Science et conscience animale, une controverse séculaire

Un chien qui se couche chaque jour sur la tombe de son maître décédé ! Un chat qui parcourt six cents kilomètres pour retrouver sa famille !  Une lionne qui prend en charge un bébé antilope ! Autant d’actes et de témoignages qui interpellent. Les animaux sont-ils capables d’émotions et de suite dans les idées ? Détiennent-ils des pouvoirs secrets ou métaphysiques ? Régulièrement, des faits hors du commun ébranlent la théorie scientifique de la démonstration par la preuve. Jadis, nul ne reniait l’esprit des bêtes. Compagnes de route, elles faisaient partie d’un tout sacré et célébré. En témoignent l’esthétisme sublimé et l’extrême raffinement de leurs figurations dans les Grottes de Lascaux. Au gré de l’histoire, la relation homme/bête se tend. Puis l’osmose se rompt. Dès lors, la sensibilité et l’intelligence animales oscillent entre reconnaissance et reniement. La controverse fait rage. Elle dure des siècles, des siècles de chosification, d’esclavage. Conscience animale, les hauts et les bas d’une évidence !

Entre reconnaissance et reniement

En Égypte antique, les animaux étaient considérés  comme des ambassadeurs de la sagesse. Ils étaient représentés tels des  messagers de leçons de vie. Les Grecs leur accordaient la capacité de percevoir le monde à leur façon. À leur sujet, ils en appelaient  d’ailleurs au respect et au bénéfice de droits. La majorité des philosophes les reliaient à l’édification de l’évolution humaine.  À l’instar de l’alliance Dieu/homme/animalité, ils les intégraient dans la trilogie philosophie/ontologie/spiritualité. Pythagore refusait les banquets “barbecue” et tout vêtement issu du sacrifice d’un animal.

Avec la sédentarisation, la Cité et l’agriculture se développent. Dès lors, la  nature environnante et ses manifestations chaotiques deviennent  menaçantes. Il faut protéger la famille, les habitations, les récoltes et le bétail. La symbiose s’interrompt.  Les animaux sauvages sont craints et refoulés ou exterminés pour leurs ressources. Quant aux autres, ils sont domestiqués, exploités ou progressivement réduits à l’état d’objet.

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L’homme se fait roi, l’animal esclave

Le christianisme propulse l’homme au rang de roi de la création. Dès lors, il ne se reconnaîtra comme tel qu’une fois nature et animaux assujettis. D’où la formule de Léonard de Vinci : « le roi oui, mais le roi des animaux féroces ! »

Petit à petit,  certains scientifiques et philosophes prennent le relais et valident la doctrine de l’animal machine :

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  • René Descartes, mathématicien, physicien et philosophe (1596/1650) :

Je sais bien que les animaux font les choses mieux que nous mais je ne m’en étonne pas car cela sert même à prouver qu’ils agissent naturellement et par ressort ainsi qu’une horloge peut compter les heures et mesurer le temps bien mieux que notre jugement ne nous l’enseigne. 

  • Claude Bernard, médecin et physiologiste (1813/1878) :

Le physiologiste n’est pas un homme du monde, c’est un savant. C’est un homme qui est saisi et absorbé par une idée scientifique qu’il poursuit : il n’entend plus les cris des animaux, il ne voit plus le sang qui coule. ll ne voit que son idée et n’aperçoit que des organismes qui lui cachent des problèmes qu’il veut découvrir. 

Avec la thèse de l’animal machine, l’esprit, l’âme et la conscience des bêtes sont définitivement reniés. Quant à leurs réactions à la douleur, elles sont définies comme des dysfonctionnements réflexes d’automates,  extérieurs à toute sensibilité. Nicolas Malebranche, philosophe et théologien, frappait son chien et se plaisait à comparer ses plaintes au bruit d’une horloge en mouvement.

L’ère de la consommation a franchi une étape supplémentaire en juxtaposant animal machine et animal cellophane.

Conscience animale… ou pas ?

La culture dit non, la nature dit oui

Au XIXe siècle, l’opposition de certains spécialistes à reconsidérer la sensibilité et la conscience animales comme des matières dignes d’investigations est à son apogée. Parallèlement, des naturalistes tels Lamarck, Darwin et Romanes s’approprient le sujet et incitent à la controverse. Progressivement, la théorie de l’évolution,  l’éthologie, la neurophysiologie, les sciences cognitives contribuent à des découvertes scientifiques fondamentales quant à la véritable nature des animaux. Au début des années cinquante, les travaux des primatologues, Harry et Margaret HARLOW, fournissent la preuve incontestable que les animaux sont dotés d’une sensibilité. En dépit de leurs démonstrations convaincantes, la culture chrétienne et cartésienne de l’époque s’obstine à réfuter les conclusions de ces expérimentations. Au sein de la communauté scientifique, la conscience animale reste sujet à débat.

