Margaux Brugvin : oser regarder l’histoire de l’art d’un œil Féministe

Passionnée d’histoire de l’art, formée à la prestigieuse École du Louvre à Paris, Margaux Brugvin a commencé à publier des vidéos sur son compte Instagram lors du premier confinement, en mars 2020. Une trentaine de vidéos plus tard, elle a maintenant 29 000 followers et réalise du contenu en partenariat avec de grandes institutions parisiennes, comme le musée de la Villette ou celui du Luxembourg.

La démarche de Margaux Brugvin est simple : valoriser le travail de femmes artistes, et vulgariser leurs oeuvres auprès du grand public. Celles qui Osent a eu la chance de la rencontrer et d’échanger avec elle. Au programme : art, musées, et féminisme.

De l’École du Louvre au marché de l’art

Quand on demande à Margaux l’origine de son goût pour les belles oeuvres, elle explique avoir grandi au milieu de livres d’art, sur lesquels elle dessinait étant petite. L’année du baccalauréat, elle tombe par hasard sur L’histoire de l’art pour les nuls, et découvre un univers qui lui était jusque là étranger et qui la passionne très vite. Elle se met alors à repérer les artistes qu’elle aime et à en parler sur son skyblog où elle fait des collages de ses oeuvres préférées, et raconte la vie d’artistes qu’elle admire. 

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L’histoire de l’art pour les nuls, c’était un cadeau que mon père avait eu à une réunion de travail, donc c’est complètement par hasard que je suis rentrée dans le milieu de l’histoire de l’art. Je me demande toujours ce que j’aurais fait si je n’avais pas trouvé ce bouquin !

Après une licence à l’Institut Catholique de Paris en histoire de l’art et un master à l’École du Louvre, Margaux commence à travailler dans une galerie d’art contemporain parisienne, au sein de laquelle elle est restée trois ans. Elle a ensuite travaillé pour une foire d’art contemporain. Au bout de quatre ans dans le marché de l’art, Margaux commence à se lasser de ce milieu, qu’elle juge difficile. 

Lien vers des formations en écriture digitale

Je n’arrivais pas à voir ce que je pouvais faire dans ce monde-là, qui est assez fermé, où l’on est mal payé(e) et pas toujours très bien traité(e). Ce qui m’intéressait le plus, c’était la communication digitale, car c’est ce qu’il y avait de plus créatif. Or je travaillais dans de petites structures, au sein desquelles je faisais également beaucoup d’administratif et qui avaient dix ans de retard sur les stratégies de communication.

De Bla-Bla Car aux vidéos sur Instagram 

Attirée par la communication digitale, Margaux quitte le marché de l’art et commence à travailler pour l’entreprise Bla-Bla Car, au sein de laquelle elle ne reste qu’un an, avant de s’occuper de la communication d’un architecte. Elle décide finalement de devenir freelance, et fait de la production de contenus ainsi que du conseil concernant les stratégies de communication auprès de quelques acteurs du milieu de l’art et de différentes marques.

Je savais que je reviendrai dans le milieu de l’art d’une manière ou d’une autre. J’avais eu l’idée de faire des vidéos sur des artistes et des mouvements, pas forcément des femmes, mais je voulais déconstruire l’histoire de l’art et adopter un regard critique sur les œuvres. J’avais peur de ne pas trouver le bon ton, de ne pas parvenir à intéresser les gens…

Avec le premier confinement, Margaux perd plusieurs de ses missions et a du mal à imaginer la suite : 

Pour ne pas sombrer dans l’angoisse, j’ai décidé de commencer la réalisation de ces vidéos. Entre temps, je me suis rendu compte que durant mes cinq années d’études, je n’avais étudié aucune artiste femme. Quelques temps après avoir terminé l’École du Louvre, j’ai rattrapé mon retard en lisant les travaux d’historiennes de l’art féministes. J’avais amassé beaucoup de connaissances que j’avais envie de partager, et j’ai finalement décidé de me lancer. La première vidéo que j’ai faite, je n’avais même pas prévenu ma mère tellement cela s’est fait de manière spontanée !

Pour sa première vidéo, Margaux décide de présenter l’artiste Frida Kahlo, une artiste extrêmement connue, dont les droits d’image ont été rachetés à la famille Kahlo par une entreprise américaine. Sur son compte Instagram, Margaux déplore ce marketing outrancier qui fait de l’ombre à l’oeuvre extraordinaire de l’artiste. Une oeuvre marquée par une vie de souffrance et de handicap physique, détournée au profit de sa silhouette, de sa couronne de fleurs et de son mono sourcil. 

À partir de cette publication sur Frida Kahlo, Margaux a continué à réaliser des vidéos qui ont su conquérir les followers. La dernière en date : une présentation de la vie de Lee Miller, artiste surréaliste et photographe de guerre, dont vous pourrez retrouver la story dans Celles qui Osent dès la semaine prochaine 😉

Lutter contre l’invisibilisation des femmes dans l’histoire de l’art

Aujourd’hui, les bibliographies féministes sur l’histoire de l’art se multiplient. Pour le prouver, Margaux nous montre via visioconférence la dizaine de livres qu’elle garde sur sa table de nuit portant sur des artistes femmes et les mouvements artistiques auxquels elles ont participé. Selon elle, il n’est plus possible de les ignorer. C’est maintenant aux enseignant(e)s des facultés de transmettre ce savoir à leurs élèves et de les former à cette question. 

