Irène Frachon | Révélatrice du scandale du Médiator

2007 restera une année décisive dans la vie d’Irène Frachon, pneumologue brestoise à la vie ordinaire et dévouée à son métier. Les questionnements et les découvertes de cette femme déterminée ont fait vaciller l’un des plus grands groupes pharmaceutiques français. Sa ténacité a permis de révéler au grand jour les pratiques douteuses d’un laboratoire sans scrupules. Pendant près de trente ans, le groupe Servier a réalisé des bénéfices au détriment de la santé de nombreux malades. Portrait d’Irène Frachon, révélatrice du scandale du Médiator et femme sans concessions.

Une jeunesse marquée par la culture protestante 

L’influence déterminante d’Albert Schweitzer

Irène Frachon naît en 1963 à Boulogne-Billancourt, et passe une enfance des plus classiques dans une famille bourgeoise protestante. Parmi ses aïeux figurent des personnalités illustres ayant occupé de hautes fonctions (grands-pères respectivement amiral et attaché au cabinet d’un ministre), synonymes de devoir et d’engagement. Rien ne la prédestine donc à embrasser une carrière médicale. De son éducation religieuse et familiale, elle retient surtout l’influence qu’a eu sur elle Albert Schweitzer, médecin reconnu et pasteur protestant profondément humaniste. Admirative de son parcours, elle choisit de se consacrer à la médecine.

Une vocation au service des malades

Irène Frachon est diplômée en médecine en 1988. Ambitieuse, elle convoite en premier lieu une carrière de chirurgienne, mais l’envie de fonder une famille la dissuade de continuer dans cette voie. Elle réfléchit donc à changer de spécialité. Au cours de son internat, effectué à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, elle fait le choix de la pneumologie.

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Elle exerce ensuite son métier à l’hôpital Foch de Suresnes, où elle s’intéresse tout particulièrement aux cas d’hypertension artérielle pulmonaire. Son arrivée au CHU de Brest intervient en 1996 suite à la mutation de son mari, hydrographe, dans le Finistère.

Irène Frachon, révélatrice du scandale du Médiator  

Le temps des premiers soupçons

Dans les années 90, les premiers doutes d’Irène Frachon apparaissent. Dès le début de sa carrière, la pneumologue s’interroge déjà sur le lien entre la prise de l’Isoméride, médicament sorti en 1985, et les atteintes des valves cardiaques de certains patients. En effet, nombre de malades, consommateurs de ces pilules, se plaignent à cette époque de troubles respiratoires ou cardiaques. A l’instar du Médiator, l’Isoméride est également issu du groupe pharmaceutique Servier, prescrit comme coupe-faim dans le cadre d’un traitement antidiabétique.

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Les laboratoires Servier ont bâti leur renommée avec la mise sur le marché dès les années 1960 de ces « coupe-faim », dérivés d’amphétamines. Produit-phare de la marque à ses débuts, le Pondéral est le premier remède anorexigène vendu par Servier dès 1963. Dans son sillage, sort le Médiator en 1976, puis enfin l’Isoméride en 1985. Censés réguler l’appétit en donnant une sensation artificielle de satiété, ces comprimés sont prescrits comme remède à des personnes souffrant de surpoids et de diabète. L’effet de mode est tel que beaucoup de femmes en prennent uniquement pour garder la ligne. La firme Servier se frotte les mains, l’aubaine est trop belle.

Le Pondéral et l’Isoméride, très proches en terme de composition, finissent par être retirés du marché en 1997 sur décision de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Des études montrent en effet qu’ils provoquent de graves valvulopathies et une hypertension artérielle pulmonaire aiguë.

Des preuves irréfutables

En 2007, alertée en consultation par un collègue cardiologue sur le cas d’une patiente, Irène Frachon se penche sur la composition du Médiator. Ce médicament antidiabétique serait-il également à l’origine de complications cardiaques et pulmonaires ? En analysant et en recoupant les données scientifiques, elle constate que le Médiator est déjà interdit dans de nombreux pays sauf… en France. La pneumologue brestoise établit enfin un lien entre l’Isoméride, retiré du marché en 1997, et le Médiator. Bien que les laboratoires Servier dissimulent sciemment l’information, Irène Frachon découvre que les deux médicaments sont issus d’une même molécule : le benfluorex.

Forte de cette découverte, elle alerte l’AFSSAPS. Dans un premier temps, personne ne la prend au sérieux. Pire, lors de sa première audition devant l’établissement public, on la discrédite. On dit d’elle qu’elle fait « son intéressante ». Les laboratoires Servier ont pignon sur rue, et l’AFSSAPS a tout intérêt à collaborer avec ce puissant groupe pharmaceutique. Alors, pourquoi s’embêter à écouter les élucubrations d’une pneumologue de province ?

C’est mal connaître la détermination sans faille d’Irène Frachon qui persiste et obtient le retrait définitif du Médiator deux ans plus tard, en 2009. Mais l’antidiabétique a déjà fait d’énormes dégâts. On estime alors que 1 000 à 2 000 personnes ont succombé à la consommation de cette substance. Un combat commence, qu’Irène Frachon ne lâchera jamais.

