Interview de Léa Lejeune, présidente de Prenons la Une

Léa Lejeune, journaliste économique au sein du magazine Challenges, chargée des sujets Tech, télécoms et numériques nous a accordé une interview. Celle qui « aime raconter des histoires et chercher l’information à la source » est, depuis 2014, présidente et cofondatrice, avec Claire Alet, de l’Association Prenons la Une. Elles revendiquent une meilleure représentation des femmes dans les médias et plus d’égalité dans les rédactions. Elle ose aussi ouvrir le débat sur la RSE et l’égalité professionnelle ainsi que salariale dans les entreprises. À 34 ans, Léa Lejeune a édité son premier essai, Féminisme Washing : elle démontre comment les marques récupèrent la cause des femmes, sans les aider. Retour sur le parcours inspirant d’une journaliste de convictions qui se bat, entre autres, pour une meilleure place des femmes dans les médias !
 

Se passionner pour l’économie de la presse

Léa Lejeune grandit à Bagnères-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées. Issue du bas de la classe moyenne, de parents brocanteurs, elle sait très tôt qu’elle veut devenir journaliste. « On m’avait refusé un de mes articles dans la gazette de l’école primaire. J’avais donc riposté par l’écriture d’un journal pirate que je vendais 1 franc dans la cour de récréation. »  

À 14 ans, elle interviewe une personnalité politique locale, Jean-Gabriel Cohn-Bendit, se présentant aux élections départementales des Verts. « Il n’a pas gagné les élections, mais cela a confirmé ma vocation. » Elle découvre à 17 ans le Journal Libération. « À l’époque, je lis Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et m’intéresse à l’existentialisme. Faire du journalisme commence à prendre du sens. Je veux raconter les conflits sociaux, les manifestations et les grèves. » 

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Après une licence de philosophie à l’Université de Toulouse, elle entre à Science Po Grenoble où elle valide un master journalisme spécialité web. En 2010, elle rédige son mémoire de fin d’études sur le modèle économique des pure-players de l’info autour du cas de Rue89, un site d’information de faits divers et de société créée en 2007 par d’anciens journalistes du quotidien Libération. « J’aime beaucoup l’économie de la presse. À l’époque, il existe deux gros sites internet d’informations : Rue89 et Mediapart. J’étais persuadée que le modèle économique du Web ne pouvait être que gratuit, qu’il ne reposait que sur la publicité. Je me suis complètement trompé. Mediapart avait raison : proposer du contenu avec une forte valeur ajoutée s’est finalement imposé au fil des années dans le domaine de l’information en ligne. » 

Revendiquer une meilleure place des femmes dans les médias

Prenons la Une, l’association d’aide aux femmes journalistes

« Je me rends compte dans le cadre d’une enquête pour Alternatives économiques que les femmes sont sous-représentées dans les contenus médiatiques de manière systématique : les chiffres sont flagrants. Il y a des différences de traitement dans les rédactions ; les femmes sont clairement sous-payées, plus souvent à la pige. En face, les syndicats de journalisme, majoritairement dirigés par des hommes, ne relèvent pas les problématiques ou dysfonctionnements soulevés par les professionnelles. » 

Lien vers des formations en écriture digitale

Alors, en 2014, Léa Lejeune cofonde avec Claire Alet l’Association de femmes journalistes pour une meilleure représentation des femmes dans les médias et l’égalité dans les rédactions, qui a remporté le Grand Prix du Journalisme 2020 des Assises du journalisme de Tours. « Nous réalisons des tribunes pour améliorer le traitement des violences faites aux femmes dans la presse. Nous appelons les médias à inviter plus d’expertes sur les plateaux-débats. Nous faisons également des conférences, des vidéos sur YouTube, et nous animons les réseaux sociaux en lançant par exemple le #entendu à la rédac mettant en lumière tous les propos sexistes entendus au sein des rédactions. Nous avons organisé les états généraux des femmes journalistes, en réunissant plus de 300 professionnelles à la cité des sciences de Paris. Elles ont raconté leurs vécus et fait émerger des propositions très concrètes à mettre en place. Nous avons défendu que le congé maternité des free-lance soit égal à celui des autres, car en 2019 cela n’était pas encore le cas. Enfin, nous formons aussi la nouvelle génération de journalistes en intervenant dans les écoles. »

