Interview de la chanteuse féministe Leonor Bolcatto

Celles qui osent est partie à la rencontre d’une musicienne, compositrice et interprète de chansons engagées. Son instrument de prédilection ? Sa voix. Les chansons de Leonor Bolcatto naviguent entre tendresse, poésie, urgence de vivre et féminisme. Rémy Tarrier dit d’elle « qu’elle ouvre des fenêtres et casse les clichés ». Son timbre, doux et mélodieux, séduit le public, qui souligne l’intelligence de ses textes. Retour sur le début d’une carrière prometteuse pour cette poétesse des mots à la voix cristalline. Jolie découverte ! 

L’amour des peuples, des cultures et de la diversité  

Une enfance parisienne, modeste 

Leonor Bolcatto naît aux Lilas, en banlieue parisienne. Elle grandit dans une cité HLM, dans le 20e arrondissement, quartier populaire et cosmopolite de Paris. 

Sa mère est professeure de sculpture et de peinture dans un centre culturel, et son père, éducateur spécialisé : il aide aujourd’hui les migrants à se loger. 

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Ses parents se séparent quand elle a six ans : la petite Léonor emménage avec sa mère et sa grande sœur : « La vie quotidienne, les devoirs, c’est ma mère qui assume seule. Mon père ne se désengage pas du tout de son rôle, mais je vis exclusivement dans un environnement féminin. »

Elle évolue dans un milieu dans lequel on l’encourage à s’exprimer par le biais pratiques artistiques : « Quand je m’ennuyais, ma mère me disait toujours : tu n’as qu’à dessiner ! ». Par ailleurs, elle a crayonné elle-même la pochette de son dernier EP « Les allumeuses d’étoiles », « très inspirée par le Petit Prince »

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Son père, argentin, passionné de cinéma, lui fait découvrir très tôt ses films cultes en cassettes VHS. Il est arrivé en France dans les années 80. “Très attiré par la France”, il s’installera à Paris, et ne retournera plus jamais vivre en Argentine. 

Une musicienne passionnée de chant, fascinée par l’Argentine 

Leonor Bolcatto est appelée par la musique très jeune : elle choisit de faire de l’alto au Conservatoire, comme son grand-père. Sa pratique instrumentale est un échec, mais grâce à la chorale obligatoire de l’école de musique, elle découvre sa passion pour le chant. « J’adore l’Argentine, je me sens très reliée à cette terre. Pas seulement pour la confiture de lait. J’aime la musique traditionnelle argentine, nourrie à la fois des influences espagnoles et amérindiennes : de la guitare, du bombo, du violon, de la flûte de pan, du charango… Bonne élève, j’adorais apprendre. L’école était un endroit où je me sentais bien.

Elle passe un baccalauréat littéraire, option musique. “ Adolescente, j’arrête l’alto pour me consacrer exclusivement à la chanson.” Elle s’inscrit au cours Ado de la Manufacture Chanson, une société coopérative d’artistes au service des professionnels. Elle chante des chansons issues du répertoire français.“À l’époque, j’étais monomaniaque de Zazie et Linda Lemay. Plus tard, je deviens interprète au sein de l’ensemble médiéval de la Sorbonne, de différents cœurs classiques, et du groupe de rock de Manu Rivière.”

De l’ethnomusicologie à la chanson  

Elle passe un master à la Sorbonne d’ethnomusicologie : aller à la rencontre des populations à travers le prisme de la musique la passionne… “J’ai voulu étudier les musiques du Nord-Ouest de l’Argentine. C’est lors de ce terrain que j’ai réalisé que je ne me sentais pas parfaitement à l’aise avec la posture de chercheuse. J’étais la Blanche qui observait les peuples, comme une bête curieuse…” Elle renonce à passer mon master. Et puis, “il y a eu les attentats du 13 novembre, j’ai perdu des camarades de classe.”  C’est un électrochoc. Son avenir professionnel change radicalement : elle décide de chanter ses propres chansons. “La vie c’est maintenant !”  

Auteure, compositrice et interprète

Elle aime écrire des poèmes depuis son plus jeune âge. Très pudique, mal à l’aise avec la prise de parole publique, elle utilise la poésie pour convoquer des images, s’exprimer aussi. “La chanson, c’est un instant joliment fugace. Je suis assez stricte sur mes rimes, le nombre de pieds, le rythme. J’ai mis beaucoup de temps à terminer ma première chanson : écrire le texte, composer la mélodie. La chanson, c’est comme le jardinage. Il faut semer des idées, qui doivent prendre le temps de germer. Laisser le terrain en jachère aussi. L’écriture peut être exécutée d’un seul jet ou parfois très laborieuse.”  La mélodie arrive souvent après le texte. Elle la compose avec une base rythmique, parfois en tapant simplement avec ses mains, souvent à la guitare ou au charango. 

