Champsaur pour rejoindre sa propre mère à New York. Elle y fait la rencontre de Charles, qu’elle épouse en 1919. De leur union naît un premier enfant en 1920 : un garçon prénommé Charles William.

Le père de Vivian travaille dans une droguerie, mais passe le plus clair de son temps à boire et à fréquenter les champs de courses, y laissant beaucoup d’argent. Sa mère ne travaille pas, rechignant même à accomplir les tâches domestiques. Les disputes sont fréquentes au domicile des Maier. Les grands-parents en viennent à prendre leurs distances avec le couple. À cinq ans, le jeune Charles William est placé dans un foyer de protection. C’est dans ce contexte familial tendu que Maria tombe à nouveau enceinte et que Vivian vient au monde.

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Un an plus tard, les époux Maier se séparent définitivement. Tandis que Charles quitte le domicile conjugal, l’aîné Charles William est confié par la justice à la garde de ses grands-parents. Vivian et sa mère trouvent refuge chez Jeanne Bertrand, une amie de la famille Jaussaud, qui vit dans le Bronx. Jeanne est une photographe professionnelle reconnue. Ses portraits ont fait la couverture du Boston Globe, le grand quotidien de Boston, qui lui a consacré un article élogieux dans une édition de 1902. C’est auprès d’elle que Vivian grandit jusqu’à l’âge de six ans.

Une enfance retrouvée dans le Champsaur

En 1932, Maria décide de rentrer en France avec Vivian. Mère et fille s’installent dans le domaine familial de Beauregard à Saint-Julien-en-Champsaur, avant de se fixer dans le village voisin de Saint-Bonnet. Vivian y fait la connaissance de ses cousins français, découvre et arpente avec eux la campagne environnante. Elle fréquente l’école communale et parle un français impeccable. La « petite Américaine », souriante et sociable, toujours vêtue de couleurs, suscite la curiosité des gens du pays.

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En août 1938, Vivian Maier repart aux États-Unis avec sa mère. Elle retrouve un grand frère qu’elle n’a pas vu depuis six ans. Un frère en rupture avec l’école, déjà condamné par la justice, et confié à sa mère pour une période probatoire de 18 mois. Vivian a douze ans et ne semble pas scolarisée. Elle fréquente cinémas et théâtres, renouant ainsi avec la langue de Shakespeare. Lorsqu’elle est en âge de travailler, elle exerce des métiers de vendeuse ou d’opératrice sur machine dans un atelier de confection.

À 24 ans, Vivian hérite du domaine de Beauregard que lui a légué sa grand-tante. Passeport en poche, elle retourne en France régler la succession et mettre en vente cette propriété dont elle ne veut pas. Elle retrouve là-bas le village de son enfance, la campagne et les montagnes du Champsaur. À pied ou à vélo, elle va à la rencontre des autochtones, cousins ou villageois. Chaque moment, chaque paysage est l’occasion pour elle de presser le déclencheur de son appareil photo, qu’elle porte autour du cou en permanence.

Vivian Maier, une nounou passionnée par la photographie de rue

En avril 1951, lorsque la vente du domaine est conclue, c’est le retour à New York. L’argent de la succession permet à Vivian de financer quelques voyages et d’acquérir son premier Rolleiflex, un excellent appareil pour l’époque. En parallèle, elle s’improvise nounou. L’emploi idéal pour gagner quelques dollars et disposer d’un toit à moindres frais. Son temps libre, elle le consacre à sillonner les rues de New York, des beaux quartiers aux plus mal famés. Elle prend en photo, souvent à leur insu, les gens de bonne société comme les plus démunis.

En 1956, Vivian Maier s’installe à Chicago où elle est engagée par Nancy et Avron Gensburg afin de s’occuper de leurs trois enfants. Elle vivra au sein de cette famille durant 17 ans, obtenant même un congé sabbatique de 6 mois pour s’offrir un grand voyage. Du Canada à l’Égypte en passant par le Yémen et la Thaïlande, Vivian prend des photographies par centaines, par milliers. Elle conclut son périple par un ultime séjour dans le Champsaur avant de rentrer aux États-Unis, les valises pleines à craquer de rouleaux de pellicule. Lorsque les enfants Gensburg sont suffisamment grands, elle quitte ce foyer qu’elle a animé durant tant d’années et poursuit son activité de nurse, de famille en famille. Elle découvre la photographie couleur qu’elle pratique intensivement, armée de son nouvel appareil Leica.

Les années passent. Vivian vieillit et ne peut plus exercer son métier. En difficulté financière, elle entrepose le gros de ses affaires dans un garde-meuble et s’installe dans un petit appartement de la banlieue de Chicago. C’est là-bas que les frères Gensburg la retrouvent et décident de l’installer dans un logement plus confortable à Rogers Park, au bord du lac Michigan. Vivian aime s’y promener, mais en décembre 2008, elle glisse sur une plaque de verglas et se blesse à la tête. Les trois frères prennent en charge les frais d’hospitalisation puis placent Vivian dans une maison de retraite. Elle y séjournera les derniers mois de sa vie avant de s’éteindre le 20 avril 2009.

De la découverte de l’œuvre à la biographie de Vivian Maier

En 2008, John Maloof décide de numériser une sélection d’images et de les vendre sur eBay. Prenant conscience de l’importance de l’œuvre qu’il a entre les mains, il retrouve les acheteurs des autres lots, mis en vente l’année précédente. Il les leur rachète et acquiert ainsi plus de 100 000 négatifs. En revanche, toujours aucune information sur cette mystérieuse photographe qui semble pratiquer l’autoportrait. En 2009, il trouve enfin un nom sur une enveloppe : Vivian Maier. John Maloof tente sa chance sur les moteurs de recherche et découvre que la vieille dame est morte deux jours plus tôt, à l’âge de 83 ans.

L’avis de décès lui permet de retrouver les frères Gensburg. Il recueille alors des témoignages précieux sur cette nourrice qui s’est si longtemps occupée d’eux. Il se rend ensuite en France, dans le Champsaur, et sollicite les gens du pays, à la recherche de ceux qui ont connu « l’Américaine ». Bien décidé à remonter le fil de sa vie, John Maloof s’attèle ainsi à reconstituer la biographie de Vivian Maier tout en partageant son œuvre sur la toile. La première exposition qu’il organise en 2011 au centre culturel de Chicago rencontre un vif succès.

Durant toute sa vie, Vivian Maier est restée dans l’ombre, anonyme. Cette nounou, décrite comme excentrique, secrète et solitaire, avait peu d’amis, une famille qu’elle ne voyait plus, ni vie amoureuse ni enfants. Appareil en bandoulière, elle a pris au cours de son existence, près de 120 000 photos qu’elle n’a jamais cherché à développer. Le voulait-elle seulement ? Par sa maîtrise de l’autoportrait, certains la considèrent de nos jours comme la mère du selfie. D’autres la définissent comme une photographe de rue talentueuse, experte dans l’art de composer et de dompter la lumière. Une fine observatrice du monde, à la fois pleine d’humanité et de voyeurisme, qui suscite aujourd’hui l’engouement du public. Les expositions qui lui sont consacrées permettent désormais de découvrir l’œuvre secrète de cette artiste singulière qu’était Vivian Maier.

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Antoine Dell’Accio pour Celles qui Osent

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