Lutter contre les stéréotypes et décrypter l’économie numérique

Membre du HCE, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Léa Lejeune est très impliquée dans la lutte contre les stéréotypes et les rôles sociaux. « C’est une instance indépendante qui est censée juger et conseiller la politique gouvernementale sur l’égalité hommes-femmes. J’ai été nommée au titre de présidente de Prenons la Une, dans la commission stéréotype. Je mets en lumière la sous-représentation des femmes à la télévision. Pour moi, le journalisme a un rôle d’intermédiation entre les politiques et la société civile. »    

Reporter pour le magazine Challenges, Léa Lejeune décrypte l’économie numérique. « J’écris sur les GAFA (les géants du Web), l’économie des médias, les réseaux sociaux ou les start-ups, mais aussi la place des femmes au sein des entreprises ». Quand elle enquête, elle aime remonter à la source, vérifier les chiffres de la DARES (la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) et vulgariser les travaux de chercheuses. Ses investigations fouillées et détaillées l’ont amené à concrétiser un autre projet : une enquête sur le féminisme washing.  

Oser révéler le féminisme washing des entreprises

« Le féminisme fait vendre aujourd’hui. Sauf qu’il est important de faire en sorte que les marques qui utilisent le féminisme comme valeur cherchent à entrer en adéquation avec les idées qu’elles mettent en avant dans leur communication. »

Féminisme Washing, paru en mars 2021 aux éditions Seuil, est le premier essai de Léa Lejeune, une enquête sur le féminisme washing des entreprises. Nous avions consacré un article complet sur ce livre. Ce terme désigne l’ensemble des pratiques de communication et de marketing utilisées par les entreprises pour faire croire qu’elles sont féministes, qu’elles se préoccupent de l’égalité hommes/femmes alors qu’en réalité, elles ne respectent pas les droits des femmes. 

« Nous sommes toutes à un moment donné susceptibles de nous faire avoir par les mécanismes mercantiles de ses entreprises. »

Elle prend l’exemple concret du fameux t-shirt Dior « We should All be Feminists » (nous devrions toutes être féministes), une citation de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie. « Le problème de ce t-shirt est qu’il coûte 620 euros. Donc ce n’est pas du féminisme accessible à toutes. » Léa Lejeune comprend que la Fridamania a fait subir un « relooking esthétique, raciste et validiste à l’artiste mexicaine. Sa peau est blanchie, sa pilosité atténuée et son handicap effacé, pour rendre son physique plus bancable. »

La journaliste dénonce la récupération du combat féministe par les marques, qui usent de techniques de communication et de marketing pour vendre des produits aux femmes et redorer leur image… sans les aider. « Certaines entreprises se félicitent de simplement respecter la loi, l’égalité des salaires par exemple. L’on ne doit pas se contenter d’un marketing de façade ». Pour la journaliste, « il est impossible d’allier féminisme et libéralisme. Il faudrait un capitalisme régulé, qui mette l’humain au centre, pour réconcilier l’entreprise avec les droits des femmes. » Dans son ouvrage, Léa Lejeune dénonce, mais propose aussi des pistes d’améliorations pour « corriger les mauvaises habitudes ». En effet, elle termine par un « manuel de rébellion à l’usage de celles qui veulent faire changer les entreprises. » Pour acheter le livre, c’est ici

 

Léa Lejeune projette d’animer une chronique radio ou télé : « j’aime donner une opinion argumentée, partager mon expertise. » Grosse lectrice et admiratrice de Simone de Beauvoir, Léa Lejeune estime qu’elle a été déterminante dans son parcours de vie : « Souvent elle est très caricaturée, voire sous-évaluée par certaines militantes féministes ; c’est dommage. Dans ses écrits, il y a déjà un questionnement profond sur le racisme ou sur l’orientation sexuelle : je trouve que sa pensée est brillante, très avant-gardiste. » L’année dernière, elle s’est également passionnée pour une autrice et journaliste d’investigation américaine, très peu connue en France : Naomi Klein. Celle-ci travaille principalement sur l’écologie avec un propos engagé. « Je suis assez fan de ce personnage ! Son livre No Logo propose une analyse critique sur le marketing et la publicité d’aujourd’hui. Son autre ouvrage intitulé La stratégie du choc démontre comment les traumatismes tels que des attentats peuvent être instrumentalisés pour faire passer des mesures restrictives… »

Elle fera certainement l’objet d’un article sur Celles qui Osent ! En attendant, nous vous invitons à relire celui d’une autre journaliste d’investigation, Élise Lucet ! 

Violaine B — Celles qui Osent 

Celles qui osent instagram
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