Être Hétérosexuelle et Féministe

De plus en plus, hétérosexualité et féminisme semblent être incompatibles. Le 12 mars dernier, la réalisatrice du podcast érotique Voxxx Olympe de G. a déclaré sur son compte Instagram débuter « une grève de l’hétérosexualité ». Étonnant pour une créatrice de contenu sensuel spécialement dédié au plaisir féminin ! Elle explique la raison de cet acte qu’elle veut militant sur son compte Instagram :

Je suis fatiguée, en colère. Non pas contre les hommes que j’ai aimés, mais contre le schéma de couple dans lequel on est formatés à se projeter ensemble. Je suis fatiguée, car être féministe et en couple hétérosexuel est épuisant.

Une telle affirmation peut provoquer quelques froncements de sourcil, et on le comprend. Mais ce que veut dire Olympe de G., c’est qu’être hétérosexuelle et féministe signifie militer dans la sphère privée, chez soi donc, en faveur d’une répartition plus égalitaire des tâches domestiques par exemple. Malheureusement, ce n’est pas parce que l’on s’aime que le couple échappe aux schémas de domination patriarcale. 

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À travers plusieurs témoignages et études, Celles qui Osent se penche sur ce qui semble être un dilemme irrésolvable. 

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Être hétérosexuelle, féministe, et victime de charge mentale

Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, nous avertissait déjà : 

Le drame du mariage, ce n’est pas qu’il assure pas à la femme le bonheur qu’il lui promet – il n’y a pas d’assurance sur le bonheur – c’est qu’il la mutile, il la voue à la répétition et à la routine. Les vingt premières années de la vie féminine sont d’une extraordinaire richesse ; la femme traverse les expériences de la menstruation, de la sexualité, du mariage, de la maternité : elle découvre le monde et son destin. A vingt ans, maîtresse d’un foyer, liée à jamais à un homme, un enfant dans les bras, voilà sa vie finie pour toujours.

Réjouissant. Pour faire simple, le mariage selon Beauvoir, c’est l’aliénation. D’un côté, Le Deuxième Sexe a été publié en 1949, époque où l’on était effectivement mère au foyer à vingt ans. Heureusement pour nous, les choses ont évolué depuis. 

Cette citation de Beauvoir rappelle notre article dédié à la charge mentale, ce fléau du couple hétérosexuel. Selon une étude de l’Insee, les femmes s’acquittent des trois quart des tâches domestiques et y consacrent en moyenne 4h01 par jour, là où les hommes n’y consacrent que 2h13 quotidiennement. Conséquence : les femmes rognent sur leur temps libre et leur vie professionnelle pour avoir le temps de se consacrer à la vie de leur foyer. 

Jenny van Hoof, chercheuse à l’université de Manchester, a publié un article dans lequel elle explique que les relations hétérosexuelles continuent à être fortement marquées par les inégalités qui surgissent principalement au moment où les couples emménagent ensemble. Titiou Lecoq, journaliste féministe de Slate et autrice de Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (dont on vous avait déjà dans notre article sur la compatibilité entre féminisme et ménage) a déclaré dans une interview à l’Obs : 

Je suis féministe, en fait, on est un couple de trentenaires sympas ; en fait, on est en train de reproduire un vieux modèle traditionnel où je suis une ménagère.

Si même Titiou le dit…

Une manière de se préserver de cette charge mentale qui a tout l’air d’une fatalité ? Victoire Tuaillon donnait une réponse possible dans l’épisode d’introduction de son podcast Le coeur sur la table (voir notre sélection de podcasts) : arrêter de vivre avec des hommes, tout simplement. 

Hétéro, mais pas égaux dans la sexualité 

Pour justifier sa grève de l’hétérosexualité, Olympe de G. dit aussi qu’elle veut arrêter de « porter la charge sexuelle de la séduction amoureuse, de la santé sexuelle, de la contraception, de la créativité érotique. » Ainsi, dans l’hétérosexualité, l’inégalité ne concerne pas que le panier à linge sale, mais aussi la sexualité partagée d’un couple. 

Il y a d’abord l’inégalité dans la jouissance sexuelle : en 2015, un sondage IFOP révélait qu’une Française sur quatre n’avait pas eu d’orgasme durant son dernier rapport, contre 6% des hommes. Selon Léa Seguin, doctorante en sexologie de l’Université du Québec à Montréal : 

D’emblée, on priorise le plaisir masculin. Il faut que l’homme ait joui pour que cela compte comme une relation sexuelle. Si la femme n’est pas venue et que l’homme oui, on l’accepte très facilement.