Une pneumologue brestoise face au lobbying pharmaceutique

Après le retrait du marché du Médiator, Irène Frachon est victime de menaces de la part du milieu pharmaco-industriel. Rien ne lui sera épargné. L’AFSSAPS cherche à la déstabiliser, et demande à son égard des sanctions lui interdisant d’exercer. La pneumologue brestoise résiste aux pressions. Les laboratoires Servier la décrédibilisent, et mettent en cause son intégrité de médecin. Il est impensable d’abandonner, les patients comptent sur elle pour mettre au jour ce scandale sanitaire à grande échelle. Avec opiniâtreté et refus de toute compromission, elle ira au bout de sa démarche. Non, décidément, le sens du devoir, inculqué au sein de la sphère familiale, n’est pas un vain mot.

En 2010, son livre intitulé « Médiator 150 mg, combien de morts ? » fait connaître le scandale sanitaire du Médiator au grand public et assoit sa notoriété. La pneumologue brestoise apparaît alors, bien malgré elle, sur le devant de la scène médiatique. Irène Frachon, la lanceuse d’alerte, est née. Les laboratoires Servier, conscients de la menace que représente cette femme pugnace, l’assignent en justice dès la sortie de l’ouvrage. Le sous-titre « combien de morts ? », jugé discriminatoire, sera censuré jusqu’en 2011. L’industriel fait également pression sur les victimes. De guerre lasse, certains malades choisissent d’accepter l’indemnisation proposée par le groupe pharmaceutique en échange de leur silence et de leur renonciation à toutes poursuites judiciaires.

Une affaire sanitaire hors normes

Un procès long et difficile

Fruit d’une longue instruction, le procès du Médiator s’ouvre en septembre 2019. Rassemblant près de 6 500 personnes constituées parties civiles, il s’annonce d’ores et déjà comme le procès du plus grand scandale sanitaire de ces trente dernières années. Pendant sept mois, le tribunal correctionnel de Paris analyse, décortique, auditionne les différentes parties. Il s’interroge également sur les erreurs et les non-dits ayant permis la commercialisation durant trois décennies d’un médicament mortel. À l’audience, on pointe aussi du doigt ce groupe pharmaceutique ayant bénéficié en haut lieu de nombreuses complicités politico-financières.

Irène Frachon est présente, comme toujours. Elle tient à livrer son témoignage et dire sa vérité, ses convictions. Plus que jamais, elle est le porte-voix de ceux désormais absents, décédés du Médiator, qui ne pourront plus raconter leur calvaire. Le Médiator, c’est cela : des destins brisés, une vie en pointillés et des séquelles irréversibles. Tout au long de ce procès-fleuve, Irène Frachon n’a pas caché sa colère contre ceux qu’elle qualifie de « pharmaco-délinquants ». Elle n’a pas non plus masqué son incompréhension face à l’inertie de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui choisira délibérément de couvrir le scandale.

Un verdict en demi-teinte 

Le 29 mars 2021, soit quatorze ans après la révélation du scandale du Médiator par Irène Frachon, le verdict est enfin rendu. Un temps incroyablement long, mais salutaire. Les laboratoires Servier sont condamnés pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires ». Ils devront verser une amende de 2,7 millions d’euros et indemniser les victimes à hauteur de 180 millions d’euros. Une peine jugée particulièrement dérisoire au regard du chiffre d’affaires réalisé par les laboratoires Servier, avoisinant les 10 millions d’euros… par jour ! Le jugement est accueilli de manière mitigée tant par la pneumologue brestoise que par une majorité de parties civiles.

Au-delà d’une sanction jugée trop clémente, les avocats des plaignants soulignent l’aspect salvateur du procès. Selon eux, les débats ont permis de mettre en lumière les victimes et d’avoir l’assurance qu’aucun laboratoire pharmaceutique ne saurait demeurer au-dessus des lois. Irène Frachon a su tirer parti de la notoriété dont elle a bénéficié dans cette affaire pour la mettre au service des malades. Ce que l’on retiendra de son combat, c’est que peu importe la grandeur de l’obstacle qui se dresse devant soi, la persévérance paie toujours.

 

Aujourd’hui, Irène Frachon exerce toujours au CHU de Brest. Même si elle aspire désormais à plus de sérénité, elle n’oubliera jamais le scandale sanitaire qui a marqué sa vie. Toujours en contact avec les patients touchés par cette affaire médicale, elle reste encore plus vigilante sur les traitements qu’elle prescrit. Le 23 mars 2021, soit 6 jours avant l’annonce du verdict, a eu lieu une inauguration des plus symboliques en présence d’Irène Frachon. Le rond-point donnant accès au CHU de Brest porte désormais le nom de Céférina Cordoba, patiente brestoise, décédée des suites du Médiator en 2020. Une manière de ne pas oublier le combat mené contre les méfaits de l’industrie pharmaceutique.

 

Cet article vous a plu ? Je vous invite à découvrir un autre portrait de femme médecin, celui de la pionnière Suzanne Noel, féministe et première chirurgienne esthétique.

Émilie Iglesias pour Celles qui osent

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