Peggy Guggenheim | L’extraordinaire marraine de l’art moderne

Que retiendra-t-on de la vie de Peggy Guggenheim ? Le courage d’un mécène qui s’est battu pour les artistes de son époque ou la personnalité hors du commun d’une femme libre à l’insatiable soif de vivre ? Issue d’une famille riche, son chemin semblait tout tracé. Mais entre drames familiaux et désillusions sentimentales, la plus grande collectionneuse d’art moderne du XX e siècle a vu son destin contrarié à de nombreuses reprises. La biographie de Peggy Guggenheim est empreinte de cette ambivalence. Portrait de l’extraordinaire marraine de l’histoire de l’art moderne.

Une enfance malheureuse dans un quartier chic de New York

Marguerite Guggenheim nait le 26 août 1898 à New York. Ses parents, qui la surnomment Peggy, sont d’origine juive. Son père, Benjamin Guggenheim, est un homme d’affaires aisé. Les Guggenheim, propriétaires de mines de fer et d’acier, possèdent une fortune colossale. La famille de Florette Seligman, la mère de Peggy, tient sa réussite du monde de la banque. Chez les Seligman, l’originalité se transmet de génération en génération. « Des demi-fous » écrit Peggy, à propos de sa branche maternelle, dans l’une de ses autobiographies. Peggy est la seconde d’une fratrie composée de trois filles. Elle est très proche de Bénita, sa sœur ainée, beaucoup moins de sa cadette, Hazel. Mais dans cet environnement cousu d’or, la petite fille s’ennuie. Elle reçoit des leçons particulières à la maison et n’a pas d’autres camarades que ses sœurs.

Benjamin Guggenheim est souvent en déplacement professionnel. C’est un mari infidèle et la tension est palpable à la maison, pourtant Peggy l’adore. Durant ses longues absences, Florette gère les affaires domestiques. Elle a peu de temps à consacrer à ses filles. C’est alors qu’en 1912, Benjamin Guggenheim meurt dans le naufrage du Titanic. Ayant cédé sa place aux femmes et aux enfants sur les canots de sauvetage, son héroïsme est salué de tous. Peggy a 13 ans, elle ne se remettra jamais de cette blessure. Cette disparition met au jour les pertes financières causées par la mauvaise gestion de son père. Florette et ses filles sont alors contraintes de quitter leur quartier préservé de New York pour une vie plus modeste. Une situation douloureuse qui les place dans une position d’infériorité vis-à-vis des autres membres de la famille. Peggy en sera marquée à vie.

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Peggy Guggenheim, une vie de bohème

À 21 ans, elle hérite d’une partie de la fortune de son grand-père paternel. Avec sa rente annuelle, elle décide de s’offrir un nouveau nez. Mais l’opération est un échec et le résultat bien pire qu’avant. Les souffrances engendrées lui faisant renoncer à une nouvelle intervention chirurgicale, la jeune femme devra vivre avec ce complexe toute son existence. Un détail physique qui fera la distinction de cette légende de l’histoire de l’art.

Quelque temps après, avide de découvertes et de liberté, elle sillonne les États-Unis, puis l’Europe. À Paris, elle s’intègre au cercle culturel et bohème de la jeunesse parisienne, avec son lot de fêtes et d’extravagances. Dans ce noyau du surréalisme, elle noue des amitiés fortes et durables avec Marcel Duchamp, Djuna Barns et Constantin Brancusi. Elle prend alors conscience qu’elle peut mettre son argent au service de l’art. Elle fait aussi la connaissance de Laurence Vail avec qui elle découvre les plaisirs charnels. Ils se marient et ont deux enfants : Sindbad et Pegeen. Mais le couple se sépare après 7 ans d’une relation troublée par les accès de violence de Vail. À cette époque, s’ensuit une série de drames personnels et familiaux qui, au lieu d’affaiblir la jeune femme, décupleront son envie de profiter de l’existence.