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Dans mes chansons, je vois surtout une couleur, avant de percevoir une ambiance musicale.” Perfectionniste, Léonor Bolcatto peut mettre plusieurs jours à finir une chanson. 

En 2016, elle fait ses premières scènes professionnelles au Magique dans le 14e, un café-concert tenu par Marc Havet. “Le seul qui m’a répondu favorablement à mes débuts.” Par ce biais, elle fait des rencontres, des scènes dans les troquets, avec son duo de reprises. “Il faut trouver des stratégies pour attirer leur attention”

Elle partage la scène avec d’autres artistes tels que Gervaise et Lise Martin, Pascal Marie ou encore Dominique Babilotte. 

Dans une association de chant diphonique à Paris, elle chante le mongol, apprend à jouer du didgeridoo… et rencontre son amoureux breton. 

Léonor Bolcatto, une chanteuse féministe

Les Allumeuses d’étoiles : chanter la liberté des femmes

Léonor Bolcatto sort son dernier EP en octobre 2020, intitulé Les Allumeuses d’étoiles, comportant cinq titres. Il parle de femmes revendiquant leurs désirs, “qui brillent dans la nuit pour avoir trouvé cet endroit de l’intime qui fait naître, grandir, se révolter, s’émanciper, créer, aimer.

Tant de conseils au quotidien 

Maigrir, mettre en valeur mes seins

Vraiment j’admire votre grandeur d’âme 

Qui fait de moi une vraie dame

Être jolie toujours sourire

Encaisser les coups sans rien dire

(…) Je suis là pour vous plaire

Et si je ne vous plais pas

Je suis capable de faire

De faire n’importe quoi

Un engagement féministe

Ses textes sont féministes. “J’ai grandi entourée de femmes. À l’adolescence, des complexes sont nés, et je me suis interrogée sur leur existence ; la société nous dicte parfois la bonne conduite à tenir. Le fait d’adhérer aux revendications féministes m’a aidé à m’accepter telle que je suis. Mes chansons se nourrissent de mes questionnements très intimes.”  Pour concevoir ses clips, Léonor préfère donc tout naturellement travailler avec des réalisatrices femmes. 

Depuis peu, elle est engagée bénévolement au planning familial des Côtes d’Armor, pour entreprendre des actions, faire de l’éducation à la sexualité. “Je ne peux plus concevoir mon quotidien sans être utile aux autres femmes. Porter cette parole féministe, même avec maladresse, est important.

Partager ses chansons malgré la crise sanitaire 

Elle tente de faire perdurer la magie des concerts ; elle se produit en live sur les réseaux, en direct sur le bateau-péniche El Alamein à Paris. Depuis la crise sanitaire, elle doit faire preuve d’inventivité pour faire vivre ses chansons : elle imagine avec d’autres musiciennes un concert dans un théâtre à Saint-Brieuc, en live également. “La réaction du public sur les réseaux fait du bien. J’ai besoin d’échanges, cela donne de l’énergie. Mes chansons sont à partager…”  Elle parvient à vivre de sa passion la chanson, en solo, mais aussi avec son trio de musique argentine Yerbaloca et son duo de reprises Les Reprieuses de l’Ouest

Dans l’émission documentaire radiophonique de France Culture “Les pieds sur terre”, Leonor Bolcatto me fait part de sa découverte : une jeune militante tunisienne, Emna Charki, blogueuse athée de 27 ans, risque trois ans de prison pour “incitation à la haine entre les religions et appel à la discrimination”. Le 2 mai, sur sa page Facebook, elle a osé publier un texte sur le coronavirus, appelant à se laver les mains et à respecter la distanciation sociale, en reprenant la forme et la rime… des écrits coraniques. Menacée de mort, elle affirme malgré tout sa liberté de parole. “Dans le genre femme qui ose, on est pas mal là, non ?” Léonor me cite également une femme trans, courageuse, Lexie, très suivie sur son compte instagram aggrassively_trans. La jeune femme transgenre répond à la haine et à l’ignorance à grand renfort de pédagogie, de leçons d’histoire, d’humour et de témoignages. 

Pour conclure, Leonor ajoute : “récemment en Agentine, les femmes viennent de gagner le combat pour le droit à l’avortement. Oser en collectif donne beaucoup de force, permet de faire bouger les lignes plus vite.” Bien dit ! 

Celles qui Osent, cela vous tente d’oser collectivement vous aussi ? 

Violaine B — Celles qui Osent 

Celles qui osent instagram
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