Les prémices d’une réhabilitation

Il faut attendre l’évolution technologique et la maîtrise de moyens modernes pour reconnaître un système nerveux à l’animal. Une expérience effectuée sur des eucaryotes mis en difficulté (baignade en eau salée) démontre que ces organismes unicellulaires, si minuscules soient-ils, sont capables d’évitement. Ils contrecarrent la répétition d’une expérience désagréable. Il est donc évident qu’ils sont pourvus d’une sensibilité à l’inconfort, d’une capacité de mémorisation, de raisonnement, d’anticipation, de réflexion et de choix.

En 2012, dans le prolongement de ces observations, une groupe de scientifiques publient un manifeste intitulé « Déclaration de Cambridge sur la conscience » qui admet « qu’une convergence de preuves indique que les animaux non humains disposent des substrats neuro-anatomiques, neurochimiques, neurophysiologiques des états conscients ainsi que la capacité d’exprimer des comportements intentionnels. »

Désormais, il est scientifiquement admis que les animaux bénéficient d’une panoplie de capacités cognitives. Leurs comportements complexes et leurs  formes de conscience sont proches de celles de l’homme. Cette découverte d’un monde mental chez l’animal est à la fois une révolution et un véritable enjeu interdisciplinaire pour la science. Les preuves exponentielles et les conclusions irréfutables qui valident le postulat d’une intelligence animale défient ses derniers détracteurs. Elles pointent du doigt toutes les dérives liées à l’exploitation et à la commercialisation des animaux.

L’actualité du bien-être animal

D’après Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue, la reconnaissance d’une sphère mentale et de formes pensées chez l’animal bouleverse notre perception. Elle appelle à un devoir moral des êtres humains à son égard.

Une expertise scientifique et collective de l’INRA entérine le propos. Elle invite à associer éthique et moralité à toute réflexion et toute recherche portant sur la conscience des animaux. Selon cette étude,  mieux appréhender l’univers mental des animaux élève leur condition. La prise en compte de leurs ressentis, de leurs souffrances physiques ou émotionnelles priorise automatiquement la notion de bien-être.

Quant aux travaux du neurologue, Antonio Damasio, ils démontrent, sans équivoque, que l’émoi, humain ou animal, est directement rattaché à l’intelligence.

L’intelligence animale à la page

Frans de Waal, docteur en biologie et professeur de psychologie à l’université Emory d’Atlanta, plaide en faveur d’un génie animal. Il serait bien plus subtil et ramifié qu’à première vue. Il écrira : « Pour comprendre l’intelligence animale, il ne faut pas tenter de la mesurer à l’aune de critères humains. Nous devons faire preuve d’empathie et nous mettre à la place de l’animal. » Or, l’ingéniosité n’est rien sans la créativité, elle-même attisée par un besoin constant d’adaptation à l’environnement. 

De son côté, le philosophe Thomas Hobbes rallie les aptitudes cognitives et sensorielles de l’animal à sa capacité à résoudre et à anticiper des problèmes liés à sa survie et à son environnement. Selon lui, les animaux sont en mesure de traiter des informations présentes ou passées et d’évaluer, voire d’anticiper une situation. Pour se préserver, ils ont tout simplement besoin de raisonner et d’agir de façon pragmatique, autrement dit intelligemment. En développant des formes pensées constructives et en juxtaposant un moyen à une fin, ils font preuve de suite dans les idées. Cette construction mentale  leur autorise la fabrication d’outils perfectionnés parfaitement adaptés à leurs besoins et la conceptualisation de stratagèmes défiant toute concurrence.

À titre d’exemple :

  • Un groupe de singes effeuille des branches, les déplace sur plusieurs kilomètres, les introduit  avec précaution dans des termitières, patiente jusqu’à ce que les insectes grimpent dessus puis extrait les branches des cavités et se délecte des termites ;
  • les geais buissonniers, tout comme les écureuils, ont la réputation de multiplier des subterfuges ingénieux de confusion pour dissimuler leurs réserves alimentaires et les retrouver par la suite ;
  • les pigeons, les singes, les rongeurs, les dauphins mais également les bovins font preuve de métacognition (capacité à estimer et à agir sur ses propres processus cognitifs) ;
  • la tayra, un mustélidé d’Amérique centrale et du sud, camoufle des bananes plantains vertes et les récupère seulement une fois mûries à point ;
  • les poulpes, seiches, calmars sont capables d’apprendre les uns des autres et sont dotés de capacités cognitives comparables à celles des vertébrés. Camouflage, vision, innovation, tromperie, apprentissage, mémoire, sont des facettes de leur intelligence ;
  • les abeilles identifient les visages et sont douées d’un sens de l’orientation hors du commun ;
  • les perroquets gris du Gabon possèdent des structures cérébrales identiques à l’homme du point de vue des émotions ;
  • les chimpanzés ont le sens de l’humour, peuvent rire et jouissent d’un système de mémorisation plus rapide que les êtres humains ;
  • les volailles et corvidés sont capables de choisir des réponses négatives, positives ou  neutres par le biais de boutons. Lorsque ces animaux décèlent une lacune dans leur analyse (un maillon manquant), ils manifestent leur besoin d’informations supplémentaires ;
  • les ovins et les porcs tiennent compte des tests, expériences et exercices antérieurs vis-à-vis de l’obtention d’une récompense ;
  • les éléphants ont démontré qu’ils avaient le sens de l’esthétisme et de la contemplation ;
  • Etc.