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La plus grande collectionneuse d’art moderne du XX e siècle

Vers 1936, Peggy est devenue un personnage central, aimé des artistes. Établie à Londres durant sa malheureuse liaison avec l’écrivain John Holmes, elle crée une galerie d’art : la galerie Guggenheim Jeune. Autodidacte passionnée, elle s’investit dans ce projet au côté de Duchamp et Cocteau. Elle y expose des tableaux de Kandinsky, Mondrian, Brancusi ou encore Yves Tanguy, un parti pris audacieux pour l’époque. Enthousiasmée par la réussite de sa galerie, elle achète fébrilement tout ce que son regard devenu expert lui indique. Alors que ses vies amoureuses sont des échecs à répétitions, l’art donne un sens à sa vie.

Mais, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Peggy juge plus prudent de fermer les portes de sa galerie. Épaulée par l’historien Herbert Read, elle décide de poursuivre sa quête de sculptures, de tableaux et autres objets d’art abstraits. C’est la naissance de la plus grande collection d’œuvres d’art du XX e siècle : la Collection Guggenheim.

Art of This Century, le pari osé d’une autodidacte engagée

En 1939, quelques mois avant l’occupation allemande, elle revient en France. Malgré ses origines juives et son image de femme excentrique, Peggy Guggenheim prend le risque de soutenir financièrement les artistes émergents. Elle achète par centaines leurs œuvres considérées comme dégénérées et interdites de diffusion par les allemands. Elle fera tout pour protéger sa collection. Usant de stratagèmes, elle l’emmène clandestinement sur un bateau en partance pour New York. Grâce à ses moyens financiers et à ses relations, elle permet à André Breton, Max Ernst, Yves Tanguy et bien d’autres, de fuir vers les États-Unis. Puis, en 1942, fraîchement installée à New York avec ses deux enfants, elle épouse Ernst dont elle s’est rapprochée durant la traversée.

Cette nouvelle vie est l’occasion de promouvoir les artistes européens et de découvrir la jeune génération de peintres américains comme Paul Klee, Mark Rothko ou Jackson Pollock. Pour cela, elle ouvre la galerie Art of This Century, un lieu d’exposition révolutionnaire au succès phénoménal. Pegeen Vail, la fille de Peggy, devenue peintre, fait partie des artistes femmes mises à l’honneur lors de plusieurs évènements à la galerie. La quarantaine approchant, Peggy ressent le besoin de raconter son parcours dans une première autobiographie. Livrant les détails de sa vie sexuelle et sa passion pour l’art, la galeriste détonne dans un monde encore très conservateur.

Venise, le port d’attache de Peggy Guggenheim

À la fin de la guerre, elle se sépare de Max Ernst et retourne vivre en Europe. La Biennale de Venise de 1948 lui permet de faire connaitre, pour la première fois, les peintres modernes américains. Après la fermeture de sa galerie New-yorkaise, la collectionneuse américaine pose ses valises à Venise dans le Palazzo Venier dei Leoni. C’est un havre de paix pour elle et ses chiens, fidèles compagnons d’une vie chaotique. Son palais est aussi le lieu idéal pour mettre en avant sa collection et poursuivre sa vie de bohème. Mais, le 1er mars 1967, lorsque Pegeen se suicide, c’est un nouveau drame qui l’atteint. La vieille dame se réfugie, plus que jamais, dans sa collection.

Peggy Guggenheim est décédée le 23 décembre 1979. Elle repose auprès de ses chiens dans le jardin de son palais vénitien devenu musée. Sa collection appartient désormais à la fondation Solomon R. Guggenheim, créée en 1937, par son oncle. Étrangère dans sa famille, mal-aimée en amour, Peggy a longtemps cherché une légitimité et une raison d’être. Dépassant les complexes que son physique et sa fortune lui procuraient, elle s’est imposée dans un monde dont elle ignorait les codes. Parce qu’ils en avaient besoin, elle s’est engagée pleinement aux côtés des artistes en leur donnant les moyens de s’exprimer et en les protégeant. Sa collection est à son image : une œuvre originale, un trésor à préserver.

La liberté de mœurs de Peggy Guggenheim ne laissait pas indifférent. Celle qui aimait prendre des bains de soleil nue sur sa terrasse aurait-elle osé soutenir un projet de long métrage autour de la sexualité féminine ? La réponse se trouve dans l’interview de Daphné Leblond, réalisatrice du film « Mon nom est clitoris ».

Séverine Labadie-Luquet, pourCelles Qui Osent

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