Sherin Khankan : celle qui osa devenir imame

Ne vous fiez pas à son air doux et posé, car Sherin Khankan est une véritable combattante de la liberté ! Derrière ce visage angélique se cache une militante, une auteure, une épouse et une mère. Cette Superwoman passe chaque instant de sa vie à défendre les droits des femmes dans l’islam. Incontestablement très occupée, elle n’a pourtant pas hésité à endosser un nouveau rôle : celui de devenir la première femme imam à la tête de l’unique mosquée pour femme du Danemark. Autant vous dire que cela a suscité l’admiration mais aussi l’hostilité dans la communauté musulmane ! Vous voulez en savoir plus ? Retraçons ensemble le parcours Sherin Khankan, celle qui osa devenir imame.

La mosquée Mariam : la révolution dans l’islam

Une enfance particulière

C’est en 1974 que Fayez Khankan, réfugié syrien musulman et Irja Khankan chrétienne finlandaise donne naissance à une petite fille, prénommée Sherin. Cette enfant grandit dans un foyer où chacun compose pacifiquement avec des langues, des religions et des croyances différentes. Cette famille multiculturelle avait par exemple l’habitude de célébrer Noël en chanson autour du sapin, puis quelque temps après partager l’Iftar[1], de manière tout à fait naturelle. Son éducation se construit donc à travers ce double héritage où tolérance et acceptation de l’autre constituent la norme. C’est d’ailleurs dans ce cocon familial épanouissant que débute sa quête de spiritualité. Sherin décide de se tourner vers la religion et de croire en l’islam, car cela représente pour elle, à la fois une recherche spirituelle et un moyen d’activisme. Elle intègre alors la faculté de Copenhague et décroche son Master en sociologie des religions et de philosophie. Puis, elle poursuit sa formation en Syrie où elle obtient un Master en arabisme à l’université de Damas. Au cours de ses études, elle est séduite par le concept d’un islam plus progressiste, ouvert et tolérant. C’est également à ce moment-là que germe dans son esprit la volonté de construire une mosquée dirigée par des femmes.

Le projet d’une vie

Elle revient sur sa terre natale en 2001, où elle devient militante pour un féminisme islamique. Son objectif est clair : en finir avec la culture du patriarcat. Dès lors, elle imagine son projet de mosquée, et créer différents programmes tels que :

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  • l’Association des musulmans critiques, qui propose une relecture du Coran en accord avec la société actuelle ;
  • l’Exitcirklen, qui organise des groupes de discussion et de soutien pour les personnes exposées aux violences psychologiques, au contrôle social et religieux.

Pendant une quinzaine d’années, elle va jongler entre la gestion de ses associations, ses actions militantes et son projet de lieu de culte 100% féminin. Il faudra attendre 2016 pour que la danoise Sherin Khankan devienne la première imame du pays ainsi que l’unique représentante de la gent féminine à la tête d’une mosquée. Un évènement qui fait les gros titres :

  • ABC : « Le Danemark ouvre sa première mosquée pour femme » ;
  • BBC : « La première mosquée féminine d’Europe » ;
  • The Times : « Sherin Khankan est-elle l’avenir de l’islam ?».

Une mosquée construite par les femmes pour les femmes

Quelle est la particularité de cette mosquée ? La mosquée Mariam[2] de Sherin Khankan se différencie des autres lieux de cultes musulmans traditionnels en proposant à ses fidèles : des séances spirituelles islamiques, des mariages et divorces religieux ainsi que des conférences. Une fois par mois se déroule la prière du vendredi exclusivement réservée aux musulmanes et dirigée par des imames. On pourrait croire qu’une telle entreprise concernerait uniquement les femmes. Détrompez-vous, car le comité instauré autour de la mosquée comprend aussi des hommes. Ces derniers ont participé à la mise en place des principes fondamentaux de ce lieu d’exception. À savoir :

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  • l’égalité entre les hommes et les femmes ;
  • le droit des femmes à être des leaders ;
  • le droit des femmes à pouvoir divorcer religieusement ;
  • le droit d’avoir un contrat de mariage ;
  • l’exclusion de la polygamie de façon claire et explicite.