Dans leur podcast Vivre sans sexualité, Ovidie, autrice et réalisatrice féministe et Tancrède Ramonet, documentariste, évoquent le sujet des personnes à l’activité sexuelle inexistante. Dans le dernier épisode : « Sortir de la sexualité, un acte politique », Ovidie explique qu’un rendez-vous amoureux pouvant potentiellement aboutir à une relation sexuelle est bien plus éprouvant pour une femme que pour un homme. Avant la rencontre, la femme doit choisir une belle lingerie (souvent inconfortable), se coiffer, se maquiller, s’épiler et enfiler des chaussures à talons (qui lui feront mal aux pieds et au dos toute la soirée). L’homme quant à lui n’aura qu’à prendre une douche. En plus de représenter une perte de temps considérable, cette préparation est également très onéreuse. 

Des inégalités dans le couple hétéro à tous les âges 

Si les inégalités découlant de la charge mentale et de la cohabitation semblent évidentes, c’est moins le cas pour d’autres injustices peu visibles. 

Victoire, 21 ans, nous parle de la contraception, une préoccupation qu’elle juge être 100% féminine : « C’est aux filles de s’occuper de prendre la pilule, de prendre rendez-vous chez un ou une gynécologue… Car si elles tombent enceinte, c’est elles que ça regarde. » En effet, sur une dizaine de jeunes filles payant pour leur contraception et dont Celles qui Osent a recueilli les témoignages, aucune n’a pensé à proposer à leur petit ami de contribuer financièrement à l’achat de leur contraceptif, ce qui les concerne pourtant tous les deux. Ce qu’il faudrait, c’est que les garçons s’intéressent à ces sujets-là et s’investissent dans la vie intime de leur partenaire en les accompagnant aux rendez-vous médicaux, en leur rappelant de prendre leur pilule…

On remarque aussi que, très jeunes, les femmes sont soumises à une forme de charge mentale. Youna, 19 ans, explique : « Mon copain habite seul et quand je vais chez lui, c’est moi qui lui rappelle de sortir les poubelles. » Même constat pour Audrey, 20 ans : « On a vécu ensemble quelques mois et j’avais tout le temps le sentiment d’être responsable de la maison. Il cuisinait les repas ou faisait le ménage quand je lui demandais, mais il n’a jamais eu aucune initiative. » Sarah, 20 ans, a une expérience différente mais tout aussi révélatrice : « Je ne fais absolument rien quand on est ensemble et je ne m’occupe d’aucune organisation, à tel point que j’ai l’impression d’être un mec. »

La violence dans les couples hétérosexuels 

En 2020, la journaliste et militante féministe Alice Coffin déclarait : « Ne pas avoir de mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. » Soit. Un peu extrême tout de même. Dans le podcast Adieu, monde hétéro, Roxane, 35 ans et bisexuelle, disait être sortie de l’hétérosexualité pour n’avoir plus que des relations avec des femmes en raison de la triple exploitation économique, sexuelle et domestique subie pendant sa relation de cinq ans avec un homme. 

Au vue des chiffres sur les féminicides et sur le viol (en France, une femme est tuée tous les deux jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon) on pourrait légitimement se demander si les hommes ne sont pas responsables de toutes les violences commises au sein du couple. 

Mais alors, que faire ? 

Tout d’abord, rappelons qu’on ne peut tout simplement pas choisir de devenir homosexuelle. On peut être bisexuelle, mais on ne peut pas choisir ni maitriser sa sexualité. D’autant plus que la violence existe aussi dans les rapports homosexuels. Des chercheurs à l’Université du Michigan ont en effet mené une enquête sur 160 couples gays qu’ils ont suivi durant l’année 2018. En l’espace d’un an, 46% des hommes ont dénoncé une forme de violence dans leur couple (abus émotionnels ou bien physiques). 

Certaines et certains pourraient arriver à la conclusion selon laquelle les hommes, et non l’hétérosexualité, serait à l’origine du problème.

Ici aussi, on risque d’aboutir dans une impasse puisque selon une étude américaine citée par Slate, 25 à 40 % des lesbiennes ont subi des violences conjugales au cours de leur vie. 

Quelles solutions pour être féministe, hétérosexuelle et épanouie ? 

Difficile de savoir. Ce que l’on peut toutefois affirmer, c’est qu’on a besoin des hommes pour construire un monde plus juste et égalitaire. Et on a déjà commencé. De plus en plus, de jeunes parents (femmes et hommes) éduquent leurs fils dans une perspective féministe. La charge mentale est maintenant reconnue comme étant réellement problématique et plusieurs solutions et initiatives se mettent en place pour y remédier. De même pour les violences conjugales, qui sont enfin devenues un sujet de société dont les médias parlent sérieusement.

Les hommes sont des alliés du féminisme. Il faut parler des expériences traumatisantes vécues par des femmes et causées par des hommes. Parler des inégalités, même minimes, au sein de son couple, que l’on ait 18 ou 78 ans. Parler de charge mentale, de contraception et de cohabitation. Essayer de construire une société meilleure avec les hommes, même si l’on sait que cela est difficile quand on a été soi-même victime de la violence masculine. Tout ça dans le but d’être égaux devant la pile de linge sale à la maison (au moins ça). 

Victoria Lavelle pour Celles qui Osent

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