Des structures neuronales comparables à celles des hommes

Osons aller encore plus loin sur la question de l’intelligence et de la conscience animales. Des neuroscientifiques affirment depuis une quinzaine d’années, que les mammifères et les oiseaux ont une conscience propre. Ils partagent les mêmes zones d’émotions et de mémorisation que les êtres humains. Lorsqu’un animal se blesse, ce sont les mêmes substances chimiques d’alerte que l’homme qui interagissent, et ce,  sur les mêmes zones cérébrales.

Dans le même ordre d’esprit, Frans de Waal rappelle que plus de 98 % de notre code génétique se retrouve chez le chimpanzé. De son côté,  Gay Bradshaw, spécialiste en psychologie animale à l’université Lesley de Cambridge (USA), ose la phrase suivante : « les éléphants pensent, ressentent, rêvent et sont aussi conscients que nous car ils partagent avec nous les mêmes structures neuronales qui gouvernent ces processus. »

Dignité en prime et vertus en bonus

Élise Huchard, chargée de recherches au CNRS, est spécialisée dans l’étude du comportement animal.  Son intérêt se concentre tout particulièrement sur les primates. Elle leur attribue des comportements altruistes, généreux, conciliants, une inclination au pardon, à la collaboration et à la réconciliation, etc. Autant de vertus jusque-là exclusivement rattachées aux êtres humains. Et les primates ne sont pas les seuls à se partager une conduite sociale vertueuse :

  • les rats manifestent de l’empathie à l’égard d’un congénère prisonnier et déverrouillent sa cage. Tant qu’il est emprisonné, ils ignorent la nourriture mais la partagent avec lui aussitôt sa libération et sa réintégration dans le groupe ;
  • un singe qui observe un coucher de soleil est rejoint par l’un de ses congénères. Ensemble, ils contemplent la scène en se tenant par le cou. Une fois le soleil disparu, ils se saluent et repartent séparément vaquer à leurs occupations ;
  • les abeilles ont le sens de la concertation et de la démocratie. Lorsque le moment est venu de quitter une colonie  pour essaimer vers un autre lieu,  elles partent en repérage par petits groupes puis rapportent à la communauté les résultats de leurs recherches. S’il n’y a pas l’unanimité entre les différents groupes quant au choix final du nouveau refuge, les groupes en désaccord se rassemblent à nouveau et repartent visiter les lieux en ballotage. À leur retour, il y a restitution d’informations, concertation, vote et choix. Pour s’exprimer, les abeilles battent rythmiquement des ailes de façon plus ou moins prononcée en fonction du message à faire passer ;
  • les éléphants qui croisent le squelette d’un congénère s’arrêtent, l’entourent et lui caressent individuellement et vénérablement le crâne en guise d’adieu. Ensuite, ils dispersent précautionneusement les ossements du squelette aux quatre coins de son ex territoire. 

Consciences humaine et animale, sœurs jumelles ?

Indépendamment de la science et de l’étude des émotions, il suffit de côtoyer et d’observer les animaux pour apprécier les qualités qu’ils manifestent comme :

  • gaieté ;
  • courage ;
  • persévérance ;
  • fidélité ;
  • audace ;
  • force ;
  • bravoure ;
  • patience ; 
  • confiance ;
  • dévouement ;
  • protection ;
  • gratitude ;
  • etc.

Tout comme on peut remarquer leurs travers :

  • jalousie ;
  • égoïsme ;
  • possessivité ;
  • exclusivité ;
  • domination ;
  • caprices ;
  • agressivité ;
  • etc.

Autant d’attitudes qui renvoient l’homme à son propre miroir. Conscience humaine et conscience animale seraient-elles si éloignées, cousines, et pourquoi pas, sœurs jumelles ?

Partout dans le monde, la voix des bêtes se fait entendre. Son écho résonne en plein cœur de la société. Il interroge et interpelle l’industrie, l’enseignement, la recherche, les traditions et par-dessus tout, l’éthique, la morale et le droit. Une vingtaine d’intellectuels se sont unis dont le psychiatre et écrivain, Boris Cyrulnik et le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Ils demandent la création d’un secrétariat d’État à la condition animale. Les pétitions citoyennes en faveur de ce combat sont pléthores. Elles ne lâchent rien. Parallèlement, le Parti animaliste revendique la prise en compte des intérêts et du bien-être des animaux dans l’évolution de la société. Le sujet, déjà social, devient politique et économique. La science elle-même prend un virage à 180° et se mobilise pour réhabiliter la vie, la voix et l’esprit des bêtes. Il s’agit d’un courant favorable à l’acceptation de la conscience animale. Il pourrait mettre un terme à des siècles d’ignorance, de souffrance et d’esclavage. Et qui sait ? Peut-être que le jour approche où l’âme animale trouvera aussi son évidence !

« Science sans conscience n’est qui ruine de l’âme »,

François Rabelais

 

Etsie Tessari, pour Celles qui Osent

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