La mixité n’est donc pas interdite, mais à l’heure actuelle pour Sherin Khankan, la femme doit demeurer la priorité dans sa mosquée : « Chez moi, les hommes sont les bienvenus, et mon rêve à l’avenir est d’avoir une mosquée où l’on aurait des imams hommes et femmes, pour qu’il y ait une alternance chaque semaine. Mais pour le moment, on a décidé de créer un espace magique dédié aux femmes uniquement, où elles peuvent mener le prêche », explique-t-elle lors d’une interview accordée au site de la chaîne belge RTBF. Sa réussite sera couronné du prix Global Hope de l’UNESCO à New York. Plus qu’un édifice, cette mosquée représente un symbole et un appel pour toutes celles qui veulent prendre en main leur destinée. Avec ce projet, Sherin désire promouvoir une vision progressiste où tout le monde aurait les mêmes opportunités. Cette vision, ses confrères la rejettent catégoriquement.

Une mosquée aux idées clivantes

Ignorant ses détracteurs, elle poursuit son engagement. Ainsi, celle qui ne porte le voile que pour la prière, souhaite continuer à moderniser l’islam en proposant des unions interreligieuses pour les musulmanes [3] ou encore célébrer des mariages homosexuels. Son but ? Briser la structure patriarcale et mettre au défi certaines institutions islamistes qui entretiennent ce statu quo. Toutefois, elle ne cherche ni la polémique ni la provocation. D’ailleurs, elle se concentre uniquement sur ses proches et ses partisans, comme le grand imam de Jakarta, Ali Mustafa Yaqub. Celui qui peut accueillir jusqu’à deux cent mille fidèles chaque vendredi dans la mosquée Istiqlal en Indonésie, est venu en personne bénir celle de Sherin Khankan en prononçant un discours de soutien. Cependant, une partie du monde islamique ne partage pas ces opinions progressistes. Son combat entraîne la colère des radicaux et conservateurs qui voient en elle et ses idées un problème pour la religion. Elle a d’ailleurs reçu un torrent de critiques sur les réseaux sociaux lors de l’inauguration de son lieu de culte.

Sherin Khankan, imame féministe et militante

« L’homme parfait est une femme »

D’où provient l’âme féministe de Sherin Khankan ? Dans une interview accordée à la plateforme médiatique néo-zélandaise Girls Are Awesome, elle explique : « Ma première notion du féminisme islamique vient de mon père et de la façon dont il a traité les femmes de notre famille […]. Il faisait du café pour ma mère tous les matins avant même qu’elle n’ouvre les yeux. Il m’a toujours dit que je pouvais être tout ce que je voulais. Il m’a donné confiance en moi ». Le féminisme s’est donc développé très tôt et n’a cessé de grandir en elle au fil des années. D’une part, à travers ses études, où elle explore à plusieurs reprises les travaux d’Ibn Arabi, l’une des références du Soufisme[4] et connu pour avoir un jour déclaré que « L’homme parfait est une femme ». D’autre part, grâce à des féministes musulmanes, dont elle s’est inspirée comme l’Américaine Amina Wadud, ou la Marocaine Fatima Mernissi (décédée en 2015). A l’instar de la regrettée juge Ruth Bader Ginsburg (dans un tout autre domaine), elle fait partie de ces féministes qui ont décidé de vouer leur vie à l’amélioration de la condition féminine. Toujours sur la même plateforme néo-zélandaise, elle précise :« Nous voulons que les hommes aussi se battent pour l’égalité des droits. […] Nous sommes encore loin d’être égaux […].Cela dit, je veux aussi être optimiste et dire que de bonnes choses se sont produites et que les femmes sont plus proches de l’égalité que jamais ». En occupant une telle fonction, Sherin Khankan met en pratique ses idées. Même si pour certains, son titre reste usurpé.