Quand on demande à Margaux ce que la pensée féministe a apporté à l’histoire de l’art, elle répond : 

Redécouvrir le regard que les femmes ont porté sur le monde. C’est très enrichissant. Ça n’annule pas du tout ce qui a été dit jusqu’à présent sur l’histoire de l’esthétique. Cela permet aussi d’entrer plus facilement dans l’histoire de l’art, qui paraît monumentale et inaccessible car complexe.

Je suis devenue féministe en me rendant compte que les femmes et le féminisme apportaient un regard différent sur la société, sur des problèmes qui me concernaient directement mais que je n’avais pas jugés dignes d’être évoqués dans la grande littérature ou l’art de manière générale.

En 2019, il n’y avait que 30 % d’expositions en France dédiées à des femmes artistes. Ce chiffre était le même au début des années 2000. Cela change de plus en plus, notamment au printemps 2021 avec l’ouverture de trois expositions parisiennes dédiées à des artistes femmes, dont on vous parlera en détails dans notre newsletter hebdomadaire qui sortira samedi… Alors abonnez-vous ! 

Les expositions féministes  : effet de mode ou réalité ? 

La question se pose tout de même de savoir si ces initiatives relèvent du féminisme washing, ou si elles sont au contraire la preuve d’une réelle volonté de faire découvrir certaines artistes au grand public. Dans tous les cas, les mentalités ont bel et bien changé. Margaux évoque l’exposition elles@centrepompidou, montée en 2009 par Camille Morineau, à l’époque conservatrice du Centre. L’exposition mettait en avant le travail d’artistes femmes et a été très mal reçue. En réalité, le travail de Camille Morineau, aujourd’hui directrice d’AWARE, une association culturelle mettant en avant les femmes artistes, a permis de faire découvrir des artistes féminines de grand talent mais complètement inconnues jusqu’alors.

Aujourd’hui, la société est davantage réceptive à ce genre d’expositions. Ma crainte est que ça ne soit qu’un effet de mode, et que les musées ne répondent qu’à une demande qui leur est faite, pour après ne monter plus que des expos Picasso dans les années suivantes. D’un autre côté, j’ai de l’espoir car je reçois de plus en plus de messages d’étudiantes en histoire de l’art qui me disent qu’elles travaillent sur des artistes femmes. Une partie de ces jeunes femmes se retrouvera au coeur des institutions culturelles et aura le pouvoir de faire bouger les choses.

Le marché de l’art : un milieu à faire évoluer selon Margaux Brugvin

Alors que pour la première fois depuis la création du Louvre, une femme, Laurence des Cars, a pris la tête du musée, peu de révélations quant aux discriminations subies par les femmes ont été faites dans le milieu du marché de l’art, face à d’autres domaines comme celui du sport ou du journalisme. Margaux nous parle du compte Instagram @myartnotmyass qui dénonce les comportements sexistes rencontrés dans ce milieu.

Travailler dans le milieu de l’art peut être passionnant et peut très bien se passer. Mais l’abus de pouvoir y est aussi très présent. Certaines personnes sont passionnées par ce qu’elles font, mais n’ont aucune formation en management et ne savent pas gérer une équipe. Le classisme, le sexisme et le racisme y sont fréquents. Quand je travaillais en galerie, il m’arrivait de rencontrer des gens qui se demandaient si la toile de 6 mètres de large qu’ils venaient d’acquérir n’allait pas paraître « noyée » dans leur gigantesque appartement parisien, pendant que toi, tu es mal payée et tu manges des pâtes au beurre. C’est un milieu passionnant, mais très étrange.

De plus, les grosses galeries sont très souvent détenues par des hommes. Un des rares exemples de structure gérée par une femme est celui des galeries new yorkaise et parisienne de Marian Goodman, qui y expose de l’art contemporain. 

Quand on lui demande la dernière chose qu’elle a osé, Margaux Brugvin répond en riant : « je viens de choisir ma robe de mariée, et elle est rouge ! ». Plus sérieusement, elle avoue que publier ses premières vidéos sur Instagram représentait un gros défi pour elle. 

Ses deux vidéos préférées ? Celle sur Lee Miller, car elle ne pouvait plus s’arrêter dans les recherches tellement c’est une femme dont la vie est passionnante, et celle sur Zenele Muholi, artiste sud-africaine et lesbienne aux photos poignantes.

Ses futures vidéos ? Un cycle sur le corps et la maternité, sur le textile, sur les artistes issues de diasporas et travaillant sur la question de la double identité… Beaucoup de belles choses à venir, pour notre plus grand plaisir.

Un grand merci à Margaux Brugvin pour le temps précieux qu’elle nous a accordé.

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Victoria Lavelle, pour Celles qui Osent

Celles qui osent instagram
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