Une femme peut-elle être imam ?

Finalement, c’est la question qui cristallise les tensions. Pour Sherin, il n’y a même pas de débat. Dans un reportage que lui a consacré Arte, elle déclare : « Dans l’islam, on dit que le Paradis se trouve sous les pieds de la mère. La femme est vraiment respectée dans la tradition islamique. Et il n’y a absolument rien dans le Coran qui interdise aux femmes d’être imames. Au contraire, à l’époque du Prophète – que la paix soit sur son âme – à Médine, au moins trois femmes dirigeaient la prière pour d’autres femmes ». Pour elle, ce titre dépasse la question du genre. Un imam doit être au service de sa communauté, aider les gens et les comprendre. Dans la même logique, la mosquée n’est pas seulement un espace de culte. C’est un lieu de savoir, de connaissance, de sagesse où femmes et hommes doivent être libres et égaux. Les revendications de Sherin Khankan sont claires, pourtant ses propos restent inaudibles pour la plupart de ses semblables masculins. C’est pourquoi elle a créé sa propre sphère libérée de tout machisme, afin de promouvoir ses idées féministes, mais aussi lutter contre l’extrémisme et l’islamophobie.

Un héritage pour les générations de femmes musulmanes à venir

Pour promouvoir ses idées et faire grandir sa communauté, Sherin écrit des livres, multiplie les conférences, les forums, et les entretiens. Elle côtoie différentes personnalités. Elle a notamment rencontré le président français Emmanuel Macron en 2019 pour évoquer la place et l’avenir de l’islam en Europe. Elle veut aussi séduire la nouvelle génération. C’est pourquoi elle n’hésite pas à se confronter à elle. Elle discute, débat dans les lycées et universités, et cela fonctionne ! Son discours attire non seulement les jeunes musulmanes qui la prennent pour modèle, mais inspire également les gens au-delà de la Scandinavie à l’instar de Kahina Bahloul. Cette dernière est devenue en 2019, la première femme imam de France. Dans son entretien pour le quotidien 20 minutes, elle évoque le livre de Sherin Khankan : La femme est l’avenir de l’islam parmi les éléments déterminants de son parcours. Et pour la Danoise, ce n’est qu’un début : « Ma vision est que nous pouvons avoir des mosquées avec des femmes imams dans chaque pays du monde ». La révolution est en marche.

En 2019, la mosquée Mariam comptait trois imames, six autres femmes dirigeaient la prière et prononçaient la Khutba[5] à tour de rôle. Ce lieu a célébré trente mariages principalement entre musulmanes et non-musulmans. Elle a accordé le divorce islamique à dix femmes, la plupart victimes de violences physiques ou psychologiques. Elle a organisé des consultations d’accompagnement spirituel pour de jeunes fidèles confrontés à certains dilemmes. Un bilan plus qu’honorable, mais le chemin vers l’égalité et la reconnaissance est encore long pour ces femmes. Toutefois, comme l’écrit Sherin Khankan : « La femme est l’avenir de l’islam »…

Mike Ahamed.

[1] Le repas qui est pris chaque soir par les musulmans au coucher du soleil pendant le jeûne du mois de ramadan.

[2] Mariam est la forme araméenne du nom de Marie, qui est la mère du Christ et dont un chapitre du Coran porte le nom

[3] Il faut savoir que dans le Coran, il est écrit qu’un musulman peut épouser une femme des peuples du Livre, à savoir une juive ou une chrétienne. En revanche, il n’est pas écrit qu’une musulmane peut épouser un juif ou un chrétien, un homme des peuples du Livre.

[4] Le soufisme est un courant de l’islam. Elle représente une vision mystique et ésotérique de la religion.

[5] Le nom arabe du sermon délivré par l’imam lors de la prière du vendredi.

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